Voici une analyse critique des associations d'aide et de soutien aux personnes exilé.e.s sur le plan MNA voté par la majorité de droite du Conseil départemental du Finistère.
Signataires:
- Les Utopistes en action – Ecole Alternative des Monts d’Arrée (EADMA) -Pleyber Christ
- Le Temps partagé - Quimper
- 29 couleurs/Aide aux jeunes réfugiés – Maison de Quartier du Moulin Vert – Quimper
- Accompagnement des Jeunes Isolés Migrants – ADJIM -Brest
Le Plan MNA adopté le 09/02/2023 par l’Assemblée départementale du Finistère restructure fortement l’organisation de l’Aide Sociale à l’Enfance ; il instaure de nouvelles modalités dans la prise en charge et l’accompagnement des Mineurs non accompagnés (MNA), c’est-à-dire les jeunes migrants, mineurs isolés, qui se présentent directement ou sont répartis dans le Finistère suite à une OPP (Ordonnance Provisoire de Placement) pour une mise à l’abri et une prise en charge par le CDAS.
Les associations qui accompagnent des MNA depuis plusieurs années dans le Finistère se sont réunies en coordination le 19/01/2023 à Quimper pour analyser en commun le Plan
MNA du Conseil Départemental et ses conséquences prévisibles sur leurs activités et sur la Qualité et l’efficacité de l’accompagnement des Jeunes exilé.e.s. qui sera délivré par les institutions.
Le présent texte représente la base commune d’analyse et d’orientation, qui nous aidera dans la période à venir à agir ensemble, dans la même direction et selon les modalités
propres à chacun, en toute indépendance.
Plan MNA : des avancées et des risques
Il faut se féliciter de l’annonce de la création de deux foyers d’accueil MNA par le CD29, et de la fin de l’hébergement dans les hôtels, où nous avons pu constater la faible présence d’accompagnement social et de propositions d’activités pour les jeunes.
Cette mesure est, au demeurant, rendue obligatoire, avant la fin 2024, par la Loi du 07/02/2022 relative à la protection de l’enfant et à la réforme de l’ASE.
Mais la conception qui sous-tend ce Plan MNA appelle à notre vigilance, car il présente un grand risque d’échec :
1. Ce Plan fait l’objet d’un manque d’anticipation préoccupant
o La fermeture précipitée du CDAS/Cellule d’appui MNA de Quimper, la suppression des postes de référents sociaux sur ce site en décembre 2022 ont conduit par exemple à des désordres graves et des manques importants dans l’accompagnement des MNA à Quimper ; les associations locales se sont retrouvées pratiquement seules à assurer un suivi et une aide aux jeunes mineurs hébergés à Quimper.
o Le projet d’implanter deux Foyers d’Accueil dans la Région Brestoise est loin d’être finalisé ; le Directeur du nouveau Service départemental MNA recentralisé à Brest nous indique que le premier Foyer pourrait être acquis fin 2023, et quant au second
Foyer, son implantation en milieu rural ou urbain n’est pas encore tranchée. Les hôtels sont saturés, l’un d’eux à Brest a déjà reçu la notification de l’arrêt des hébergements de MNA début 2023. Les nouvelles arrivées de MNA sont continues et en augmentation.
o Cette situation nous pose un défi collectif, à l’échelle du Département, car la concentration des accueils et des accompagnements par le Service MNA à Brest nous
conduit à devoir prévoir un accroissement considérable à Brest des exclusions pour non-reconnaissance de minorité. Pour l’instant les exclusions continuent , que ce soit à Quimper ou à Brest.
Il y a un risque de création de fait d’une ASE -bis, et d’un traitement distinct du Droit Commun pour les jeunes exilé.e.s.
Notamment sur la prise en compte et le respect de la parole de l'enfant (lors des évaluations) et la globalité de la prise en charge,
o ou sur le rôle que devra jouer le juge des enfants dès la réception de l'enfant par le CD,
o ou encore sur la prévention de la maltraitance.
o La reprise des hébergements des MNA directement par le CD29 entraînera en principe un accroissement des tâches de l’accompagnement par les référents sociaux, déjà en déficit actuellement. Les moyens d’encadrement pour ces MNA en
foyer d’accueil seront-il suffisants ? Il est permis d’en douter, tant nous remontent des alertes quant aux moyens dédiés à l'ASE actuellement ; les services et les foyers sont pleins, les familles d'accueil manquent à l'appel.
o Les propositions d’activités sportives et éducatives dès leur mise à l’abri sont nécessaires : or, cela repose actuellement uniquement sur l’investissement des bénévoles de nos associations.
o De même les démarches nécessaires pour la reconstitution de leur Etat-civil ne sont souvent qu’imparfaitement assurées, or c’est fondamental pour accélérer leur insertion dans la société.
