Le 13 mai 1941, des agents de police frappent à la porte de juifs étrangers parisiens et remettent aux hommes des "billets verts", pliés comme des pneumatiques, dans lesquels on peut lire une convocation le 14 mai à 7 heures du matin, soit au gymnase de la rue Japy, soit au garage du 52, rue Edouard Pailleron, à la caserne des Tourelles, la caserne Napoléon ou celle des Minimes, ou n'importe quel commissariat de quartier.
Cette convocation est restée dans l'histoire sous le nom de "billet vert". "Les ressortissants étrangers de race juive pourront à dater de la promulgation de la présente loi être internés dans des camps spéciaux, par décision du préfet du département de leur résidence", énonçait le décret du 4 octobre 1940 appliqué pour la première fois en zone occupée sept mois après sa promulgation.
Toutes les personnes convoquées et leurs familles n'envisagent pas le pire, une minorité sans doute l'imagine. Sur les 6 494 convoqués, précise un rapport de police cité par Annette Wieviorka dans Ils étaient juifs, résistants, communistes (Perrin, 2018), 3747 ont été arrêtés. Ils ont été "dirigés par quatre trains spéciaux sur les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande" dans le Loiret. De là, ils partiront plusieurs mois plus tard pour le camp de la mort d'Auschwitz, au moment où commencent d'autres rafles à grande échelle. 15 000 hommes, femmes et enfants seront déportés en tout de ces deux camps.
Annette Wieviorka écrit:
"A la suite des internements à Pithiviers et Beaune-la-Rolande, le Parti communiste imprime un tract: Brisons l'arme de l'antisémitisme. Unissons-nous. Il faut noter que ces arrestations n'ont guère ému la Résistance et que le parti communiste semble être le seul à manifester sa réprobation. (...). Ce tract dénonce "le Commissariat général aux questions juives, organisme d'importation nazie que dirige le cagoulard six-fevriériste Xavier Vallat qui fait arrêter bestialement cinq mille travailleurs autrichiens, polonais, tchécoslovaques coupables d'être juifs. Cela s'est déroulé au milieu de scènes indescriptibles de séparation dont certaines ont été suivies de suicides"".
L'antisémitisme est qualifié, reprenant la formule célèbre de Staline au début des années 30, de "manifestation moderne du cannibalisme". L'antisémitisme est dénoncé comme racisme mais aussi et surtout comme moyen de diviser les travailleurs, les dominés, pour préserver les intérêts des capitalistes, mais aussi comme moyen de diviser les patriotes. Là dessus, la conclusion est très claire: "Français qui pensez français et voulez agir français, luttez contre l'antisémitisme". (...) "Vive l'union de tous les Français qui pensent français et veulent agir en Français pour la libération et l'indépendance de la France".
L'Humanité clandestine du 1er mai 1941, avant l'invasion de l'URSS, écrivait aussi: "C'est la fierté et l'honneur du parti communiste d'être traqué par les autorités d'occupation alors que les chefs de tous les autres partis vont chercher prébendes et directives à l'ambassade d'Allemagne". "Et le 8 mai 1941, L'Humanité titre en épigraphe, rappelle Annette Wieviorka: "Français, luttez contre la Libération nationale".
Le tract de mai 1941 du PCF (redevenu SFIC, Section Française de l'Internationale Communiste) "Brisons l'arme de l'antisémitisme. Unissons-nous" est tiré à 75 000 exemplaires.
Dès l’armistice de juin 1940, plusieurs textes dirigés contre les Français de « fraîche date » visent implicitement les juifs. Le 22 juillet 1940, une loi remet en question toutes les naturalisations accordées depuis 1927. Le 4 octobre 1940, une autre autorise l’internement dans des camps spéciaux des « ressortissants étrangers de race juive ». Le premier et le second « statut des juifs », le port de l’étoile jaune obligatoire pour tout juif ayant atteint l’âge de six ans, puis plusieurs dizaines de lois et décrets avaient officialisé l’idée que les juifs étaient des êtres inférieurs, qu’il fallait exclure de la société.
