Les mots ont été posés calmement mais nous font froid dans le dos. En associant l’immigration aux questions de souveraineté et de composition démographique, soit comme une menace existentielle, le ministre de l’Intérieur a dévoilé la teneur idéologique du projet de loi immigration.
Présenté d’abord au Sénat comme pour mieux durcir ses dispositions, le projet de loi est un condensé de tous les raccourcis et préjugés abjects sur l’immigration. Gérald Darmanin ne s’en est d’ailleurs pas caché puisqu’il a cité les récents attentats qui ont meurtri notre pays comme une illustration d’une nécessaire évolution législative.
Il faudrait donc davantage expulser, faciliter les procédures pour empêcher les recours contre les refus de demandes d’asile ou les contestations d’OQTF. En clair, ce sont les restrictions de droit pour les étrangers, travailleurs précarisés ou demandeurs d’asile. Au lieu de faire évoluer les conditions d’accueil des populations migrantes, il faudrait faire renforcer l’arsenal répressif qui devient l’unique grille de lecture.
Enfermement des mineurs, création d’un fichier de mineurs non-accompagnés, facilitation des expulsions y compris de jeunes qui résident en France avant l’âge de 13 ans : la machine à expulser et enfermée se renforce au mépris des droits fondamentaux. Alors que les libéraux et réactionnaires ânonnent régulièrement sur le nécessaire équilibre de nos finances publiques, il est clair que ces dispositifs en plus d’être inhumains et inefficaces seront extrêmement couteux.
Ils sont inhumains car ils présentent les populations étrangères comme des menaces sécuritaires. La suppression de l’Aide médicale d’Etat (AME) va dans le même sens et se révèle infiniment dangereuse car elle mettra des gens en danger sanitaire, contribuant à propager des maladies potentielles contre l’avis de centaines de professionnels de santé et du rapport Stefanini-Evin commandé… par le gouvernement.
Ils sont inefficaces car les enjeux de sécurité ne peuvent être associés à l’immigration. Les politiques de lutte contre les trafics ou la bataille politique contre des idéologies mortifères ne se mènent pas contre des populations mais par un effort d’investigation, par l’asséchement du terreau économique ou idéologique contre ce type de méfaits.
En réalité, c’est une conception de la société où il y aurait différentes catégories de population. Les étrangers et leurs enfants, même quand ils deviennent ou sont nés Français, sont présentés comme une population différente dans le corps national.
Les dispositifs dits d’intégration vont dans ce sens en restreignant l’automaticité de la nationalité française pour les enfants nés de parents étrangers ou encore le niveau de maîtrise de la langue française demandé pour des primo-arrivants.
Les quelques mesures annoncées comme progressistes comme les articles 3 et 4 feront l’objet de démagogies sans nom comme l’a déjà annoncé la droite. La régularisation par le travail, notamment dans les secteurs en tension (pas définis de manière très claire), se fait à la discrétion des préfectures au cas par cas. Le permis de travail pour les demandeurs d’asile concernera si peu de monde que cela reste dérisoire.
C’est donc une individualisation renforcée, dans un dédale administratif, auxquels sont renvoyés les populations migrantes. On a bien compris la lubie de la droite et de l’extrême-droite à vouloir rendre les conditions d’accueil toujours plus indignes et dégradées comme pour bien signifier que personne n’est le bienvenu. En jetant dans la précarité, la marginalité des populations, on renforce en réalité les trafics et on donne une main d’œuvre toujours plus corvéable au capital qui, malgré quelques élans d’humanisme, s’accommodera très bien de ce type de dispositifs.
Nos compatriotes qui se pensent peut-être davantage sécurisés par ce genre de lois en sortiront affaiblis dans leurs droits. Les attaques contre les droits des étrangers sont toujours le prélude à des restrictions généralisées. Pendant qu’on débat de l’AME, le déremboursement des médicaments se poursuit et les hôpitaux publics agonisent. Pendant qu’on craint une régularisation massive alors que la circulaire Valls régularisait en moyenne 7000 salariés sans-papiers par an, un tiers des branches professionnelles sont en-dessous du SMIC.
Les 29 lois d’immigration votées depuis 1980 sont plus le symptôme d’un projet de société où l’égalité des droits, la capacité d’accueil et d’intégration de nos institutions sont mis à mal au service d’obsessions identitaires.