Sous les bombes, dans Gaza assiégée, Ziad Medoukh a pris la plume pour nous confier son témoignage précieux. Professeur de français dans les universités de Gaza, il a refusé de quitter sa maison, par esprit de résistance, après avoir mis sa famille à l’abri, plus au sud.
Ziad Medoukh- Professeur de français dans les universités de Gaza
Tribune dans L'Humanité du 25 octobre 2023
Est-ce une agression ? Une escalade ? Une offensive ? Une vengeance ? Un pilonnage ? Est-ce une guerre, comme quelques médias occidentaux l’appellent, eux qui mettent dos à dos l’armée israélienne et le Hamas ?
Tout le monde sait que ce qui se passe à Gaza actuellement est un vrai génocide commis par le gouvernement israélien d’extrême droite pour mettre la pression sur la population civile afin qu’elle quitte la bande de Gaza. Cette population, qui subit un blocus inhumain depuis plus de seize ans avec des conséquences économiques, sociales et psychologiques très graves, et a subi aussi quatre grandes offensives israéliennes en 2009, 2012, 2014 et 2021. Malgré tout cela, elle est toujours là, debout.
Quel que soit le statut de cette opération militaire israélienne contre les civils palestiniens de Gaza – qui entre dans sa troisième semaine – le bilan est très lourd. Près de 5 000 morts palestiniens dont 2 000 enfants et 1 300 femmes ; 15 000 blessés dans des hôpitaux débordés et qui manquent de tout. Et une destruction massive de toute une infrastructure civile dans cette région dévastée et abandonnée à son sort par une communauté internationale – je parle de l’officielle – complice.
L’offensive la plus violente, la plus meurtrière et la plus destructrice
L’armée israélienne avance toujours le même prétexte, à chaque offensive : elle va détruire tel parti politique palestinien et écraser telle faction militaire de Gaza. Or, les Palestiniens de Gaza se réveillent à la fin de chaque agression et constatent que le parti politique est plus fort et la faction militaire plus puissante qu’auparavant.
Autre problème : les dirigeants occidentaux et beaucoup de médias répètent systématiquement le récit israélien et propagent la propagande et les mensonges israéliens sans prendre en compte les morts et les blessés palestiniens de Gaza. Ils cautionnent donc les crimes, donnent toujours raison à l’armée israélienne et justifient ses bombardements intensifs sur les civils de Gaza.
Moi, citoyen de Gaza, j’ai subi, avec toute la population civile, les quatre précédentes offensives. Cette cinquième, commencée le samedi 7 octobre, est la plus violente, la plus meurtrière et la plus destructrice. Plus de 300 raids israéliens par jour, partout dans la bande de Gaza, des bombardements toutes les deux, trois minutes avec un bruit assourdissant. Du jamais-vu depuis plusieurs décennies. Cette fois-ci, le nombre de victimes palestiniennes en dix-sept jours a dépassé le nombre de civils tués lors de toutes les offensives précédentes. Avec la destruction massive des infrastructures civiles, Gaza n’est plus Gaza.
Cette fois-ci, il y a presque un million de déplacés, obligés de quitter leurs quartiers dévastés, leurs maisons détruites et leurs immeubles endommagés. Ils vivent une situation dramatique, réfugiés dans des hôpitaux, dans des écoles et dans des centres d’accueil. Aucune organisation internationale ne s’occupe d’eux, ils dorment par terre, ne trouvent ni nourriture ni eau. Quelques activistes essaient de distribuer des repas mais, hélas, impossible de nourrir tout le monde.
La fermeture totale de tous les passages depuis le début de cette nouvelle agression a aggravé une situation humanitaire déjà précaire. Lors des précédentes agressions israéliennes, il y avait quelques jours de trêve, de cessez-le-feu, d’accalmie qui permettaient l’entrée de camions pour les civils.
Le pire, pour cette population horrifiée, est qu’aucun dirigeant arabe ou international – à part des déclarations – n’a eu le courage de faire pression sur le gouvernement israélien afin qu’il mette fin à ses bombardements.
