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3 avril 2023 1 03 /04 /avril /2023 05:57
Note de lecture - Les communistes et l'Algérie. Des origines à l'indépendance, 1920-1962. Par Alain Ruscio (La découverte)
Une synthèse historique qui prend son temps et traite cette question en profondeur, avec un vrai travail sur les archives, et un temps pris pour parler des femmes et des hommes acteurs de l'histoire, des dirigeants politiques aux simples militants.
Alain Ruscio était déjà l'auteur d'une biographie remarquable d'Ho Chi Minh - Ho Chi Minh, écrits et combats (Temps des Cerises, 2019).
Dans ce livre de référence de 550 pages, sans les notes (très intéressantes elles aussi), l'historien revient sur la rupture qu'opère l'apparition du PCF et l'influence de l'Internationale communiste sous l'influence anti-colonialiste et anti-impérialiste de Lénine avec une certaine complaisance paternaliste de la gauche française (un certain socialisme) avec un colonialisme prétendument civilisateur.
A l'inverse, dans les années, le jeune PCF s'engage avec les colonisés et les opprimés, vietnamiens, africains, nord-africains. C'est l'époque où Ho Chi Minh adhère au PCF, comme d'autres futurs grands dirigeants indépendantistes comme Messali Hadj. "L'Humanité n'hésite pas à publier des documents horribles pendant la guerre du Rif, telle cette photo en une de soldats français souriants, exhibant des têtes de rebelles coupées". C'est sur ces bases anticolonialistes que de grands intellectuels et artistes d'avant-garde vont rejoindre le PCF, Aragon, Breton, René Crevel, Robert Desnos, Paul Eluard, Michel Leiris, Benjamin Péret, Philippe Soupault, rejoignent le PCF.
Dès le printemps 1922 Paul Vaillant-Couturier voyage en Algérie et en tire des idées nuancées sur l’Islam et la culture de l’Algérie, dénonce l’esprit raciste et colonialiste qui règne en Algérie, y compris chez les ouvriers d’origine européenne.
Au début des années 20, le PCF présente des travailleurs immigrés aux élections en région parisienne : le communiste Abdelkader Hadj Ali échoue de 20 voix à être élu à Paris. Le Sénégalais Lamine Senghor est présenté aux municipales dans le quartier de la Salpétrière.
C’est une époque où des élus sont arrêtés pour opposition à la guerre coloniale du Maroc : Thorez condamné à 14 mois de prison, en 1925, avec 257 militants, la plupart communistes, mais aussi quelques anarchistes. Le PCF est le seul parti en France qui axe sa propagande sur l’exigence de l’indépendance des pays colonisés. Le secrétaire national Pierre Sémard écrit dans L’Humanité le 20 août 1925 : « La paix dans l’Afrique du Nord, la seule qui soit durable, ne s’obtiendra que par l’octroi de l’indépendance complète aux peuples coloniaux opprimés. Si l’impérialisme français et les autres ne s’accordent pas sur cette indépendance de bon gré, les peuples coloniaux la conquerront par la force ».
En 1926, l’Etoile Nord Africaine, organisation et société d’aide mutuelle d’immigrés coloniaux nord-africains, est créée avec l’appui du PCF. Ce sera un des creusets du futur mouvement nationaliste.
En 1931, le PCF organise avec la CGTU une contre-exposition coloniale, place du Combat, devenue depuis place du Colonel Fabien, où se tient le siège du PCF.
Quant au Parti communiste algérien, dès 1925, il se positionne pour l’unité inter-confessionnelle et ethnique des exploités, et la libération des peuples opprimés des colonies. Les Algériens d’origine « musulmane » y adhèrent. Le parti communiste algérien s’« arabise » progressivement.
La logique de Front Populaire et de compromis avec la gauche classique, socialiste et radicale, souvent complaisante avec les logiques coloniales, va modérer le discours du PCF et ses revendications sur la question coloniale.
1936 est aussi le retour du drapeau tricolore, de la nation, des thématiques d'union nationale, de la Marseillaise, dans le discours et les symboles du PCF. Conjurer le danger fasciste devient plus important sur le moment que pousser les feux de la révolution.
En octobre 1936, le PCA d’autonomise, selon une volonté de l’Internationale communiste. Le PCF défend des réformes démocratiques en Algérie, l’égalité des droits, mais plus l’indépendance en tant que telle. Camus sera adhérent au Parti communiste de août 1935 à 1937.
Après la seconde guerre mondiale, la Libération est synonyme pour l’Algérie de reprise en main ultra-violente du système colonial, avec l’écrasement féroce de la « révolte » de Sétif.
Le PCF est membre du gouvernement et s’il cherche à établir la vérité sur les responsabilités et dénonce les massacres du Constantinois dans L’Humanité, avec une ambiguïté maintenue sur les responsabilités, il ne quitte pas le gouvernement pour autant et garde une forme d'adhésion de facade au discours de l'union française librement consentie portée par le CNR.
