Ils ne sont pas Bretons. Ni économistes. Et encore moins spécialistes du ferroviaire. Mais leur travail n’en demeure pas moins intéressant. Camille Damiano et Samir Boukhalfa, 24 ans, ont enquêté pendant neuf mois sur la ligne Morlaix Roscoff, dans le cadre de leur dernière année d’étude à l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) de Paris Malaquais. « Notre objectif final était de proposer un projet architectural approfondi, renseignent-ils. Mais dans le cadre de ce travail, lancé après la lecture d’articles du Télégramme sur le sujet, nous nous sommes énormément documentés sur le Haut Léon, son histoire agricole, son passé ferroviaire, son avenir. On s’est pris de passion pour ce territoire où nous avons séjourné deux fois cinq jours ». Le fruit de ces recherches : une BD enquête de 90 pages intitulée « Le Fer et la Terre » (le fret ferroviaire comme outil d’irrigation au service de la transformation d’un territoire agricole), disponible sur Issuu, une plate-forme d‘édition électronique gratuite.
« Un véritable gisement »
À la fois auteurs et illustrateurs de cet ouvrage, Camille Damiano et Samir Boukhalfa arrivent à la conclusion que la ligne Morlaix Roscoff, abandonnée depuis le 3 juin 2018, suite aux pluies d’orage qui avaient emporté une partie des rails au niveau de Sainte-Sève, a un gros potentiel. « Elle a été la ligne de fret la plus rentable de la SNCF de 1957 à 1981. Puis a décliné en raison de la concurrence routière, rappellent-ils. Mais elle reste un véritable gisement. Après le Brexit, la COP26 (à Glasgow, en 2021, NDLR) et à l’heure de l’agrandissement du réseau transeuropéen du transport (RTE-T), la donne pourrait changer ».
« Pris aux tripes par ce sujet », les deux jeunes architectes estiment que le rail doit être la colonne vertébrale du Haut Léon. « Il faut voir le train comme un moyen de mutualiser les ressources, soufflent-ils. Et prendre le fret ferroviaire comme mode premier du transport de marchandises. Mais cette transformation ne peut trouver de réalité qu’avec les acteurs qui façonnent déjà le territoire et son économie. Comme le port de Bloscon ou la Sica ».
« Un travail désintéressé »
C’est justement à Saint-Pol-de-Léon, fief de la Sica, que Camille Damiano et Samir Boukhalfa ont implanté leur projet architectural. Dans l’ancienne gare (où vient de s’installer un bar-restaurant), précisément, qu’ils ont imaginée en grande halle, « histoire de revisiter l’image de ce pays agricole exportateur ». Un endroit qui abriterait à la fois des laboratoires destinés à la recherche sur les semis paysans, mais aussi une gare de fret et une gare voyageurs. « Car le redémarrage du fret relancera le trafic voyageurs. Tous les éléments sont en place pour un fonctionnement différent de ce territoire. C’est ce qu’on a voulu montrer dans cette BD, qui est un condensé de notre enquête. Il nous est apparu que c’était le meilleur moyen de communiquer sur ce sujet complexe ».
Les jeunes architectes ne cherchent pas à monétiser leur travail. Seulement à le rendre accessible au plus grand nombre. « C’est gratuit, désintéressé, argumentent-ils. Notre projet de gare à Saint-Pol-de-Léon est très ambitieux. Il est fait pour rêver et ne verra pas le jour. Ça coûterait bien trop cher. Mais ça n’enlève rien au reste de l’enquête ».
« Nous avons justifié le retour du train »
Cette dernière comporte aussi des annexes. Consacrées à ce projet de gare en lui-même, mais aussi aux chiffres du fret ferroviaire et à l’analyse du rapport Spinetta de 2018. Confier la gestion des petites lignes ferroviaires aux régions, fidéliser le fret et ouvrir à la concurrence faisaient partie des propositions de ce rapport. « Nous sommes allés au fond des choses, concluent Camille Damiano et Samir Boukhalfa. Et nous avons justifié le retour du train entre Morlaix et Roscoff, en expliquant qu’il y avait des moyens pour le financer. Cette ligne a un avenir ».