Gouvernement Attal : enquête sur ces millionnaires qui nous gouvernent (L'Humanité, 11 février 2024)
D’après les éléments rassemblés par l’Humanité, la moitié des ministres, au moins, disposent d’un patrimoine de plus d’un million d’euros. Mieux : un tiers du nouveau gouvernement pourrait être classé parmi le 1 % de Français le plus fortuné. De quoi expliquer la guerre de classe promise parmi les priorités fixées ce week-end par Gabriel Attal ?
Thomas Lemahieu, L'Humanité, 11 février 2024
Il fallait le faire, et Emmanuel Macron l’a très probablement fait : désormais au complet – avec 34 membres au total –, le gouvernement dirigé par Gabriel Attal compte, en proportion, autant et même vraisemblablement plus de millionnaires que celui d’Élisabeth Borne en 2022.
À l’époque, déjà, les patrimoines des ministres dépassaient ceux des gouvernements d’Édouard Philippe et de Jean Castex qui, eux-mêmes, écrasaient ceux des ministres socialistes et apparentés sous François Hollande.
Les données officielles et stabilisées ne seront pas connues avant plusieurs longs mois, le temps que les responsables politiques fassent leur déclaration d’intérêts et de patrimoine à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP). Et que celle-ci, dans la foulée, procède à leur examen avant de demander, si nécessaire, des précisions ou des modifications.
Mais, rien qu’à partir des éléments archivés et exhumés par l’Humanité – après la désignation à une fonction ministérielle ou élective au Parlement, les documents précédents sont, en effet, retirés du site de la HATVP –, il est déjà possible de décompter 17 millionnaires, soit un ministre sur deux.
Cela, sans tenir compte de tous ceux dont les données restent parcellaires ou inexistantes à ce stade. De quoi jeter une lumière un peu plus crue sur un gouvernement resserré, peut-être, en nombre mais pas en surface financière.
Une assurance-vie estimée à 1,5 million d’euros pour Gabriel Attal
Ainsi, quand le Conseil de ministres se réunit, comme samedi, pour une session dite de team building, afin de fixer les « priorités » et le « calendrier », c’est Gabriel Attal, si jeune premier ministre et déjà si riche – il dispose d’une assurance-vie évaluée à près de 1,5 million d’euros – qui est aux manettes.
Avec une fortune estimée à 7 millions d’euros, tirée en bonne partie des actions gratuites qu’elle a pu accumuler chez Axa, puis Carrefour, Amélie Oudéa-Castéra est toujours là, même si elle a perdu le portefeuille de l’Éducation nationale, transféré à Nicole Belloubet dont le patrimoine global avait été estimé à un million d’euros.
Après avoir touché pour 10 millions d’euros de salaires pendant quelques années à la Caisse de dépôt et de placement du Québec, avant de descendre dans l’arène politique macroniste, Roland Lescure, ministre délégué à l’Industrie et à l’Énergie, peut s’appuyer sur un patrimoine global évalué à 5 millions d’euros.
Un montant similaire pour l’ancien ténor du barreau, Éric Dupond-Moretti, qui a, au-delà de ses confortables émoluments comme avocat, ramassé le gros lot (près de 800 000 euros entre 2016 et 2020) en droits d’auteur et comme acteur de théâtre, juste avant de rentrer au gouvernement. Un chiffre dont, pour le Garde des Sceaux, on doit retrancher toutefois des dettes tournant autour de 1,1 million d’euros.
Ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini déclare un patrimoine juste en dessous des 4 millions d’euros, mais avec des emprunts chiffrés autour de 2,5 millions – ce qui en dit probablement long sur la confiance que les plus aisés peuvent inspirer aux banques.
Puis, il y a tous les autres, du champion toutes catégories Franck Riester à Agnès Pannier-Runacher, en passant par Dominique Faure et Jean-Noël Barrot, mais encore Olivia Grégoire, Fadila Khattabi, Sylvie Retailleau, Christophe Béchu ou Marc Fesneau, tous au-dessus du million, et parfois largement !
Selon l’Observatoire des inégalités, en France, les 10 % les plus fortunés possèdent des biens financiers, immobiliers ou professionnels d’un montant de 716 000 euros au minimum. Dès lors, les deux tiers du gouvernement Attal sont à ranger dans cette catégorie.
Possédant plus de 1,03 million d’euros, la moitié du gouvernement ferait, en l’occurrence, plutôt partie des 5 % des plus riches. Et dans le lot, au moins 9 membres du gouvernement actuel – un sur trois, sans doute, au bout du compte – sont en réalité à classer dans le 1 % des plus riches, c’est-à-dire parmi ceux qui détiennent un patrimoine dépassant les 2,2 millions d’euros.
