À l'aube d'une rentrée politique chargée, les communistes affichent la mine des « jours heureux ». Fabien Roussel, qui avait fait de cette formule un marqueur de sa campagne présidentielle, est la personnalité préférée des électeurs de gauche, selon un récent sondage Elabe pour Les Échos. Il devance Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin et François Hollande.
Si le secrétaire national du Parti communiste est placé aussi haut, c'est qu'il incarne « une gauche populaire, authentique, qu'on a bien connue et qui a disparu », selon Ian Brossat, porte-parole du PCF et adjoint à la maire de Paris en charge du logement. À mille lieues du reste de la Nupes, qui s'est émue que Fabien Roussel partage sa recette de salade de hareng dans un camping corse.
La polémique aoûtienne est révélatrice d'un « mépris de classe », assène Brossat, qui ajoute qu'« on ne peut pas se faire aimer du peuple si l'on déteste tout ce qu'il est ». La césure entre le PCF et les Insoumis, notamment, semble actée… Pour la première fois, un cadre communiste explique sans ambages que l'union de la gauche ne devra pas se faire sur les mêmes bases qu'en 2022. Comprendre : sans LFI et, si possible, autour du projet de Roussel. Ian Brossat revient aussi sur son vieux combat contre la prolifération d'Airbnb à Paris, l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne (UE) et à l'Otan, l'université d'été du parti à Strasbourg et le refus d'y inviter le rappeur Médine
Le Point : Partagez-vous l'avis de Nicolas Sarkozy, qui estime, dans un entretien au Figaro, que l'Ukraine ne devrait rejoindre ni l'Otan ni l'UE, mais « rester neutre » ?
Ian Brossat : Nicolas Sarkozy n'est pas une référence pour nous en matière de politique internationale. C'est le moins que l'on puisse dire. Néanmoins, sur le fond, je ne pense pas que l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne ou l'Otan soit une bonne idée. Au Parti communiste, nous ne sommes pas favorables à un nouvel élargissement de l'UE.
Depuis plusieurs décennies, nous n'avons cessé de faire entrer dans l'UE des pays qui n'ont pas du tout le même modèle social que le nôtre. Cet élargissement sans fin nous tire inévitablement vers le bas. Quand vous pensez que la Moldavie frappe à la porte de l'UE alors que son smic est à 46 euros par mois ! Quant à l'Otan, permettre à l'Ukraine de l'intégrer renforcerait une logique de blocs qui ne serait pas propice à la résolution pacifique du conflit.
En cantonnant l'Ukraine à cette neutralité, ne se plierait-on pas aux désidératas de Poutine ? N'est-ce pas une façon de dire « puisque Poutine ne veut pas qu'on le fasse, ne le faisons pas » ?
Il faut être pragmatique. La question essentielle, c'est : comment sort-on de ce conflit ? Or, de fait, l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan ne réglerait pas le conflit ; elle l'aggraverait. Notre seule boussole doit être la résolution pacifique de ce conflit.
L'organisation, par exemple, de « référendums strictement encadrés par la communauté internationale » peut-elle y contribuer ?
Oui, je suis favorable à l'autodétermination des peuples.
À la Ville de Paris, où vous êtes adjoint en charge du logement, vous avez remporté plusieurs bras de fer avec Airbnb, notamment la limitation de la location des résidences principales à 120 jours par an. Envisagez-vous de mettre en œuvre d'autres mesures à la rentrée pour renforcer la régulation de la plateforme ?
Il faut d'abord rappeler que nous revenons de loin ! Lorsque je me suis emparé de ce sujet en 2014, personne ne s'y intéressait. Nous avons perçu très tôt que le développement anarchique d'Airbnb risquait de se faire au détriment du logement et du cadre de vie des Parisiens.
Nous avons donc construit tout un arsenal juridique et je constate que toutes les initiatives que nous avons lancées ont porté leurs fruits : la limitation de la location des résidences principales à 120 jours par an, l'interdiction (sauf autorisation exceptionnelle) de location de résidences secondaires sur les plateformes de location touristique, la mise en place d'un numéro d'enregistrement qui fait qu'un loueur doit désormais s'enregistrer auprès des services de la ville… Tout cela fonctionne.
