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Une Ve République à bout de souffle !

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Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) au Sénat revient pour Cause commune sur la réforme des retraites. Alors que les discussions de l’Assemblée nationale et du Sénat ont été bloquées, elle alerte sur la crise démocratique que nous sommes en train de vivre. Les élections sénatoriales du 24 septembre prochain qui entraîneront un renouvellement de la moitié des membres du Sénat sont un enjeu majeur pour marquer des points face à ce pouvoir autoritaire du président de la République.

Propos recueillis par Nicolas Tardits

CC : Peut-on considérer qu’Emmanuel Macron a fait preuve d’autoritarisme en passant en force cette réforme des retraites ?

Sans hésitation, oui. L’entêtement du président de la République et du gouvernement pour faire adopter cette réforme a tourné à l’autoritarisme. Sans véritable négociations avec les organisations syndicales, sans justification financière, ils se sont enfermés dans des postures autoritaires pour imposer la destruction programmée de notre système de répartition et sont restés sourds à la colère qui grandissait dans le pays, à cette exigence de retrait portée par 90% des actifs et une unité syndicale historique. Ils se sont obstinés en faisant le choix d’inscrire au parlement cette réforme dans un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité Sociale (article 47-1 de la Constitution) et en utilisant des procédures certes réglementaires et constitutionnelles mais au mépris de la démocratie, de la représentation nationale et de ce qui s’exprimait fortement dans le pays : le refus de se faire voler deux ans de sa vie. Dès l’annonce du projet de loi l’appel au référendum fut lancé ; le chef de l’État a écarté cet acte démocratique suivi par le Conseil constitutionnel qui a rejeté les recours déposés par les groupes de gauche de l’Assemblée et du Sénat et qui ensuite, et à deux reprises, a refusé nos propositions de loi visant à organiser un référendum d’initiative partagée (RIP).

« C’est à la demande de notre groupe au Sénat que la commission d’enquête sur “l’influence croissante des cabinets de conseils sur les politiques publiques” a été créée. »

CC : La brutalité de la répression du mouvement social, la non-écoute des forces syndicales, le rejet du parlement, les accusations portées envers des associations comme la ligue des droits de l’homme (LDH), doivent-elles nous alerter sur l’état de notre système démocratique ?

C’est une évidence ! La crise que notre pays traverse est sociale, économique mais elle est aussi démocratique. J’ai évoqué la masse de procédures que le gouvernement a dégainées tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat non pas pour faire adopter sa réforme mais pour soumettre le parlement et particulièrement l’opposition de gauche.
Cette situation, ces attaques contre le monde politique, associatif, syndical sont les signes d’une fébrilité politique et d’une arrogance, conduisant ceux qui nous gouvernement à des caricatures et à des attaques frontales contre toutes celles et ceux qui osent s’opposer à leurs choix politiques, ou qui – comme la LDH – exigent que les droits et libertés soient respectés dans notre pays. Cette dérive est extrêmement dangereuse pour notre système démocratique.

CC : Les critiques portées contre le parlement ont été nombreuses (notamment celles qui fustigeaient le déroulement des débats à l’Assemblée nationale). Doit-on penser que le parlement ressort affaibli de cette séquence politique ?

Quoi de plus normal que le parlement… parlemente et qu’il utilise ses droits et les règlements propres à chaque assemblée pour exprimer ses choix, ses propositions, des oppositions…. Les parlementaires de gauche ont résisté à cette réforme injuste qui, rappelons-le, n’a pas été soumise au vote des députés puisque le gouvernement avec l’assentiment du président de la République a fait le choix de dégainer le 49-3. Aujourd’hui cette réforme n’a pas de légitimité. Quant au président du Sénat et à sa majorité LR et Centriste ils ont accompagné le gouvernement dans ce coup de force anti-démocratique. Car le macronisme est surtout anti-démocratique. Le débat dérange le président de la République qui ne cesse d’affirmer que sa légitimité est issue des votes du premier tour de la présidentielle. Or chacun sait qu’il a été élu au second tour pour faire barrage à Marine Le Pen et certainement pas pour appliquer, entre autres, le recul de l’âge de départ à la retraite.

« Nous portons le combat pour le respect d’une décentralisation au service des citoyennes et des citoyens, fondée sur le service public en opposition à la décentralisation libérale
menée depuis des années. »

CC : N’est-ce pas le signe que la Ve République arrive à bout de souffle alors qu’elle met entre les mains du pouvoir exécutif d’immenses pouvoirs ?

Quand un gouvernement n’a pas d’autres choix que de recourir à ces procédures, fussent-elles constitutionnelles, c’est qu’il est en échec. Certes, les pères de la Constitution ont tout prévu au cas où l’exécutif ne serait pas majoritaire au parlement. Mais la Constitution aura bientôt soixante-cinq ans ; notre société a changé, le monde a changé. Il serait temps de la réformer et de tracer les perspectives d’une République sociale, démocratique, laïque, écologique, féministe et internationaliste, porteuse d’exigences de progrès telles celles de redonner de nouveaux droits et de nouveaux pouvoirs aux citoyennes et aux citoyennes et aux salariés au sein des entreprises ; d’abroger des articles tels le 40 et le 49-3 qui permettent au gouvernement de s’affranchir des délibérations des assemblées ; de supprimer l’élection du président de la République au suffrage universel, d’instaurer la proportionnelle intégrale pour une juste représentation des forces politiques en fonction de leur réelle influence électorale.

CC : Dans ce contexte, le parlement peut-il malgré tout trouver des marges de manœuvre ?