Le spectre des conflits d’intérêts
Derrière les patrimoines, la HATVP va devoir se pencher également sur les conflits d’intérêts. Au sens strict, d’abord : il s’agit d’organiser les mises en retrait des ministres quand ils ne peuvent, du fait de leur passé professionnel ou de leurs liens familiaux, garantir leur indépendance.
Plusieurs décrets organisant des « déports » ont d’ores et déjà été pris par le premier ministre : le plus volumineux concerne le ministre de la Justice qui, du fait de son passé d’avocat, ne peut s’intéresser à la carrière de magistrats ayant officié dans des affaires où il était impliqué, au sort de ses anciens clients ou de son cabinet, etc.
Ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, dont le patrimoine total ne dépassait pas les 450 000 euros il y a quelques années, devra s’abstenir d’intervenir sur tout dossier lié à Aéroports de Paris (ADP), sa sœur ayant épousé le PDG du groupe, Augustin de Romanet.
Enfin, avant d’être renvoyée aux seuls Sports et aux jeux Olympiques et Paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra devait s’interdire de toucher à quoi que ce soit lié aux activités de son mari, chez Capgemini ou Sanofi. Mais s’abstenir également sur ses activités passées, chez Axa, Carrefour – l’un et l’autre sponsors des JOP (jeux Olympiques et Paralympiques) – ou à la Fédération française de tennis.
Mais, derrière l’inventaire et le passage obligé au nom de la transparence, c’est un autre conflit d’intérêts que prépare le gouvernement Attal… D’une tout autre ampleur, avec ses priorités annoncées sur le droit du travail, l’école ou le logement.
Un conflit politique qu’on peut d’ailleurs entendre sourdre dans la nature même des patrimoines des ministres : alors que, par-delà le cas Oudéa-Castéra, les fortunes mi-actionnariales mi-salariales issues des géants du CAC 40, comme celles de Muriel Pénicaud ou de Laurence Boone, ont plutôt tendance à régresser au sein de l’équipe Attal, beaucoup de ministres, détenteurs parfois de cinq à dix propriétés immobilières, assoient leur patrimoine sur la pierre.
Et au fond, si Guillaume Kasbarian, ex-employé de cabinets de conseil et désormais ministre du Logement, poursuit, malgré le tollé suscité par sa désignation, une politique de répression des locataires, ce sera tout bénef… pour les membres du gouvernement et leur camp social.
Legs familiaux ou réseaux d’affaires : cinq ministres fortunés à l'épreuve de la HATVP
Les membres du gouvernement ont deux mois pour remettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique leurs déclarations actualisées d’intérêts et de patrimoine. Revenus sur les cinq dernières années, participations même à titre gracieux à des organismes divers, propriétés immobilières, comptes en banque, instruments financiers comme les plans d’assurance-vie… Tout doit y passer.
Franck Riester, ministre délégué au Commerce extérieur : à jamais le premier
Une fois de plus, c’est à lui que revient la palme : héritier de plusieurs garages et concessions automobiles créés par un aïeul, Franck Riester détient, avec plus de 10 millions d’euros selon la dernière estimation en date, la plus grande fortune au sein du gouvernement.
En plus de ses émoluments en tant que ministre – autour de 100 000 euros net par an –, il peut ainsi compter, chaque année, sur les confortables dividendes versés par l’entreprise familiale et ses diverses sociétés civiles immobilières (SCI).
Député UMP depuis 2007 et proche de Bruno Le Maire, celui qui a réussi à se maintenir au gouvernement depuis plusieurs années, passant par la Culture et les Relations avec le Parlement, sous Édouard Philippe, Jean Castex, Élisabeth Borne et Gabriel Attal, possède plusieurs appartements et maisons à Paris, en Seine-et-Marne et en Savoie.
Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture : taux (de conflit) d’intérêts à la hausse
Dans ses précédentes fonctions à Bercy, elle avait une longue liste de sujets sur lesquels elle devait s’abstenir d’intervenir, sous peine de conflit d’intérêts. Ex-dirigeante de la Compagnie des Alpes, contrôlée par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), Agnès Pannier-Runacher devait se déporter sur des sujets comme les parcs de loisirs, les remontées mécaniques, les tour-opérateurs en ligne, l’hôtellerie et restauration et même tout le secteur du tourisme.