D'ailleurs, sur ce dernier point, Airbnb a été condamné en 2021 à 8 millions d'euros et, depuis, la plateforme ne publie plus d'annonces sans numéro d'enregistrement. Les propriétaires qui fraudent ont été sanctionnés à hauteur de 6,5 millions d'euros depuis deux ans et demi. Sans ces mesures, nous aurions été totalement envahis par Airbnb dans les quartiers touristiques.
Faut-il désormais aller plus loin ? Évidemment. Je pense à la fois à des mesures que la Ville de Paris va prendre et à des revendications que nous portons auprès du législateur. Sur le plan strictement municipal, nous avons voté, il y a maintenant deux mois, un nouveau plan local d'urbanisme (PLU) qui doit nous permettre d'interdire totalement la création de nouvelles surfaces dédiées à la location touristique à l'année.
Elles seront purement et simplement interdites dans les quartiers les plus impactés par le développement de ces plateformes, donc les quartiers les plus touristiques : Montmartre, le Marais, les abords de la tour Eiffel… Le PLU est maintenant soumis à une enquête publique. Il faut donc compter un peu plus d'un an pour que ces mesures puissent être appliquées.
Et sur le plan législatif ?
Nous portons deux exigences. Premièrement, il n'est pas normal que les propriétaires qui louent sur Airbnb ou d'autres plateformes bénéficient d'une niche fiscale. Il faudrait au moins aligner la fiscalité de ces locations touristiques sur la location classique. Je souhaite que, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, cette hérésie soit purement et simplement supprimée.
Deuxièmement, il y a la question des passoires thermiques. Ce qui est prévu aujourd'hui, c'est l'interdiction progressive, à la location classique, des logements qui sont des passoires thermiques. Pour l'instant, cette mesure ne s'applique pas aux locations touristiques. Mon souhait est que cela change et que les passoires thermiques soient aussi interdites à la location sur les plateformes de type Airbnb. Juste avant l'été, le gouvernement a annoncé son intention de changer les choses. Il est temps qu'il passe aux actes car, pour l'instant, l'exécutif avance à la vitesse d'un escargot qui aurait perdu le sens de l'orientation…
Vous organisez l'université d'été du PCF à Strasbourg, du 25 au 27 août. Vos partenaires de la Nupes ne figurent pas parmi la liste des intervenants. Vous faites bande à part ?
Non, nous avons envoyé une invitation à l'ensemble des forces de la Nupes, qui ont loisir de participer à notre université d'été. Le PC a également un calendrier particulier puisque le grand moment de débat public, pour nous, reste la Fête de l'Humanité, qui a lieu le deuxième week-end du mois de septembre. En ce qui concerne notre université d'été, elle remplit d'abord un rôle classique de formation des adhérents. D'autres universités d'été ne ressemblent plus à cela mais nous, nous en sommes tenus à cette tradition. Nous n'en faisons pas un moment de grand show politique.
C'est la raison pour laquelle vous n'avez pas invité le rappeur Médine, dont la participation aux universités d'été d'EELV et de LFI a fait couler beaucoup d'encre ?
Il n'a jamais été question de l'inviter.
La Nupes est-elle dépassée ? Est-ce devenu « un boulet, une camisole », selon l'expression de Fabien Roussel ?
La Nupes a partiellement et ponctuellement rempli sa mission il y a un an, au moment des élections législatives. Elle a permis à la gauche, qui aurait pu être rayée de la carte, d'en sortir vivante. Cela dit, l'alliance ne nous a pas permis de gagner. Aujourd'hui, la gauche est encore trop faible : nous ne représentons qu'un quart des députés à l'Assemblée nationale ! Il faut de toute urgence se donner les moyens de remporter des victoires. La Nupes, dans sa configuration actuelle, nous le permet-elle ? Je n'en suis pas certain. Il faut aller au-delà de ce que nous avons fait et arrêter de croire que la Nupes serait une sorte d'œuvre sacrée que l'on n'aurait pas le droit de toucher.
Faut-il l'élargir au reste de la gauche, notamment aux figures qui y sont notoirement hostiles, comme Bernard Cazeneuve ?