o Ou encore, nous pointons l’absence d’accompagnement psychologique, pour des jeunes qui ont pu subir des traumatismes dans leur pays d’origine ou au cours de leur trajet vers l’Europe.
o Par ailleurs, le plan d’action du Conseil Départemental insiste fortement par l’insertion par la voie de l’apprentissage. Cela concerne effectivement la majorité des jeunes MNA qui, certes souhaitent apprendre un métier manuel, mais aussi obtenir plus facilement un titre de séjour à leur majorité en exerçant dans un métier sous tension. Mais qu’adviendra-t-il pour les jeunes ayant un bon niveau scolaire et souhaitant poursuivre dans la voie générale ou technologique ? Ils doivent avoir le libre choix de leur orientation, nous connaissons tous des cas où des MNA ont
brillamment réussi dans leurs études et ont intégré des formations post bac et Supérieures.
La mise en place d’un contrat moral entre le Département et le jeune, à la seuleévaluation du Conseil Départemental, dans l’objectif annoncé de faciliter l’obtention de titres de séjour à la majorité s’appuie-t-il sur le droit commun ? En va-t--il de
même pour la mise en place des contrats jeunes majeurs des non migrants ?
o La centralisation de l’accueil et de l’hébergement des MNA sur la seule région de Brest est un pari très risqué : les deux structures prévues auraient une capacité de 100 places, alors que l’on dénombre déjà 300 MNA sur le département (une partie
hébergés et suivis en services dédiés), auxquels il faut ajouter 400 jeunes majeurs migrants. ; les 30 MNA actuellement hébergés en hôtel à Quimper doivent être transférés à Brest pour la fin du premier trimestre 2023, et les capacités à Brest seront saturées dès le mois de mars 20233 ; de plus les arrivées de MNA répartis sur
le département sont en augmentation constante, et continueront d’augmenter. Il y a un risque de déséquilibre entre le Nord et le Sud du département, et un risque de saturation du système local brestois (Ecoles, entreprises accueillant des stagiaires et
apprentis, logement, etc.). Les moyens humains pour bien accompagner ces mineurs ne seront pas à la hauteur, puisque le budget resterait constant (en fait le budget voté en 2023 présente une diminution de 400 000€ par rapport au budget précédent, celle-ci étant compensée en principe par la création d’une Fondation).
C’est tout le modèle institutionnel de l’accompagnement des jeunes isolés migrants qui est actuellement en situation d’imploser, et les objectifs du plan MNA du Département présentent un risque réel de non- réalisation.
3. Ce Plan nécessite, pour réussir, la participation d’autres institutions qui connaissent elles-mêmes de fortes tensions
o Tensions dans l'école : les professeurs de MLDS4 sont en nombre insuffisants, les sessions sont réduites de moitié ; pour pallier ce manque, le CD29 a recours à des prestataires de droit privé, sans que ces deux acteurs ne se coordonnent pédagogiquement – Pourquoi les UP2A5 de l’Education nationale e sont-elles pas
sollicitées ? Nous nous questionnons aussi sur l'orientation scolaire des jeunes, qui devrait être réellement choisie et non dirigée par défaut vers les filières professionnelles.
Tensions sur les moyens de la Justice : si l’accélération de l’évaluation des MNA ainsique la décision de justice prise par un Juge des Enfants (JDE) est nécessaire, nous espérons que les évaluations « Flash »6 ne deviendront pas une norme, et nous continuerons à demander que le jeune MNA reste à l’abri le temps que tous ses recours soient épuisés. Avec tous les jeunes MNA en cours d’évaluation regroupés sur Brest, nous craignions un engorgement du Tribunal
o Tensions dans le domaine du logement et de l’hébergement des personnes précaires : le public sorti de l'ASE par le service MNA est censé être prioritaire en matière de logement social. Or, BMH7 par exemple ne donne pas de bail au premier Titre de séjour. M. BOILEAU, Directeur du service MNA, nous a indiqué que le Conseil
Départemental allait alors se tourner vers le privé - Il y a des délais très longs pour obtenir un logement social à BMH. Les hébergement d’Urgence sont saturés.
o Tension sur les autorisations de travail : la délivrance des autorisations de travail, étant à la main du seul préfet, est souvent arbitraire et inéquitable (pouvoir d’influence de certains secteurs). Dans un contexte général où les Obligations à Quitter le Territoire Français (OQTF) se multiplient, et restent soumis à une forme
d’arbitraire préfectoral, et face aux orientations annoncées par la future Loi Darmanin, nous ne pouvons qu’être inquiets...et vigilants.
