À l’approche de l’opération militaire et policière qui vise à détruire les logements informels de plusieurs milliers de personnes et à les chasser vers les autres îles de l’archipel, la détresse des habitants visés est palpable.
Mayotte, correspondance particulière.
Dans un quartier défavorisé de Doujani, à Mamoudzou, centre économique de Mayotte, le temps est lourd. Et n’annonce rien de bon. La poussiéreuse terre ocre qui sépare les amoncellements de cases en tôle sera bientôt piétinée par les rangers de plusieurs centaines de gendarmes et policiers, mobilisés jusqu’au mois de juin aux quatre coins de cette petite île de l’océan Indien.
Durant deux mois, le 101e département français sera le théâtre de démolitions de cases – ou « décasages » – et d’expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Le démarrage de l’opération « Wuambushu » est prévu pour ce week-end. D’une ampleur inédite, elle a été décidée par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin.
Elle est soutenue par l’intégralité des élus mahorais, qui espèrent y retrouver un foncier précieux, et saluée par une population excédée des agressions quotidiennes dans ce territoire, et composée de 50 % de mineurs et de 48 % de personnes de nationalité étrangère.
« Je ne sais pas jusqu’où ça va aller, mais je sais très bien que ce sera un carnage »
Si le discours politique taxant de délinquants tous les habitants de ces quartiers informels est devenu fécond à Mayotte, il suffit de se rapprocher de ces derniers pour appréhender une réalité tout autre. Naïssa, étudiante en deuxième année de BTS et en situation irrégulière, habite dans ce quartier de Doujani et a la peur au ventre depuis qu’elle a entendu parler de l’opération.
« Je panique en imaginant les camions de police arriver, je ne sais pas jusqu’où ça va aller, mais je sais très bien que ce sera un carnage, parce que les jeunes qui ont des papiers ne vont pas être d’accord, ils vont se rebeller, » affirme la jeune femme.
Comme toutes et tous, l’étudiante a vu les appels parfois violents à la révolte fleurir sur les réseaux sociaux. Mais c’est bien l’avenir proche qui occupe ses pensées, alors qu’elle doit passer ses épreuves à partir du mois de mai. « Je suis inquiète pour ma mère et mon petit frère, ajoute-t-elle. S’ils nous décasent, qu’est-ce que je ferai dans un pays que je ne connais pas ? On va se retrouver à la rue, dans la souffrance et la misère. »
« On se contrefout des règles et des droits ici »
En cas d’expulsion, la mère de Naïssa, arrivée à l’âge de 9 ans à Mayotte, a déjà pris la décision de laisser ses enfants à des amis. « On n’a pas les moyens de louer une maison, explique l’aînée, la voix étranglée par des sanglots. Elle préfère nous abandonner pour qu’on continue nos études au lieu de nous emmener souffrir là-bas. Ce qu’elle voulait pour nous, c’est une vie meilleure que la sienne. Je culpabilise, je ne m’imagine pas vivre sans elle à mes côtés. »
Ma mère préfère nous abandonner pour qu’on continue nos études au lieu de nous emmener souffrir là-bas. Ce qu’elle voulait pour nous, c’est une vie meilleure que la sienne. » Naïssa, étudiante en deuxième année de BTS, en situation irrégulière
Pour exprimer sa peine, l’étudiante a même écrit une lettre poignante à ses professeurs, qu’elle s’imagine quitter du jour au lendemain. Ce sentiment d’urgence, Daniel Gros le côtoie depuis de nombreuses années. Référent de la Ligue des droits de l’homme à Mayotte, le retraité épaule autant qu’il le peut les familles en détresse, mais ne peut cacher son pessimisme quant à cette opération. « C’est la panique partout, affirme-t-il. Il y a des jeunes de 15 ans nés en France qui se font renvoyer. On n’a pas le droit de faire ça, mais on se contrefout des règles et des droits ici. »
Un département soumis à un droit « d’exception »
Pourtant, le 101e département français est déjà soumis à un droit « d’exception » : un étranger souhaitant la nationalité française à Mayotte doit prouver que l’un de ses parents y résidait au moins trois mois avant sa naissance, une demande d’asile doit être déposée dans les sept jours, contre vingt et un dans l’Hexagone, et le titre de séjour mahorais ne permet pas de se rendre dans les autres territoires français.
Mais les faits sont encore plus durs, selon Daniel Gros : « Non seulement ils se permettent de renvoyer des gens sans étudier leur dossier mais, en plus, ils font des retraits de titres de séjour. » Annie, malgache résidant à Mayotte, a vu son amie interpellée le samedi matin et mise dans l’avion le dimanche après-midi. « Elle n’a pu dire au revoir à sa fille de 10 ans, qui est maintenant chez moi, ni emporter aucun bien, elle a dû mendier une fois sur place pour rejoindre sa famille, affirme-t-elle. En plus, ils l’ont laissé cuire deux heures dans un bus sous la chaleur, alors qu’elle était enceinte de 5 mois ! »
Des indications sur les bâtiments destinées aux bulldozers
Ce manque de respect des droits et des procédures s’est renforcé durant la préparation de l’opération « Wuambushu ». Le 21 mars, les habitants du quartier de Doujani n’ont pas reçu d’avis d’expulsion, mais des courriers non adressés leur notifiant qu’ils devaient avoir quitté les lieux le 15 avril. Deux jours plus tard, des agents de la commune numérotaient à la peinture les structures à détruire ce lundi 24 avril.
Les forces de l’ordre ont deux mois pour faire le vide et ne veulent pas être ralenties. » Daniel Gros, Référent de La ligue des droits de l'homme à Mayotte
Dans le quartier de Barakani, à Koungou, les chiffres ont été remplacés par de froids « oui » et « non » destinés aux bulldozers. Excédés, les habitants ont décidé de démolir eux-mêmes leur logement, avant de mettre les voiles. « La préfecture ne fait plus automatiquement d’arrêtés avant un décasage pour que l’on ne puisse pas saisir la justice, précise Daniel Gros. Les forces de l’ordre ont deux mois pour faire le vide et ne veulent pas être ralenties. »
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