Après la dissolution du PCF en 1939, les organisations qui lui étaient rattachées sont contraintes à l’illégalité. Dès septembre 1940, le secteur juif de la MOI crée à Paris Solidarité (sous l’impulsion de Marcel Prenant, du professeur Debré, de Vladimir Jankélévitch et de Charles Lederman, NDLR) (3), première organisation clandestine de résistance juive, chargée entre autres d’aider à survivre ceux qui sont en grande difficulté. Ses militants avaient connu les persécutions antisémites et le fascisme dans leurs pays d’origine, ils avaient lutté pour le Front populaire en France, dans les Brigades internationales en Espagne. Ils savaient ce que signifiait l’arrivée d’Hitler au pouvoir.
La presse clandestine multiforme du secteur juif de la MOI et du PCF alerta sans cesse la population juive : « La déportation, c’est le chemin de la mort ; la résistance et la lutte contre la déportation, c’est le chemin de la vie. » Dans un des tout premiers tracts du PCF, distribué dans le quartier de Belleville en septembre 1940, on lit : « Travailleurs non juifs, artisans, commerçants, pas de propagande antisémite dans notre quartier ! (…) Les maris, les fils de la population juive étaient au front en première ligne avec nous (…), avec nous, ils travaillent et luttent. »
Document consultable:
https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?irId=FRAN_IR_054916&udId=c-3h5l3yvft-1v24xh6g3no1z&details=true&gotoArchivesNums=false&auSeinIR=true
«Frères et sœurs (…), D’après les informations que nous recevons de source sûre, les Allemands vont organiser une rafle et une déportation massive de juifs. (…) Le danger est grand ! (…) La question qui se pose pour chaque juif est : que faire pour ne pas tomber dans les mains des bandits SS ? Que faire pour hâter leur fin et ma libération ? (…)
1. Ne pas attendre à la maison les bandits. Prendre toutes les mesures pour se cacher et pour cacher en premier lieu les enfants avec l’aide de la population française sympathisante.
2. Après avoir garanti sa propre liberté, adhérer à une organisation de combat patriotique pour battre l’ennemi sanguinaire et venger ses crimes.
3. Si l’on tombe entre les mains des bandits, résister par tous les moyens, barricader les portes, appeler à l’aide. On n’a rien à perdre. On peut juste y gagner la vie. Chercher sans cesse à fuir. (…) Chaque juif libre et vivant est une victoire sur notre ennemi. »
Cet appel, en yiddish, fut très largement diffusé dès le 6 juin 1942, six semaines avant la rafle du Vél’ d’Hiv, par Solidarité, organisation clandestine du secteur juif de la MOI. (1)
« Vent printanier », nom de code de la rafle barbare, organisée par René Bousquet (2), prévoyait l’arrestation de 27 391 juifs étrangers, hommes, femmes et enfants, même si ces derniers étaient de nationalité française. En fait, 12 884 personnes furent raflées et rassemblées au Vél’ d’Hiv dans des conditions inhumaines. Nombre de juifs ne sachant ni où aller ni où se cacher n’avaient pu suivre les appels de la résistance juive.
Les brutalités abominables exercées sur les vieillards, sur les femmes et sur les enfants, arrachés à leurs parents, avaient profondément choqué la population parisienne, qui manifesta sa solidarité active lorsqu’il fallut cacher les enfants. Pour ceux que la police française avait arrêtés, après le Vél’ d’Hiv ce furent les chambres à gaz et les fours crématoires.
Entre-temps, à partir de l'été 41, des dizaines de juifs à Paris, Lyon, Grenoble, vont s'engager dans la résistance armée du Parti communiste, au sein de la MOI, accomplissant des actions d'éclat contre l'occupant et payant un très lourd tribut à la traque contre la résistance, et particulièrement la résistance communiste, des forces de l'ordre françaises.
Samuel Tyszelman est un militant communiste juif né le 21 janvier 1921 à Puławy (Pologne), membre des Bataillons de la Jeunesse du Parti communiste (il assuma la direction de la JC des IIIe, IVe et Xe arrondissements, vola de la dynamite dans une clairière de Clichy sous Bois), arrêté lors d'une manifestation patriotique le 13 août 1941 sur les Grands Boulevards, et mort fusillé le 19 août 1941 (à 20 ans) à Châtenay-Malabry. Deux jours plus tard, Pierre Georges (le colonel Fabien) venge Tyszelman en assassinant, pour la première fois en plein jour, un officier nazi le 21 août 1941, lors de l'attentat du métro Barbès.