A la fin des années 40 et au début des années 50, le PCA est plus avancé que le PCF pour défendre une perspective d’indépendance. Ses effectifs atteignent 15 000 membres en 1950. Il contrôle des journaux indépendants et critiques de l’exploitation coloniale (« Alger Républicain », dirigé par Boualem Khalfa, « Liberté »). Son bureau politique est composé d’européens comme d’arabes et de berbères culturellement musulmans. A la veille de la guerre d’indépendance, le PCA compte 60 % de musulmans et c’est la deuxième force politique chez les musulmans derrière le PPA-MTLD de Messali Hadj. Des grands écrivains comme Kateb Yacine et Mohamed Dib se rapprochent du PCA et écrivent dans « Alger Républicain ». La CGT algérienne a la même politique d’intégration des exploités coloniaux et est en pointe des grands combats internationalistes, notamment contre la guerre d’Indochine.
Alain Ruscio décrit aussi à merveille l’état de la société française et sa relation à l’Algérie, la production de cet imaginaire colonial et son existence plus ou moins affirmée selon les secteurs de la population.
Il explore aussi les évolutions, les affrontements de tendance et d'analyses, les hésitations et les oscillations, sur la question algérienne, à l'intérieur du PCF et du PCA, se gardant bien de tomber ni dans l'hagiographie, ni dans une histoire inquisitoriale, et faisant la part des circonstances et du contexte.
Dans les années 50, "L'Humanité" est le seul grand journal français à faire état sans fard de la violence de l'exploitation et de la répression coloniale en Algérie, des tortures policières. Le PCF est à l'origine d'une expérience militante originale: l'envoi en Algérie de deux peintres, tous deux anciens résistants, Boris Taslitzky, rescapé de Buchenwald, et Mireille Miailhe, témoigner en un ouvrage d'art de la détresse matérielle d'une large part de la population algérienne en même temps que de la combativité maintenue de certains groupes sociaux comme les dockers et les travailleurs agricoles et pour dénoncer de la répression coloniale.
Au début de la guerre, ce sera l'Humanité qui qualifiera la première les "évènements" d'Algérie pour ceux qu'ils sont, une véritable guerre, et menée contre les civils, avec une succession d'articles coups de poing de l'ancienne résistante et députée landernéenne Marie Lambert et Madeleine Riffaud dénonçant les exactions de l'armée française. "L'Humanité" sera d'ailleurs censurée à plusieurs reprises pendant la guerre d'Algérie.
Au début des années 50, les communistes algériens soutiennent les volontés d’indépendance au Maroc et en Tunisie. Néanmoins, les relations du PCA avec le nationalisme indépendantiste algérien à la référence dominante islamique sont marquées par la méfiance à la veille du 1er novembre 1954, début de la guerre d’Algérie.
Partisan d'une politique de front unique anti-impérialiste et anti-colonial depuis 1950, à partir de 1955, les communistes algériens vont soutenir l’insurrection, sommés par le FLN de choisir leur camp définitivement. De nombreux militants, et parmi plusieurs « européens », plusieurs militants communistes juifs, vont rejoindre les maquis indépendantistes, livrer des armes et des colis. Les militants communistes sont alors persécutés et poursuivis par l’armée et la police coloniales au même titre que les nationalistes algériens. Les journaux communistes sont interdits, les journalistes arrêtés et torturés, comme Henri Alleg. Une centaine de militants communistes « non-musulmans », européens et juifs, au moins ont combattu avec les Algériens indépendantistes, beaucoup y perdant leur vie, certains tués par des chefs de maquis FLN sectaires, d’autres étant emprisonnés pendant de longues années et torturés. Certains militants, comme Fernand Iveton, sont exécutés, avec un refus de grâce à l’époque de Mitterrand, ministre de la justice.
Pendant ce temps là, sans encourager la désertion pour ne pas se couper des masses, le PCF milite pour la paix et la négociation en Algérie, pour aller vers l’indépendance.
En 1956, avec son soutien au gouvernement de Guy Mollet et au retour de la gauche au pouvoir, gouvernement qui vite décevoir les promesses de paix et de négociation en Algérie, avec le durcissement de la guerre, la position du PCF va être de plus en plus équilibriste et difficile à tenir, avec notamment le vote des pouvoirs spéciaux par les députés communistes en mars 56, provoquant un malaise au sein du PCF. La répression de l'insurrection de Budapest et l’opposition du PCF à l’agression de l’Égypte nassérienne après la nationalisation du canal de Suez vont isoler encore plus le PCF dans un retour de logiques de guerre froide, ce qui va amener les communistes à être progressivement de plus en plus ouvertement critiques vis-à-vis du gouvernement, de la politique de guerre, et des violations des droits humains et libertés en Algérie et en Métropole, comme dans l’affaire de l’arrestation, de la torture et de la disparition du brillant mathématicien communiste Maurice Audin, membre du PCA, agent de liaison, ou de la publication du livre brûlot d’Henri Alleg sur « La Torture ».
 
