L’avocat Michael Sfard explique les buts recherchés par la coalition gouvernementale avec ce qu’il appelle une « révolution judiciaire ». Pour lui, celle-ci est totalement liée aux territoires occupés en Cisjordanie. Il relève que les Palestiniens subiront durement cette réforme.
Tel-Aviv (Israël), envoyé spécial.
Avec le Mur et la Porte (Zulma, 2020), l’avocat israélien Michael Sfard nous plongeait dans cinquante ans de lutte juridique pour le respect des droits des Palestiniens dans les territoires occupés.
Il chroniquait le combat mené par les avocats et les organisations humanitaires devant la Cour suprême d’Israël. Aujourd’hui, il intervient régulièrement pour s’opposer à la réforme judiciaire voulue par Benyamin Netanyahou et sa coalition d’extrême droite, réforme qu’il lie à l’occupation.
Le gouvernement Netanyahou et sa coalition sont allés à marche forcée pour faire voter une première loi concernant leur réforme judiciaire. Que veulent-ils faire ?
Plusieurs lois pourraient changer le système constitutionnel israélien. Pour l’instant, ils en ont voté une. Mais c’est seulement la première d’une longue série. Que veulent-ils réformer en réalité ? C’est très simple. Le pouvoir. Ils veulent consolider tout le pouvoir du gouvernement et de l’exécutif et, pour cela, abolir n’importe quel type de contrôle qui les empêcherait de faire ce qu’ils veulent.
Il faut noter que les partis qui composent la coalition ont des intérêts différents. Netanyahou lui-même veut être en mesure de sortir du procès en cours mené contre lui, en contrôlant les poursuites. Ceux du Likoud, son parti, entendent pouvoir engager des amis, des membres de leurs familles, des proches, des adhérents de leur cercle politique et de les placer à toutes sortes de postes dans l’administration. C’est quelque chose qu’il n’est pas possible de faire librement si l’autorité judiciaire a son mot à dire sur de telles nominations.
Ensuite, il y a les ultraorthodoxes, qui se battent depuis des décennies pour obtenir une exemption définitive du service militaire et d’autres lois qui iraient dans leur sens sans que la Haute Cour de justice puisse s’y opposer.
Enfin, il y a les colons. Ils sont probablement la partie la plus importante de la coalition actuelle, son élément le plus radical. Le courant dominant parmi les colons est maintenant au pouvoir. Dans le passé, le mouvement des colons était conservateur.
Il croyait à des changements graduels qui n’allaient pas trop faire gîter le bateau. La nouvelle génération de colons, représentée par Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir (respectivement ministre des Finances et ministre de la Sécurité nationale – NDLR), n’est pas conservatrice. Elle veut tout, maintenant.
Et le système judiciaire israélien, même s’il est collaborateur de l’entreprise coloniale, fournit néanmoins des règles permettant de ralentir l’accaparement de terres et la construction des colonies. Et l’intérêt des colons dans cette révolution judiciaire est d’assurer que les cours de justice et les conseillers juridiques des ministères ne ralentissent pas ce processus.
Pourquoi, depuis le début de ce mouvement, les manifestants se concentrent-ils seulement sur la question de la démocratie et, pour la plupart, n’évoquent pas les implications de la réforme pour l’occupation et la colonisation ?
Il est assez étonnant, en effet, de voir que le débat public se concentre sur la façon dont l’annonce de l’annulation de la doctrine de la « raisonnabilité » (qui permet à la Cour suprême de juger du caractère « raisonnable » d’une loi – NDLR) affecte les Israéliens et leurs droits. Le mouvement de protestation est le fait d’Israéliens qui sont allés dans les rues pour défendre leurs propres droits, pas pour défendre les droits des autres.
C’est très triste de le constater, mais c’est quelque chose qui est vrai pour tout collectif, pas seulement pour les Israéliens. Il n’est pas étonnant que, parmi ces Israéliens, les points de vue sur le conflit israélo-palestinien diffèrent.
Je pense que cette révolution judiciaire et le danger de création d’une dictature en Israël sont un génie sorti d’une bouteille sur laquelle on peut lire « made in occupation ». Si nous ne tenons pas compte de l’occupation et si nous ne luttons pas pour en finir avec elle, Israël ne sera jamais une démocratie. Nous n’avons jamais eu la démocratie et Israël ne sera jamais une démocratie dans ces conditions.
Il n’y a pas de démocratie qui contrôle les vies de millions de gens pendant des générations avec des populations qui n’ont pas de droits civils et politiques ni de représentation au gouvernement. L’un des défis du bloc antioccupation à l’intérieur du mouvement de protestation est de relier tous les points soulevés et de convaincre les Israéliens qui sont contre cette « révolution » menée par la coalition au pouvoir et résistent que tout est connecté à l’occupation.
Les grands absents du débat sont les Palestiniens des territoires occupés. De quelle manière leur vie sera-t-elle affectée par cette réforme judiciaire ?
Un autre secteur existe, en effet. Il englobe des millions de personnes qui ne sont pas israéliennes. Elles n’ont pas de droits politiques et civils du tout. Elles n’ont pas d’outils à leur disposition comme les Israéliens pour combattre n’importe quel type de violation de leurs droits. Ces millions de personnes sont les Palestiniens qui vivent dans les territoires occupés, principalement en Cisjordanie. Et l’unique chose qui pourrait les protéger d’une violation arbitraire de leurs droits, c’est l’examen judiciaire.
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