La dernière lettre de Samuel Tyzelman:
Samuel Tyszelman écrit une dernière lettre à sa famille, le 19 août 1941.« Très chers parents et très chère sœur,Ceci seront certainement les derniers mots que j’écrirais : mes dernières pensées vont à vous. Si, dans ma vie, je vous ai parfois fait quelques misères, pardonnez-moi, d’ailleurs je suis sûr que vous m’avez déjà pardonné. Je vous demanderai surtout une chose à laquelle, je suis sûr, vous ne me refuserez pas de m’obéir, surtout, en quelques sortes, que ce sont mes dernières volontés.Soignez-vous bien et élevez bien Fleur et faites que ce soit vraiment une bonne fille, digne des excellents parents que vous avez toujours été [...]. Je n’aie plus grand-chose à vous dire si ce n’est que jusqu’au dernier moment je penserais à vous.Encore une fois, soignez-vous bien afin de vous garder pour Fleur.Bonjour à tout le monde ou plutôt Adieu.Tous mes baisers pour toi maman, pour toi papa et pour toi Fleur.Je vous adore.Votre fils.Adieu.Samuel. »
" La seule organisation illégale ayant des racines à Paris comme dans la plupart des grandes villes de banlieue et bientôt dans tous les départements, c'est le Parti communiste français. Il aide à créer des organisations syndicales illégales, telles les "Comités populaires".
Le Parti communiste et les "Comités populaires" interviennent dans les entreprises et dans les syndicats légaux contre les créatures de Vichy, organisent la solidarité, la lutte pour les revendications et un meilleur ravitaillement? Chacun de ces mouvements, manifestations, délégations, ayant pour base les revendications immédiates, prend de plus en plus l'aspect d'une lutte contre l'occupant et Vichy.
C'est ainsi que dans les premiers mois de l'occupation, on recense les grèves dans la région parisienne: métallos de chez Farman à Boulogne, chez Bardet dans le XVIIIe, à Argenteuil... En mars 1941, c'est le tour des ouvriers du bâtiment. Ce sont les comités populaires clandestins qui sont à l'origine de ces mouvements.
Les femmes communistes organisent des manifestations pour un meilleur ravitaillement à Paris, à Bezons, Argenteuil, et dans de nombreuses villes de la banlieue.
Le 7 avril 1941, 3000 femmes de l'usine "Le Raffia" à Issy-les-Moulineaux, usine travaillant pour l'armée allemande et fabriquant des filets de camouflage pour les canons, se mettent en grève et manifestent jusqu'à Montrouge. La police française intervient: 17 femmes sont arrêtées et livrées aux Allemands. Un groupe de l'O.S tente d'incendier l'usine, n'occasionnant que de faibles dégâts.
En Seine-et-Oise, les directions fédérales du Parti communiste, comme dans les autres départements, font récupérer les armes abandonnées, nécessaires à la lutte armée de demain, quand elle deviendra possible...
Des tracts du Parti Communiste, et des éditions clandestines de l'Humanité sont distribués, des fils téléphoniques de l'armée allemande cisaillés.
Dans une affiche datée du 23 août 1940, le préfet de Seine-et-Oise, Marc Chevalier, se plaint en ces termes de l'activité des communistes:
"Habitants de Seine-et-Oise,
(...) Je donne un premier avertissement aux fauteurs de trouble qui... poursuivent leur campagne de haine et d'agitation par des tracts et des affiches anonymes... Les manifestations de cet ordre, dès qu'elles seront découvertes dans une commune de Seine-et-Oise, entraîneront, à titre de sanction, l'internement administratif des principaux militants communistes résidant dans la commune. Des actes de sabotage continuent à s'exercer contre le matériel des armées d'occupation. Je ne saurais assez blâmer ces tentatives aussi lâches que stupides... Celui qui se livre à ces gestes criminels est un mauvais citoyen...
Vous ne servirez utilement votre pays, tout en gagnant l'estime des autorités d'occupation avec lesquelles je collabore en toute loyauté pour la défense de vos intérêts, que par votre attitude correcte, disciplinée, digne de la réputation et des traditions françaises".
Dès l'été 1940, la Jeunesse Communiste se réorganise en zone occupée avec des camarades comme Danielle Casanova, André Le Roy, Camille Baynac, Madeleine Vincent, Henriette Schmitt, Lucien Dorland (responsable de l'Avant-Garde), et parmi les étudiants, Francis Cohen, François Lescure, Suzanne Dijan, Claude Lalet, Bernard Kirschen (Bob).