II - Nos propositions d’action pour répondre aux besoins des MNA, pour le respect des Droits et de la dignité et pour l'équité
1. La Coordination départementale des associations accompagnant, à un titre spécifique ou accessoire , des MNA, a pour but d’agir sur trois niveaux, selon le niveau d’implication des associations :
1) Tenir informées les associations accueillant des migrants de la situation des MNA sur le Département ;
2) Instaurer une liaison constante entre membres de la coordination ASSOs MNA 29 accompagnant les MNA, pour faire remonter les informations préoccupantes, les
besoins et les solutions ;
3) Partager les ressources, mutualiser des outils, coopérer sur des projets dans leurs diverses activités.
2. Notamment, un objectif immédiat sera de favoriser le développement du réseau d’hébergement solidaire des MNA à l’échelle du Département.
3. Afin que les droits de tous ces jeunes soient respectés, et face aux dysfonctionnements constatés en ce début 2023, nous demandons la création d’un observatoire des droits des
MNA et ex MNA du Finistère, composé du Conseil départemental, des associations, des représentants de la Préfecture et de la Justice
4. Nous demandons l’arrêt des "évaluations "flash".
5. Les deux foyers d'accueil des MNA prévus par le Conseil Départemental doivent être localisés en zone urbaine et non relégués en milieu isolé, compte tenu des modes de fonctionnements que requiert l’institution ; il faudra veiller à ce que les capacités d'hébergement et d'encadrement social et leur financement soient suffisantes pour un accompagnement de qualité pour les MNA.
Mais les mesures contenues dans le plan MNA du Conseil départemental 29 risquent fort d’être largement insuffisantes ; nous demandons d’accroître les moyens alloués à l’ASE et
au plan MNA, et nous proposons d’innover, de développer des modes diversifiés, alternatifs, d’accueil et d’accompagnement des MNA.
6. Face au risque de sclérose voire d’implosion du modèle proposé par le Département du Finistère, il faudrait développer d’autres modèles d’accueil et d’accompagnement des jeunes. Nous pensons qu'une proposition alternative serait à envisager pour l'accueil des
MNA, en s'appuyant sur les expériences passées ( Cf. les anciens CAO à Douarnenez et Pleyber-Christ) et les innovation actuellement portées par des associations (Exemple : l’Ecole Alternative des Monts d’Arrée) ; il s’agirait de soutenir la création de lieux d'accueils alternatifs, accueillant chacun une vingtaine de jeunes, répartis sur l'ensemble du département (dont un sur la partie Sud du Département) autour de villes semi-rurales.
Ce mode d’accueil est très efficace pour une meilleure intégration des jeunes et leur permet une rencontre avec les finistériens par le biais d'associations locales et des bénévoles investis dans ces lieux alternatifs. Ce modèle apporte aussi des avantages pour la scolarisation, car de nombreuses écoles pourraient être sollicitées, ce qui contribuerait à désengorger les grandes villes où les moyens sont saturés (Cf. MLDS de Brest ). L'accès au soin serait aussi favorisé et les délais réduits pour les différentes démarches administratives. Enfin, les MNA se sentiront mieux suivis et moins seuls, avec un accompagnement de proximité quotidien qui produit des effets bénéfiques et les rend d’avantage acteurs, comme le montrent les bilans effectués dans ces « Maisons accueillantes ».
Le Département pourrait s’appuyer aussi sur l’exemple des lieux de vie mis en œuvre par l'association Don Bosco dans le Finistère, et sur les dispositifs de suivi des jeune majeur comme les CJM renforcés, dispositif qui fonctionne bien.
7. Nous demandons que les évaluations sociales effectuées par le service MNA soient effectuées dans le respect des Droits de l’Enfant, et soutenons la décision récente du comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies demandant à l’Etat français de garantir que tout mineur isolé soit considéré comme un enfant jusqu’à décision définitive d’un juge
- La mise à la rue immédiate des MNA non reconnus mineurs par le CD 29 met ces jeunes en danger, faute de réorientation par le service vers des solutions d’hébergement et de mise à l’abri. Les associations qui les recueillent, les hébergent, les scolarisent et
reconstituent leur état civil, assument alors souvent, seuls, la responsabilité qui devrait être assumée par le Conseil départemental en attendant la décision du Juge.
- Dans le cas où le Conseil Département du Finistère ne respecterait pas ces dispositions garantissant aux jeunes MNA un traitement équitable et conforme aux droits de l’Enfant, les associations considéreront qu’elles sont fondées, en cas de reconnaissance de
minorité prononcée par le Juge, à demander par toutes voies utiles le remboursement des frais engagés pour mettre à l’abri les jeunes exclus de l’ASE.
Fait le 21 mars 2023
Signataires :
- Les Utopistes en action – Ecole Alternative des Monts d’Arrée (EADMA) -Pleyber Christ
- Le Temps partagé - Quimper
- 29 couleurs/Aide aux jeunes réfugiés – Maison de Quartier du Moulin Vert – Quimper
- Accompagnement des Jeunes Isolés Migrants – ADJIM -Brest
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