Les « sages » ont rendu leur verdict, ce jeudi : pas de censure totale de la loi Darmanin, mais 35 articles tombent, dont les dispositifs les plus droitiers du texte. Une victoire malgré le pari cynique de l’exécutif, qui se réjouit de voir la loi épurée.
Opération grand nettoyage. Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision sur la loi immigration, ce jeudi, et censuré, comme attendu, une large partie du texte. Les conseillers de la Rue de Montpensier ont ainsi jugé inconstitutionnels 35 articles du projet de loi, soit plus du tiers du texte.
La plupart des articles censurés (32) l’ont été au motif que les dispositifs n’ont pas de lien avec l’objet de la loi – ce sont les fameux cavaliers législatifs. Un argument de procédure pour faire tomber les articles les plus sensibles, manière d’éviter de se prononcer sur le fond de leur contenu.
Il en va ainsi des réformes les plus droitières prévues par la loi, à commencer par la « préférence nationale » pour l’accès aux prestations sociales, selon que l’on soit étranger ou non, extra-européen ou non, travailleur ou non. Même sort réservé au durcissement des conditions du regroupement familial et du droit du sol ou à la caution exigée en versement pour tout étranger qui souhaiterait étudier en France.
Il doit être noté que dans cette décision le Conseil constitutionnel a soigneusement évité de se prononcer sur le fond des nombreuses ruptures d’égalité impliquées par ces articles, les faisant tomber sur la forme.
Même chose pour la question des quotas migratoires. Les « sages » ont censuré la fixation annuelle desdits quotas, mais c’est au motif que cela revient à imposer au Parlement un débat annuel et des objectifs chiffrés, en violation de l’indépendance des pouvoirs. Le principe même du quota n’a pas été discuté.
Darmanin revendique une victoire
Malgré sa pauvreté juridique, le résultat reste une incontestable victoire de l’État de droit sur le calcul cynique de l’exécutif, quand bien même celui-ci se félicite de cette censure, qui s’attaque surtout aux articles ajoutés en commission mixte paritaire (CMP) sous la pression des « Républicains », mais avec l’assentiment des députés de la majorité. La loi ainsi censurée ressemble à la version initiale du texte de Gérald Darmanin, avec des expulsions facilitées.
« Le Conseil constitutionnel valide l’intégralité du texte du gouvernement, s’est ainsi réjoui le ministre de l’Intérieur, qui a publié le même jour des chiffres montrant une hausse des expulsions et une baisse des acquisitions de la nationalité française sur l’année 2023. Jamais un texte n’a prévu autant de moyens pour expulser les délinquants et autant d’exigence pour l’intégration des étrangers ! »
La Macronie a ainsi accepté l’adoption d’une loi immigration contraire au droit, flattant les passions les plus tristes de la droite et de l’extrême droite, allant jusqu’à lui permettre de revendiquer une victoire idéologique. Tout cela en pariant sur le fait que le Conseil constitutionnel allait lui sauver la mise.
Un jeu d’apprenti sorcier avec les institutions, au mépris du Parlement et dénoncé par Laurent Fabius lui-même. Le président du Conseil constitutionnel avait rappelé, début janvier, au chef de l’État que les « sages » n’ont pas vocation à être « une chambre d’appel des choix du Parlement ».
Pain bénit pour l’extrême droite
Si la censure est une bonne nouvelle sur le plan juridique, en plus d’apporter un soulagement à des millions de personnes dans ce pays, sur le plan politique la manœuvre pourrait surtout profiter aux adversaires de la République qui fustigent l’État de droit. « Par un coup de force des juges, on vient de censurer les mesures de fermeté les plus attendues par les Français », s’est indigné le président du RN Jordan Bardella, avant d’appeler à l’organisation d’un « référendum sur l’immigration ».
Même esprit chez Éric Ciotti, patron de LR, qui voit l’essentiel de ses gains législatifs sur le texte disparaître en fumée : « Le Conseil constitutionnel a jugé en politique et non en droit ! Une révision constitutionnelle est indispensable pour sauver le destin de la France. »
Au lieu de tracer des lignes rouges politiques et donc de refuser de plier aux pires surenchères au Parlement, Emmanuel Macron a donc laissé le champ libre à ce que soit distillé le dangereux discours d’un gouvernement des juges qui empêcherait la volonté populaire et parlementaire de s’exercer.
Du pain bénit pour les populistes les plus crasses. À gauche, les réactions vont de la « satisfaction » au « soulagement », et s’attellent à faire dérailler la petite musique satisfaite chantonnée par l’exécutif. « C’est une baffe monumentale » subie par le gouvernement, pointe le porte-parole du PCF Ian Brossat, qui y voit « la démonstration de son incompétence et de sa lâcheté ». L’insoumis Manuel Bompard réclame quant à lui le « retrait » pur et simple d’une loi « totalement amputée » et donc « sans légitimité ».
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