Guy Moquêt, responsable des Jeunesses Communistes du XVIIe, est arrêté le 13 octobre 1940 à la gare de l'est alors qu'il avait pendant des semaines collé des papillons patriotiques et distribué des tracts dans le XVIIe. Emprisonné à Fresnes puis à Clairvaux, et Châteaubriant où il restera 8 mois, il sera fusillé le 22 octobre 1941.
Le 11 novembre 1940, les lycéens et étudiants communistes parisiens vont frapper un grand coup à l'Etoile, se dirigeant vers les Champs Elysées pour rejoindre des anciens combattants.
Dès juillet-août 1940, ils reconstituaient leur organisation en Sorbonne et faisaient paraître le journal communiste étudiant clandestin et de résistance La Relève , sous l'animation de Francis Cohen, François Lescure, Suzanne Dijan. A l'été 1940, ces étudiants communistes, menés par Christian Rizo et Tony Bloncourt, jettent des tracts avec l'appel de Maurice Thorez et Jacques Duclos contre Vichy dans l'amphi de la Sorbonne, ils manifestent contre un professeur tenant des propos antisémites en étalant des œufs frais sur son tableau. Ils perturbent les cours des étudiants collaborateurs. Fin octobre 1940, le professeur Paul Langevin, libre-penseur, est arrêté, et les étudiants communistes organisent des manifestations et des distributions de tracts en sa faveur. La "marseillaise" déjà est chantée par des jeunes.
Le 11 novembre, l'UNEF, les lycéens et étudiants communistes organisent par des diffusions de papillons, d'affiches et de tracts un regroupement des lycéens et étudiants pour une cérémonie patriotique aux Champs-Elysées. Des arrestations ont lieu, des jeunes sont blessés grièvement par les soldats allemands, à qui la police française prête la main.
Les journaux de la "kollaboration" comme le Cri du Peuple du 22 novembre vitupèrent les responsables de la manifestation, "ces jeunes Juifs, ces jeunes socialo-communistes, ces jeunes pourris de la maçonnerie..." auxquels il ajoute les "Camelots du Roy".
19 jeunes communistes sont arrêtés le 20 novembre, dont des dirigeants de secteur comme Bernard Kirschen, Othman Ben Aleya, Claude Lalet. Francis Cohen écrit à propos de la journée patriotique et anti-allemande de la jeunesse parisienne du 11 novembre 1940:
"Le fait est que.. la seule force politique organisée qui soit intervenue alors était constituée par les communistes. Mais une grande quantité d'individus et de groupes de tendances démocratiques ou patriotiques diverses se sont mis en mouvement. C'est cette rencontre qui devait être le sens de la Résistance française et la signification historique du 11 novembre 1940".
" Dans le XVIIIe, c'est Jacques Grinbaum, vingt ans, des H.B.M du boulevard Ney qui reconstitue l'organisation locale clandestine de la jeunesse Communiste. Il se procure une ronéo, commence à tirer les premiers tracts.
Avec Jacques parmi les premiers jeunes communistes, il y a en 1940, Odile Arrighi, Nicolas Berger, Georges Tondelier, Léone Bourgineau, Marie-Rose Cullet, Bernard Pickewitz, Rosine Radzinski...
Une nuit de juillet 1940, avec ses camarades, Jacques va écrire au minium sur les bassins qui entourent le Sacré-Coeur ces trois mots d'ordre: "A bas l'occupant", "Vive l'URSS", "Vive la France" .
Jacques Grinbaum sera fusillé avec Gabriel Péri et quatre-vingt douze autres camarades, au mont Valérien, le 15 décembre 1941. Dans sa dernière lettre, il écrit à sa maman:
"Parmi toutes les mères, tu as été une mère exceptionnelle parce qu'avec papa tu as fait de moi ce que je suis... Des années heureuses viennent, je le sens. Dans son post-scriptum, il ajoute: Trois heures quinze du matin! Bientôt l'exécution. Je suis calme et j'attends. Une force me soutient et je tiens! J'espère que vous tiendrez, promettez-le moi au delà de la mort"..."
"Dans le XIe, Jean Capievic, Gilbert Brustlein, Jean Bozon, Liliane Levy, Henri et Maurice Chevit, Bernard Zalkinov, Acher Semhaya et sa sœur, reconstituent les cercles des Jeunesses communistes. Ils partent le dimanche, sac au dos dans les belles régions de l'Ile de France, y préparent les tracts clandestins qui vont apparaître dans le XIe, seront les premiers à distribuer en juillet 1940 l'appel de Maurice Thorez et Jacques Duclos, dans le XIIe, au marché d'Alligre".
