Ludovic Lamant
Ils et elles avaient jusqu’à vendredi minuit pour s’entendre et s’inscrire aux élections législatives anticipées du 23 juillet en Espagne. La fumée blanche s’est échappée peu après 20 heures, sous la forme d’un communiqué victorieux.
Yolanda Díaz, vice-présidente de l’actuel gouvernement du socialiste Pedro Sánchez, est parvenue à bâtir une coalition d’une quinzaine de formations à la gauche du Parti socialiste, dont Podemos, qui se présenteront sous une même étiquette, Sumar (qui signifie « additionner » en français). C’est « l’accord le plus large et pluriel jamais atteint depuis le retour de la démocratie en Espagne entre des forces progressistes et écologistes », lit-on dans le communiqué.
Sans surprise, Yolanda Díaz, née à La Corogne en Galice en 1971, est parvenue à conclure des accords avec des forces régionales comme Catalunya en Comú, la coalition de la maire sortante de Barcelone Ada Colau, Más Madrid, cofondé par l’ancienne figure de Podemos Íñigo Errejón, ou encore Compromís, coalition de gauche de la région de Valence. Elle s’est aussi entendue avec de petites formations écologistes comme Verdes Equo.
Mais le véritable suspense résidait dans la présence de Podemos dans l’accord. Au moment de lancer début avril sa candidature à la présidence du Conseil le 2 avril dernier, Yolanda Díaz l’avait fait en l’absence de membres du parti cofondé en 2014 par Pablo Iglesias. « Je suis fatiguée des tutelles », avait-elle lancé, manière de souligner son indépendance.
Avant les régionales et municipales de mai, les discussions entre Podemos et Sumar achoppaient notamment sur la tenue de primaires – réclamées par Podemos – pour constituer les listes des législatives et légitimer la candidate. Mais la défaite de la gauche aux régionales a changé la donne. En particulier le score de Podemos, qui a décroché bien plus fortement par rapport au précédent scrutin de 2019, que les autres alliés de gauche proches de Yolanda Díaz.
Dès la décision de Pedro Sánchez, le 29 mai, de convoquer des élections anticipées, les appels à l’unité entre Podemos et Sumar se sont fait entendre, notamment de la part de Pablo Iglesias – retiré de la politique depuis 2021 mais toujours influent au sein de cet espace politique. Podemos a aussi lancé une consultation de ses bases : 93 % des quelque 52 000 votant·es se sont prononcés pour l’unité, selon des résultats communiqués vendredi matin.
La ministre Irene Montero exclue des listes
À défaut de primaires, les équipes de négociations se sont basées sur les résultats des municipales et régionales de fin mai pour définir les rapports de force et constituer les listes. Un choix désavantageux pour Podemos. Dans la dernière ligne droite, l’enjeu s’est réduit à la présence sur les listes, ou non, de l’actuelle ministre de l’égalité, Irene Montero (Podemos), personnalité jugée trop clivante aux yeux d’autres partenaires de Sumar, plus modérés.
Irene Montero, qui avait donné un entretien à Mediapart en 2020, n’est pas seulement la compagne de Pablo Iglesias – même si cela joue dans la manière dont ses opposant·es la perçoivent. Elle est surtout celle qui a conduit le chantier de la loi du « seul un oui est un oui » (« solo sí es sí »), ce texte jugé pionnier sur les violences sexuelles mais qui avait aussi entraîné la remise en liberté de manière anticipée de personnes condamnées.
Les socialistes avaient fini par voter en avril dernier la réforme de cette loi emblématique, sans les voix de Podemos, mais avec le soutien de la droite du Parti populaire : les oppositions y avaient vu un fiasco politique, et le début de la fin de la coalition des gauches au pouvoir depuis 2019. Ce samedi matin, Ione Belarra, la secrétaire générale de Podemos, exhortait encore Sumar à négocier la semaine prochaine, pour retirer le veto sur la personne de Montero.
Du côté de Yolanda Díaz – qui n’a jamais été membre de Podemos –, on cherche à éviter que la campagne éclair qui s’annonce ne se polarise, sous la pression de l’extrême droite de Vox, sur la loi portée par Montero. Autre figure historique de Podemos exclue des listes, ce qui risque là encore de laisser des traces pendant la campagne : Pablo Echenique, actuel porte-parole du groupe parlementaire.
À ce stade, le Parti populaire (PP, droite) d’Alberto Núñez Feijóo reste favori des élections législatives du 23 juillet. Les sondages lui donnent une majorité absolue en intégrant le score de l’extrême droite de Vox. Mais l’alliance politique intervenue à gauche relance la bataille.
Si les gauches radicales s’étaient présentées sur des listes concurrentes, le socialiste Pedro Sánchez, qui a besoin d’un allié fort sur sa gauche, n’avait presque aucune chance de rempiler. Après l’accord, le jeu reste ouvert.
Selon les dernières projections, le simple fait, pour Sumar et Podemos, de se présenter ensemble pourrait leur donner une douzaine de sièges supplémentaires (sur un Congrès de 350 élu·es). Cela s’explique à la fois par le mode de scrutin espagnol, la loi d’Hondt, mais surtout par le découpage des circonscriptions régionales en Espagne. Beaucoup d’entre elles sont dotées de très peu de sièges, ce qui limite fortement les chances des formations les plus modestes d’en obtenir ne serait-ce qu’un seul, et encourage les alliances.