Pour gagner, il ne suffira pas d'agréger des forces supplémentaires. Le sujet, c'est notre base sociale. Elle est trop étroite. Nous enregistrons de très bons résultats dans les grandes villes et dans les quartiers populaires, mais nous réalisons des contre-performances dans la France périphérique. Nous ne parlons pas aux classes populaires des campagnes. Or, pendant le mouvement de contestation de la réforme des retraites, il y a eu des mobilisations énormes dans les petites et moyennes villes. Ceux qui ont marché contre le report de l'âge légal de départ à 64 ans ne votent pas tous pour nous, loin de là. Cela doit nous interpeller. Ce n'est pas une question de casting, c'est une question de fond.
Comment analysez-vous le récent sondage qui place Fabien Roussel en tête des personnalités préférées des électeurs de gauche, devant Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin et François Hollande ?
C'est la reconnaissance de ce que Fabien Roussel fait depuis des années et le début de quelque chose. Pourquoi est-il à ce niveau de popularité ? Parce que les Français reconnaissent la sincérité de son engagement, sa générosité, ses combats sur la nécessaire revalorisation du travail, sur le partage des richesses, sur la défense des valeurs de la République. Il incarne une gauche populaire, authentique, qu'on a bien connue et qui a disparu.
omment la gauche peut-elle, justement, renouer avec les classes populaires ? Faut-il s'inspirer des caravanes de LFI, qui sillonnent la France l'été ?
Inspirons-nous d'exemples locaux. La victoire de Jean-Marc Tellier, désormais député du Pas-de-Calais, dans une circonscription où Marine Le Pen était majoritaire à la présidentielle et où le député sortant était RN est, de ce point de vue, éclairante. Pour reconquérir les classes populaires, il faut les prendre au sérieux, ne pas les prendre de haut, accepter de parler de leurs problèmes de la vie quotidienne et ne pas cliver inutilement sur un certain nombre de sujets.
Pourtant, même lorsque vous ne cherchez pas à cliver, vous êtes pris dans des polémiques. Une simple vidéo de Fabien Roussel partageant sa recette de salade de hareng dans un camping a beaucoup fait réagir. Comment s'entendre sur le fond quand on s'invective à propos de telles futilités ?
C'est ridicule mais assez révélateur. On ne peut pas se faire aimer du peuple si l'on déteste tout ce qu'il est. Tout cela suinte le mépris de classe. Si Fabien Roussel atteint ces niveaux de popularité, c'est que les Français savent qu'il ne se fiche pas d'eux. Il n'a pas commencé à fréquenter le camping quand il est devenu candidat à la présidentielle. Il ne joue pas de rôle. Certains devraient arrêter de créer de toutes pièces des polémiques absurdes.
Comment comprendre la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, ses outrances, ses remontrances et ses sorties complotistes ? Que cherche-t-il, selon vous ?
Jean-Luc Mélenchon vit sa vie. Notre ambition, c'est de permettre à la gauche de gagner avec tous ceux qui le souhaitent. L'union est nécessaire mais, pour être gagnante, elle ne doit pas se faire sur les mêmes bases qu'en 2022.
Aux sénatoriales, les Insoumis ne font pas partie de l'accord entre écologistes, socialistes et communistes. Aux européennes, chaque composante de l'alliance devrait avoir son propre candidat. Peut-on être unis tout en ayant des listes séparées à chaque échéance électorale ?
L'union prend des formes différentes. Rappelons que même lorsque toute la gauche participait au gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin, chaque composante avait sa liste aux européennes de 1999. Nous ne portons pas le même projet sur l'Europe. Il serait insensé que nous nous retrouvions sur une liste de gens qui défendent les traités européens que nous avons rejetés. Une campagne menée sur des bases aussi friables ne tiendrait pas deux semaines.
Emmanuel Macron a annoncé une « initiative politique d'ampleur à la rentrée ». Qu'en attendez-vous ? Y participerez-vous ?
Je n'en attends pas grand-chose. Emmanuel Macron est condamné à annoncer en permanence de grandes initiatives qui ne voient jamais le jour. S'il s'agit de nous demander de monter à bord du Titanic avec lui, il n'en est pas question. On peut toujours discuter, mais cela ne mènera à rien tant que le chef de l'État ne changera pas radicalement de politique.
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