A Saint Denis
En banlieue, les jeunes des H.L.M et de toutes les grandes cités populaires ne baissent pas la tête face à l'occupant. A Saint Denis où sévit le traître Doriot, dès juillet 1940, des jeunes communistes dionysiens sont arrêtés dans le quartier de la mutualité pour distribution de tracts antinazis. En août des affiches manuscrites antiallemandes sont collées durant la nuit en divers endroits de la ville notamment à la gendarmerie, à la légion d'honneur et à la mairie.
Le 2 septembre, cinq jeunes communistes, dont le dirigeant est Fernand Devaux ainsi que René Lambolley, sont arrêtés en distribuant des tracts rue des Ursulines (René Lambolley mourra à Auschwitz).
A la plaine, dès juillet 1940, sous la direction de Brazzini, un groupe très actif des Jeunesses Communistes se reconstitue. Ils sont une vingtaine dans le cercle de La Plaine qui dès 1940 vont organiser la résistance. Six seront fusillés par les nazis en 1942: Lucas Fernandez, Emile Chrétien, Ferrec, Marcos, Pérez et Toupin.
Quatre sont morts dans les camps de concentration: Louis Rivero, Riancho, Bacna et une jeune fille Eléonore Rubiano. Sept sont revenus de déportation; Angèle Koulikoff, Manuel Torrès, Granja, Marcel Martin, Jean Simon, Febrero et Zoilo.
Parmi eux, Benito Sacristan, dit Manuel, échappé aux rafles de 1940 et de septembre 1941, fera partie des premiers groupes franc-tireurs de la Jeunesse communiste (Les Bataillons de la jeunesse); arrêté en juillet 1942, il sera fusillé le 11 août 1942, sans qu'il est dénoncé un seul de ses camarades malgré les plus affreuses tortures infligées par les nazis. Il avait 21 ans.
La répression de 1940
En novembre 1940, la Jeunesse communiste organise dans toutes les mairies de Paris et de la banlieue le dépôt des pétitions et des cahiers de revendication des jeunes démobilisés. Des milliers de jeunes seront touchés par cette campagne.
Jean Calma, membre du Comité Central des Jeunesses Communistes, est à la tête de plusieurs centaines de jeunes de la banlieue Est dont il est le responsable; ils portent les "cahiers" des démobilisés. J. Calma est arrêté ce jour-là. Jeune étudiant en médecine, aux traits si fins, si beau au physique comme au moral, un des espoirs de la Jeunesse communiste, il sera enfermé dans une cellule, torturé jusqu'à ce qu'il perde la raison et ensuite fusillé par les nazis.
C'est grâce au courage de ces pionniers de la Résistance que dans Paris et sa banlieue, comme en Seine-et-Oise, les actions se développent.
Les rapports hebdomadaires de la Gestapo sont significatifs. Celui du 30 septembre 1940 s'exprime ainsi:
"Pour mettre un terme à tout nouvel accroissement de la propagande communiste à Paris, la police parisienne appliquera des mesures préventives qui consistent à arrêter et interner dans un camp tous les dirigeants et militants communistes actifs connus à Paris".
Le bulletin municipal officiel de la Ville de Paris du 21 octobre 1940 publie un arrêté du préfet de police Langeron:
"Toutes découvertes de tracts clandestins sur le territoire d'une commune de la Seine entraînera l'internement administratif d'un ou de plusieurs communistes notoires connus résidant sur le territoire de cette commune".
Des affiches analogues seront placardées dans la Nièvre, en Bretagne et dans des dizaines de départements. Le journal "kollaborateur" Le Matin donne le 14 novembre 1940 l'information suivante:
"La police parisienne collabore loyalement avec l'autorité d'occupation. Elle s'est dressée contre la propagande communiste qui essayait d'exploiter les difficultés de l'heure. Elle a arrêté en quelques semaines 871 "meneurs".
Le traître Marcel Déat s'en prend dans son éditorial du 6 novembre 1940 dans l'Oeuvre à la propagande communiste, il écrit:
"Nos communistes sont redevenus nationalistes. Leurs tracts clandestins ont des conclusions entièrement parallèles aux propos gaullistes. Il n'est question que de libération et de l'indépendance de la France et que l'on nous assure que seul le communisme lui restituera sa pleine souveraineté".