L’angoisse, la peur, l’inquiétude et la colère
Or, les Palestiniens de Gaza attendent du concret. L’aide humanitaire qui a commencé à arriver, samedi 21 octobre, via le passage de Rafah au sud, est bien sûr saluée par la population civile, mais reste largement insuffisante. La bande de Gaza a besoin de 150 camions par jour pour faire face aux besoins énormes, et pas seulement 15 ou 20 camions contenant quelques bouteilles d’eau et une quantité limitée de nourriture.
L’urgence est de laisser entrer l’oxygène, les médicaments et les carburants pour les hôpitaux débordés afin de sauver des vies. Les médecins dans ces hôpitaux, visés et menacés, font des opérations chirurgicales dans les rues car ils manquent de tout.
La population civile est dans l’angoisse, la peur, l’inquiétude et la colère. Elle attend toujours, elle attend la fin de cette nouvelle agression israélienne, elle attend un changement et elle attend une solution politique.
Cette population civile en souffrance est divisée en trois parties. D’abord, les presque un million de personnes qui habitent le nord et la ville de Gaza, qui ont décidé de rester, au péril de leur vie. Elles ne veulent pas participer à un nouvel exil et préfèrent mourir debout, chez elles. Ensuite, les 750 000 déplacés, réfugiés dans les écoles et les hôpitaux dans des conditions humanitaires et sanitaires catastrophiques. Enfin, les familles d’accueil au sud de la bande de Gaza qui ont reçu les déplacés chez eux et qui manquent, aussi, de nourriture et d’eau.
Même cette réalité, sur place, personne ne pourra la décrire vraiment
Même les réseaux sociaux censurent les publications des Palestiniens de Gaza sous les bombes ou les solidaires de la cause palestinienne. Ainsi, l’injustice se poursuit pour les Palestiniens. Moi-même, je suis obligé de mettre mes photos personnelles sur ma page Facebook pour pouvoir décrire la situation et témoigner de l’horreur absolue.
Même cette réalité, sur place, personne ne pourra la décrire vraiment. Un enfant de 5 ans, qui a perdu 25 membres de sa famille et qui est le seul survivant. Un père, qui a perdu ses 9 enfants et sa femme. Un jeune, qui devait se marier cette semaine et dont la fiancée a été assassinée par un missile israélien. Une petite-fille de 10 ans, qui voulait boire mais qui est tuée avant que sa mère ne lui donne le verre. Des familles entières, massacrées et effacées du registre civil palestinien. Et beaucoup d’autres histoires qui brisent nos cœurs, qui saignent jour et nuit.
Malgré l’ampleur de cette nouvelle agression israélienne contre les civils de Gaza, le bilan très lourd des victimes, l’impuissance, la peur, la crainte et l’inquiétude, la population de Gaza est confiante, elle tient bon. Pour le moment. Elle est fière de sa résilience, de sa patience et de sa résistance historique face à une armée puissante et soutenue, directement ou indirectement, par presque tous les pays de ce monde officiel, qui voient la paix et la justice assassinées sans bouger.
« Des familles entières, massacrées et effacées du registre civil palestinien. Et beaucoup d’autres histoires qui brisent nos cœurs, qui saignent jour et nuit. »
Les Palestiniens de Gaza ont fortement apprécié les manifestations de solidarité organisées dans beaucoup de pays, qui montrent une fois de plus que la cause de la Palestine est une cause de justice, une cause noble et que les personnes de bonne volonté dans le monde ne laissent pas passer ces crimes odieux.
L’armée israélienne profite de cette situation pour tuer des Palestiniens en Cisjordanie occupée, plus de 100 de nos frères ont été assassinés par des soldats et des colons israéliens depuis le début de cette nouvelle agression israélienne.
Voici les questions qui se posent : pourquoi est-ce toujours les civils palestiniens de Gaza qui payent cher cette folie meurtrière ? Pourquoi le monde officiel ne bouge pas pour mettre fin à ces atrocités ? Et pourquoi assassine-t-on les enfants palestiniens en toute impunité ?
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