Le parlement vote la loi et il contrôle l’action du gouvernement. À ce titre les groupes politiques peuvent interroger chaque semaine le gouvernement lors des séances de questions d’actualité ; ils utilisent leur droit d’amendement sur tous les textes à l’ordre du jour et ils peuvent demander la création de missions d’information ou de commissions d’enquête sur des sujets qui méritent d’être investigués.
C’est à la demande de notre groupe au Sénat que la commission d’enquête sur « l’influence croissante des cabinets de conseils sur les politiques publiques » a été créée. Composée de représentants de chaque groupe politique du Sénat elle a permis, grâce à un travail rigoureux de plusieurs mois, de mettre à jour un phénomène tentaculaire qui se développe dans la plus grande opacité pour des résultats souvent lacunaires avec le risque que l’État y perde en souveraineté au profit des multinationales du conseil et le tout pour « un pognon de dingue » : plus d’un milliard d’euros d’argent public pour la seule année 2021 !

« Renforcer l’opposition et particulièrement renforcer le groupe CRCE composée aujourd’hui de quinze sénatrices et sénateurs dont onze sont renouvelables, est de la plus haute importance politique. »

C’est certes une marge de manœuvre mais elle a des limites. Ainsi, pour l’heure le gouvernement refuse de prendre acte de ce travail qui a eu beaucoup de résonnance dans le pays et s’obstine dans son refus d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la proposition de loi issue des travaux de notre commission d’enquête et adoptée au Sénat …

CC : Vous êtes présidente du groupe CRCE au Sénat, quel bilan tirez-vous de votre activité parlementaire ?

L’activité législative de notre groupe, ses interventions lors de chaque débat, ses nombreux amendements, sa capacité à relayer les préoccupations populaires, du monde du travail, associatif et culturel sont reconnus et remarqués. Sur chaque texte nous sommes à l’offensive pour remettre en cause l’ordre libéral et porter la voix de celles et ceux qui luttent pour leurs droits, leurs conditions de travail, leur liberté en faisant prévaloir des alternatives de progrès.
En vertu de l’article 24 de la Constitution le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Des années de déstructuration de l’architecture institutionnelle de notre pays, que nous appelons décentralisation libérale, font peser aujourd’hui des menaces directes sur les collectivités de proximité que sont les communes et les départements, points d’ancrage démocratiques majeurs en leur imposant une austérité sans précédent et brisent ainsi la résistance politique à la destruction des services publics défendus bec et ongles par des élus et élues au-delà des clivages partisans.

« Le macronisme est surtout anti-démocratique. Le débat dérange le président de la République qui ne cesse d’affirmer que sa légitimité est issue des votes du premier tour de la présidentielle alors qu’il a été élu au second tour pour faire barrage à Marine Le Pen. »

Pour notre part, nous portons le combat pour le respect d’une décentralisation au service des citoyennes et des citoyens, fondée sur le service public en opposition à la décentralisation libérale menée depuis des années.
Par ailleurs, comment ne pas évoquer les centaines de démission d’élus locaux depuis 2020 dont beaucoup ont été victimes, – à l’instar du Maire de Saint-Brévin-les-Pins – de violences intolérables. Cette situation ne peut pas nous laisser indifférents tant ces élus jouent un rôle fondamental de proximité, de garants de l’intérêt général, d’expression de la solidarité. Elle interpelle notre démocratie, notre République. Nous devons donc redonner du sens à l’engagement de ces milliers d’élus dans l’hexagone comme dans les outre-mer. C’est la voix que nous continuerons à porter.

CC : Les prochaines élections sénatoriales sont un enjeu majeur pour notre parti. Que peut-on espérer de ces élections ?

Ces élections qui auront lieu le 24 septembre prochain sont très importantes. Aujourd’hui la droite est largement majoritaire au Sénat. Non seulement elle utilise cette chambre comme un laboratoire pour imposer ses choix politiques (ses dernières propositions sur l’immigration en sont un exemple) mais de plus elle est un point d’appui pour les objectifs libéraux d’Emmanuel Macron comme on l’a vu lors des débats sur la réforme des retraites.
Renforcer l’opposition et particulièrement renforcer le groupe CRCE, composé aujourd’hui de quinze sénatrices et sénateurs dont onze sont renouvelables, est de la plus haute importance politique.

« La Constitution aura bientôt soixante-cinq ans ; notre société a changé, le monde a changé. Il serait temps de la réformer et de tracer les perspectives d’une République sociale, démocratique, laïque, écologique, féministe et internationaliste, porteuse d’exigences de progrès. »

À quelques semaines du scrutin, les communistes mettent tout en œuvre pour y arriver, pour marquer des points face au pouvoir autoritaire du président de la République et pour contribuer à l’affaiblissement de la droite, du gouvernement et de l’extrême droite. C’est dans ce cadre que des stratégies de rassemblement sont travaillées afin de répondre à ce double objectif. Les candidates et les candidats qui seront désignés comme nos chefs de file ou comme nos têtes de listes peuvent compter sur un bilan assez riche de nos sénatrices et sénateurs sortants et sur leur disponibilité pour porter des projets transformateurs, être utiles aux mouvements sociaux, aux élus et à l’ensemble de nos concitoyennes et de nos concitoyens.
Une dynamique est en route et je suis persuadée qu’elle portera ses fruits pour assurer dans la haute assemblée qu’est le Sénat, le pluralisme et une juste représentation des idées de progrès social et de défense du service public. 

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023