Le rapport de la Gestapo, transmis à Berlin en janvier 1941, reprend le thème de l'article de Marcel Déat et ajoute:
"Le Parti communiste affirme son intention de tendre la main à chaque Français ayant conservé le sens de l'honneur et à qui l'intérêt national tient à coeur".
Olga Bancic (1912-1944), héroïne de la résistance française communiste FTP-MOI, d'origine juive roumaine
Olga Bancic, héroïne de la résistance juive communiste FTP-MOI en France
Le 10 mai 1944, jour de son trente-deuxième anniversaire, les nazis mettent fin à la vie de cette noble héroïne. Traînée devant un billot dressé sur une place de Stuttgart, le bourreau abat sa hache sur le cou d'Olga Bancic.
Olga Bancic est une juive roumaine née en 1912 en Bessarabie, alors province russe. Sixième enfant d’un petit fonctionnaire, à quatorze ans, elle a commencé à travailler comme ouvrière. Après une enfance et une jeunesse active et animée en Roumanie, pays où elle est née en mars 1912 dans la ville de Kichinev, alternant travail clandestin et séjours en prison pour ses activités syndicales et revendicatives, à seize ans et demi, elle se marie et part à Bucarest, où elle adhère aux Jeunesses communistes.
Sa famille avait rejoint la Roumanie en 1918. Le père, un modeste agent municipal, ne pouvait assurer la subsistance de sa famille, tous ses enfants doivent travailler. Olga fut placée dans une fabrique de gants à l’âge de 12 ans. Les conditions de travail étaient épouvantables. En 1924, la jeune Olga participa à une grève et à une manifestation dans l’usine de gants où elle travaille. En 1929 elle épousa l'écrivain Solomon A. Jacob, connu sous le nom d' Alexandru Jar (1911-1988).
Communiste, elle est arrêtée par la Sûreté roumaine, incarcérée, maltraitée et battue.
De 1933 à 1938, elle fut un membre actif du syndicat ouvrier local et continue la lutte syndicale malgré les dangers encourus. Militante au sein des jeunesses communistes de Roumanie elle participa à la création d'un « Front Populaire contre le fascisme », où elle croisa sa toute jeune compatriote Hélène Taich.
Plusieurs fois arrêtées, condamnées et emprisonnées, elles sont traquées et se réfugient en France.
Arrivée en France en 1938, Olga poursuit des études à la faculté de lettres où elle retrouve son mari, qui combat pendant la guerre d'Espagne dans les Brigades Internationales. Le couple aide les Républicains espagnols en envoyant des armes avec son ami Jacob Salomon au groupe franco-belge "Pauker" de la 35e division des Brigades Internationales, commandé par le français Gaston Carré et le roumain Valter Roman. Elle n'a alors que 26 ans.
Olga est une femme pleine de charme, douce et gentille, d'une rare beauté, elle milite au côté de ses camarades communistes parisiens et quand le gouvernement Daladier signe le honteux pacte de Munich, elle est de ceux qui ne croient pas un seul instant que cette capitulation devant Hitler puisse sauver la paix.
Elle reste communiste après le pacte germano-soviétique qui la surprend et l'interdiction du PCF en septembre 1939.
En 1939, elle donne naissance à une fille, Dolorès, prénommée ainsi en hommage à Dolores Ibarruri « La Pasionaria » mais familièrement appelée « Dolly »
Après l’invasion de la France, Olga Bancic confie sa fille à une famille française et s’engage dans l'organisation clandestine Main d'Oeuvre Immigrée (MOI) des étrangers communistes, dans l'organisation armée OS. Les OS, la base des FTPF, sont créés sous la direction de Charles Tillon.
Leur groupe FTP-MOI s'engage dans la lutte armée. Les restaurants de luxe fréquentés par les officiers allemands sont des cibles idéales pour les partisans. Des grenades lancées à travers les vitres sèment la panique. Jusqu'en 1944, le Parti communiste, avec les FTP-MOI, sont quasiment les seuls mouvements de résistance à engager la lutte armée avec l'Occupant à Paris.