En revanche l’appareil du PCF, qui au départ soutenait en sous-main le ralentissement et le blocage des convois d'appelés, n’encourage pas non plus les logiques de désertion, de sabotage, de refus net d’engagement, ni de soutien militaire à la rébellion même si certains militants communistes y participent, et alors même que les militants communistes algériens, et parfois aussi des communistes français séjournant en Algérie, soutiennent complètement le FLN et la révolution algérienne.
 
La position du PCF va se renforcer et se clarifier au moment où de Gaulle engage une voie de discussion pour l’indépendance, s’exposant une tentative de coup d’État qui va amener le PCF à engager tout son poids pour la paix en Algérie, contre l'OAS, contre la dérive factieuse d’une partie des officiers, tandis que son influence sur de nombreux appelés explique peut-être le refus de suivre les militaires félons.
 
Auparavant, politiquement, les communistes vont perdre du poids et des positions électorales avec la logique plébiscitaire que De Gaulle a réussi à mettre en place et leur échec à faire obstacle à l'installation d'une Ve République monarchiste avec les autres forces de la IVe République, du centre et du centre-gauche.
 
Au début des années 60, le PCF malgré des positions parfois équilibristes et contorsionnistes, pour ne pas dire pleines de contradictions, sur la guerre en Algérie, va être porté et renforcé par l’exigence du retrait des troupes et de la paix qui montent dans l’opinion, qu’il exprime avec force, défendant l’autodétermination de l’Algérie, la négociation et la paix immédiate.
 
On ne peut qu’encourager la lecture de ce livre d'une immense richesse, facile et agréable à lire et particulièrement éclairant, fruit d’un travail de recherche et de synthèse monumental !
 
Ismaël Dupont - 3 avril 2023
 
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