Mais ça n’était pas tout : elle devait également s’interdire de prendre part à des décisions concernant l’entreprise de nettoyage Elis (où elle a fait une partie de sa carrière et dont elle détient encore des actions). Même chose pour l’armateur Bourbon et le groupe financier australien Macquarie impliqué dans le secteur autoroutier français.
Et, last but not least, elle devait s’écarter des dossiers liés au géant pétrolier français Perenco où son père avait occupé des postes élevés d’encadrement. Côté intérêts, la liste est longue… Et pour le patrimoine, c’est pas mal aussi : outre des biens immobiliers évalués au-delà de 1,2 million d’euros, elle disposait, lors de sa dernière déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de vie politique (HATVP), de plus d’un million d’euros sur ses comptes courants dans les banques.
Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales et à la Ruralité : l’autre tenniswoman du gouvernement
C’est l’autre ancienne championne de tennis du gouvernement. Mieux : elle a, tout comme Amélie Oudéa-Castéra, frayé dans les instances de la Fédération française de tennis (FFT).
Jusqu’à son entrée au gouvernement, en novembre 2022, l’ex-numéro 12 française avait mené une carrière professionnelle à des postes de direction intermédiaire ou locale dans des groupes comme Motorola, SFR ou Veolia.
En parallèle d’une carrière de maire de Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne) et d’élue à Toulouse Métropole, Dominique Faure est ensuite rentrée dans le monde du « conseil » et des consultants chez Altedia, puis chez Grant Thornton.
Ce dernier dispose d’ailleurs d’une branche « secteur public », avec une spécialité pour les collectivités territoriales. Dans la dernière version en date de sa déclaration d’intérêts – avant l’actualisation en cours –, Dominique Faure ne s’étendait pas sur le sujet. Concentré sur six propriétés immobilières et une holding contrôlée avec son mari, son patrimoine s’approche des 2 millions d’euros.
Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé des Affaires européennes : un air de dynastie familiale
Petit-fils de Noël Barrot, résistant dans l’Armée secrète puis député MRP après la guerre, et fils de Jacques Barrot, l’ancien hiérarque centriste qui a été ministre sous Giscard et Chirac, l’économiste encarté au Modem dispose d’un solide patrimoine : des propriétés immobilières évaluées à 2,25 millions d’euros, des plans d’assurance-vie pour un montant global de 1,6 million, une épargne-retraite du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), où il a un temps enseigné. Et encore quelques centaines de milliers d’euros en plus sur ses comptes bancaires.
Côté famille, Jean-Noël Barrot a également une sœur, Hélène, qui s’occupe de la communication pour l’Europe de l’Ouest et du Sud au sein de la plateforme de VTC Uber.
Une proximité qui l’a poussé à « se déporter » sur le sujet, alors qu’il était auparavant ministre délégué à la Transformation numérique et que le scandale des Uber Files venait d’éclater dans l’Union européenne. Hasard ou coïncidence : dans le jury de thèse, en 2012, de Jean-Noël Barrot, on retrouve David Thesmar et Augustin Landier, deux des économistes à qui le géant américain commandera une étude « académique » en 2016.
Rachida Dati, ministre de la Culture : rattrapée par la patrouille de la transparence
Sur le site Internet de la Ville de Paris, sur la fiche de présentation de celle qui fut longtemps première opposante de droite à Anne Hidalgo et qui est désormais passée avec armes et bagages à la Macronie, les deux lignes paraissent cinglantes.
Rachida Dati « n’a pas souhaité transmettre sa déclaration de patrimoine ». Puis : Rachida Dati « n’a pas souhaité publier » sa déclaration d’intérêts. Mais maintenant qu’elle est au gouvernement, elle aura du mal à y couper. Il y a quelques années, au Parlement européen, l’ex-magistrate devenue avocate et consultante avait été recadrée pour avoir omis de déclarer une société de conseil, dissoute depuis.
Alors que ses avocats bataillent, en arguant de la prescription, pour empêcher son renvoi devant la justice dans l’affaire Renault-Nissan – après une longue information judiciaire, le Parquet national financier (PNF) soupçonne des versements frauduleux, pour un total de 900 000 euros, par la filiale financière du groupe aux Pays-Bas –, l’ex-sarkozyste en diable Rachida Dati pourrait avoir à dévoiler ses revenus, ses intérêts et son patrimoine. De quoi accréditer ou lever, peut-être, une bonne fois pour toutes les interrogations sur son inscription dans certains milieux d’affaires, de GDF-Suez à EDF et son ancien PDG Henri Proglio, en passant par le Qatar ou l’Azerbaïdjan…
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