Sous le pseudonyme de « Pierrette », elle est chargée de l’assemblage des bombes et des explosifs, de leur transport et de l'acheminement des armes avant et après les opérations Elle a ainsi participé indirectement à une centaine d'attaques. Arsène Tchakarian indique:
« Anna Richter et Olga Bancic devaient, à l'heure dite, apporter les grenades et les revolvers puis devaient les récupérer après l'action ce qui les exposait terriblement après l'attentat, le quartier étant bouclé par les forces de sécurité allemandes…. »
Sous le nom de Mme Martin demeurant no 8 rue des Ciseaux elle louait une chambre située no 3 rue Andrieux ou elle entreposait les armes. Elle demeurait réellement au no 114 rue du Château à Paris.
Salomon Jacob est arrêté en septembre 1941. Un rapport de police, du 15 décembre 1941, mentionne Olga Bancic à propos de l’évasion de son ami de l'hôpital Tenon le 23 novembre 1941. . Il est interné à Drancy.
Arsène Tchakarian indique qu'« elle participa à une centaine d'attaques contre l'armée allemande menés par le groupe Manouchian. »
Le 17 mars 1943, Pierrette livre des grenades à Mounouchian qui, à Levallois-Perret, va détruire un car bondé de soldats allemands. Même opération à Villeneuve Saint-Georges pour détruire des pylônes électriques. A partir de l'automne 1943, le groupe Manouchian est repéré et pris en filature par les RG.
Elle est arrêtée à Paris par les Brigades Spéciales (BS2), le 6 novembre 1943, en même temps que Marcel Rayman et Josef Svec. . Soixante-huit membres des FTP MOI sont interpellés et vingt-trois d’entre eux sont emprisonnés à Fresnes en attendant d'être jugés.
La concierge du 3 rue Andrieux s'inquiétant de l’absence de madame Martin qui de ce fait ne réglait pas la location de la chambre, prévient la police. Le , les policiers du commissariat du quartier de l'Europe perquisitionnent la chambre et y trouvent : 13 grenades, 3 pistolets, 1 browning, 3 revolvers à barillet, 60 bombes, 3 cartouchières garnies, 1 sac d’accessoires pour engins incendiaires, plusieurs boîtes de cartouches, 1 boîte de plaques incendiaires, 1 boîte d’explosifs.
« Avant le procès, des milliers d’exemplaires de « l’Affiche Rouge» montrant le visage de dix membres du groupe de Missak Manouchian sont placardés dans tout Paris. »
Sur cette affiche, la photo d'Olga Bancic n'apparaît pas.
Le 21 février 1944, les 23 prisonniers sont condamnés à mort par une cour martiale allemande, réunie à Paris à l'hôtel Intercontinental le 15 février 1944 . Pour Adam Rayski, l'existence d'un procès public, et l'allégation que les accusés auraient comparu dans une salle d'audience, est « un énorme mensonge de la propagande allemande et vichyssoise».
Olga, qui a été atrocement torturée au nerf de bœuf par la police française, est transférée en Allemagne le , tandis que les vingt-deux hommes du groupe Manouchian sont fusillés le au fort du Mont Valérien.
Vingt-deux, plus Olga Bancic, qui périra 2 mois et demi plus tard.
"Vingt-trois étrangers et nos frères pourtant", dira Louis Aragon dans son poème L'Affiche Rouge, magnifiquement interprété par Léo Ferré.
Et l’on sait que, malgré les tortures ignobles de ses geôliers, elle n’a pas cédé ni concédé le moindre renseignement pouvant les servir dans leurs tristes besognes. On sait aussi que, durant le laps de temps qui s’est écoulé entre la date de sa condamnation et son exécution en Allemagne elle fut de nouveau lourdement harcelée et torturée, sans jamais céder.
Incarcérée à Karlsruhe, puis transférée le à Stuttgart, elle est guillotinée le 10 mai 1944, elle avait trente-deux ans.
Son mari, Alexandre Jar, échappe aux arrestations de . Après la Libération il quitte les FTP-MOI et retourne avec sa fille Dolly en Roumanie, devenue communiste.
Olga Bancic jeta à travers une fenêtre une dernière lettre, datée du , adressée à sa fille, pendant son transfert à la prison de Stuttgart pour y être exécutée. La note jointe, adressée à la Croix-Rouge, précisait (texte dont l’orthographe est corrigée) :
« Chère Madame. Je vous prie de bien vouloir remettre cette lettre à ma petite fille Dolorès Jacob après la guerre. C’est le dernier désir d’une mère qui va vivre encore 12 heures. Merci. »
La lettre adressée par Olga Bancic à sa fille Dolorès :
« Ma chère petite fille, mon cher petit amour.
Ta mère écrit la dernière lettre, ma chère petite fille, demain à 6 heures, le 10 mai, je ne serai plus.
Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir. Sois fière de ta mère, mon petit amour. J’ai toujours ton image devant moi.
Je vais croire que tu verras ton père, j’ai l’espérance que lui aura un autre sort. Dis-lui que j’ai toujours pensé à lui comme à toi. Je vous aime de tout mon cœur.
Tous les deux vous m’êtes chers. Ma chère enfant, ton père est, pour toi, une mère aussi. Il t’aime beaucoup.
Tu ne sentiras pas le manque de ta mère. Mon cher enfant, je finis ma lettre avec l’espérance que tu seras heureuse pour toute ta vie, avec ton père, avec tout le monde.
Je vous embrasse de tout mon cœur, beaucoup, beaucoup.
Adieu mon amour.
Ta mère. »
Marcel Rajman - Né en Pologne en 1923, à Varsovie, Marcel Rayman ou Rajman a émigré en France, à Paris, avec ses parents et frère, âgé de 2 ans, en 1930. Il exerce le métier de tricoteur, à la suite de son père, qui possédait un atelier. Il milite à la Jeunesse communiste clandestine. D'abord rattaché à l'Union de la Jeunesse Juive, section juive de la MOI, et à son journal clandestin "Jeune combat", en 1942, il s'engage dans le 2e détachement juif des FTP-MOI. Il est nommé moniteur pour entraîner les nouveaux combattants. A l'été de 1943, il devient responsable militaire de l'équipe spéciale en charge des exécutions les plus spectaculaires. Parmi les actions auxquelles il participe, l'exécution du patron du STO, Julius Ritter. Arrêté le 16 novembre 1943, il est exécuté le 21 février 44.
Irma Mico, originaire de Roumanie, qui poursuit en France des études de pianiste, autour d'activités de Solidarité: cantine populaire de la rue de Saintonge à Paris, foyer ouvrier de la rue du Faubourg du Temple. Le groupe communiste roumain d'Irma Mico confectionne des tracts en s'inspirant de "L'Humanité" clandestine. Avec Irma Schwager, 22 ans, jeune résistante communiste juive de la MOI engagée dans "le travail allemand", une unité clandestine dont le but est de saper le moral des troupes allemandes à Paris. Voir documentaire: Irma & Irma, femmes de lumière en temps obscurs - Hannes Gellner
Ce même 15 mai 1941, quand des milliers de juifs sont envoyés en camps de concentration, la presse de la collaboration, Paris-Soir, avec ses journalistes traîtres ayant pignon sur rue, commente le départ de la gare d'Austerlitz de ces "Israélites": "Cinq mille Juifs sont partis, cinq mille Juifs étrangers ont couché leur première nuit dans un camp de concentration. Cinq mille parasites de moins dans le grand Paris qui en avait contracté une maladie mortelle. La première ponction est faite, d'autres suivront".
Dès la fin 1940 et le début 1941, Gabriel Péri et Georges Politzer rédigent à l'inverse des textes polémiques brillants qui portent le fer contre l'antisémitisme, les idées nazies et de collaboration.
En mars 1941, la direction du PCF considère que l'objectif de libération nationale est prioritaire même par rapport à la révolution sociale et au combat de classe, comme aux divergences idéologiques.
"Le premier objectif de notre peuple, c'est la libération nationale... Les communistes s'adressent à TOUS les Français qui placent avant toute autre préoccupation la libération nationale de notre peuple, et qui sont décidés à lutter effectivement pour ce but. Nous appelons à l'union et l'action les travailleurs socialistes et radicaux qui ont lutté avec nous dans le passé pour faire triompher le Front populaire, trahi par leurs chefs. Nous appelons à l'union et à l'action les travailleurs catholiques, éloignés de l'esprit rétrograde et de soumission au Capital des princes et de l'Eglise. Nous appelons à l'union et à l'action les travailleurs égarés jusqu'alors derrière les partis de réaction et les groupements dits "nationaux", traîtres à la nation" (Maurice Thorez, Mars 1941, cité par Roger Martelli dans Communisme français: histoire sincère du PCF, 1920-1984)
Mais en réalité les deux combats vont se mener de front. En mai 1941, des dizaines de milliers de mineurs se mettent en grève dans le Nord et le Pas-de-Calais, mouvement prépaté par des militants clandestins qui débouche sur un puissant combat de portée nationale.
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