Les partisans de l’ancien président ont envahi, ce dimanche, le Congrès, le palais présidentiel et la Cour suprême. La gauche dénonce les complicités du gouverneur et des autorités chargées de la sécurité. Absent de la capitale au moment des faits, Lula annonce que les responsables et ceux qui les financent seront poursuivis. L'armée se tient prête.
Il y a du trumpisme dans la méthode. L’investiture du président Luiz Inacio Lula da Silva, il y a une semaine, n’aura pas empêché les groupes séditieux de rêver d’un coup d’État, refusant la défaite du président sortant, le fasciste Jair Bolsonaro dans les urnes, le 30 octobre dernier. À Brasilia, des centaines de bolsonaristes, qui contestent toujours le résultat des élections, ont envahi, ce dimanche, le Congrès, le palais présidentiel et la Cour suprême.
Le président Lula, en visite dans la ville dévastée par les inondations d’Araraquara (Sao Paulo), était absent de la capitale aujourd’hui. Dans les bâtiments conçus par l’architecte Oscar Niemeyer, riches en œuvres d’art, les dégâts semblent toutefois importants. Parallèlement, des manifestants vêtus de jaune et vert, bloquaient l'avenue du 23 mai de la capitale économique São Paulo.
Lula, qui a validé un décret pour l'intervention fédérale, s'est exprimé dans les heures qui ont suivi. Le chef de l’ Etat a souligné la responsabilité politique à son prédecesseur, notant : «il y a plusieurs discours de l'ancien président qui encouragent cela». Qualifiant les putschistes de «vandales», de «nazis» et de «fascistes fanatiques», il a également annoncé que les responsables de la tentative de putsch et ceux qui les financent seraient poursuivis.
Connivence des autorités du District fédéral
Gleisi Hoffmann, la présidente du Parti des Travalleurs (PT), la formation de Lula, a mis en cause la responsabilité du gouverneur du District Fédéral, Ibaneis Rocha, et du secrétaire à la sécurité du District Fédéral, Anderson Torres. Ce dernier a été démis de ses fonctions. Dans la région capitale, les bolsonaristes ont largement emporté les élections au Congrès et du gouverneur ; un point d’appui non négligeable pour les putschistes.
Dans plusieurs vidéos diffusées sur les vidéos sociaux, on voit des bolsonaristes discuter sur la Place des trois pouvoirs avec la police militaire de la capitale qui dépend du préfet. «C’est un crime annoncé contre la démocratie, contre la volonté des urnes et pour d’autres intérêts», a réagi la responsable politique sur Twitter.
Alors que la gauche semble assister sidérée à cette action, certains militants n’ont pas tardé à questionner la lenteur de la réponse étatique. «L’inaction de l’État est stupéfiante. Il n’y a tout simplement aucune réaction à la hauteur, jusqu’à présent, contre la tentative de l’extrême droite. La tactique d’apaisement s’avère être un échec», s’est indigné le journaliste et fondateur du site Opera Mundi, Breno Altman.
En réaction, le nouveau ministre de la Justice Flavio Dino a pour sa part immédiatement annoncé l’envoi de renforts. «Cette tentative absurde d’imposer la volonté par la force ne prévaudra pas», a-t-il insisté. « La facilité avec laquelle les envahisseurs avancent est un signe de connivence des autorités», abonde la philosophe Marcia Tiburi en exil en France et toujours menacée par l’extrême droite.
Selon la Folha de São Paulo, l'armée aurait mis ses troupes en alerte en attente d'un déclenchement d'une opération de Garantie de la loi et l’ordre (GLO), un instrument prévu par la Constitution fédérale.
Respect de la constitution
Le sénateur Rogério Carvalho (PT) émet quant à lui la proposition que les forces de sécurité du district fédéral soient fédéralisées, c’est à dire qu’elles passent sous l’autorité de l’état fédéral et donc du gouvernement «pour garantir l’intégrité des représentations institutionnelles du Brésil». «Nous ne pouvons pas avoir plus de sympathie pour les criminels», a-t-il ajouté. De son côté, l'ambassade américaine au Brésil a condamné cette tentative de putsch et appelé à «la fin immédiate de ces attaques».
Dans un tweet rédigé en portugais, Emmanuel Macron a pour sa part demandé à ce que «la volonté du peuple brésilien et les institutions démocratiques (soient) respectées !», ajoutant «le président Lula peut compter avec le soutien inconditionnel de la France».
À l’heure où ces lignes étaient écrites, ni Jair Bolsonaro ni son entourage n’avaient réagi à l’invasion des institutions. L’ex-président n’a jamais félicité son adversaire et a quitté le pays pour la Floride quelques jours avant l’investiture de Lula, signant là le peu de cas qu’il faisait du respect de la Constitution et de la transition démocratique. Depuis la défaite de Jair Bolsonaro, certains de ses partisans réclamaient une intervention de l’armée et faisaient le siège devant les casernes.
Brésil Lors de leur tentative de coup d’État manqué, les bolsonaristes ont testé la résistance de la démocratie. Le président Lula da Silva, qui a placé son mandat sous le signe de la réconciliation, est appelé à des réformes d’ampleur au sein de l’armée et de la police militaire.
Entre Noël et le carnaval, le Brésil plonge ordinairement dans la léthargie. Réveil douloureux, dimanche, alors que le pays assistait, stupéfait, à l’invasion de la place des Trois-Pouvoirs, à Brasilia, par des centaines de putschistes bolsonaristes, saccageant sur leur passage le palais présidentiel, le Congrès, la Cour suprême et les œuvres d’art offertes par les pays du monde entier qu’ils recelaient. L’une des journées les plus sombres de l’histoire du pays, qui a emporté avec elle trente-huit années de construction démocratique. La barbarie culturelle et politique aura duré quatre heures avant que 400 personnes ne soient interpellées.
Comment le temps de réaction a pu être aussi long dans des lieux aussi stratégiques? C’est la question posée immédiatement par l’ensemble des forces démocratiques sidérées par les images de la police militaire, sous autorité du district fédéral, laissant la marée auriverde défier la zone de sécurité, entre selfies et discussions aimables avec les partisans de l’ex-président Jair Bolsonaro. « L’inaction de l’État est stupéfiante. Il n’y a tout simplement aucune réaction à la hauteur, jusqu’à présent, contre la tentative de l’extrême droite. La tactique d’apaisement s’avère être un échec », s’est indigné, dans un premier temps, le journaliste et fondateur du site Opera Mundi, Breno Altman. Pour sa part, Gleisi Hoffmann, présidente du Parti des travailleurs (PT), la formation du chef de l’État Luiz Inacio Lula da Silva, a mis en cause la responsabilité du gouverneur du district fédéral, Ibaneis Rocha, et du secrétaire à la Sécurité et ex-ministre de la Justice, Anderson Torres: « C’est un crime annoncé contre la démocratie, contre la volonté des urnes et pour d’autres intérêts », a-t-elle fustigé.
D’importantes transactions financières depuis les États-Unis
À l’issue des élections générales, les bolsonaristes se sont retrouvés en position de force dans le district fédéral extrêmement conservateur, dans la capitale économique de São Paulo et dans l’ensemble du Sud-Est. Au fil de la journée, ils se sont pourtant désolidarisés un à un des putschistes, craignant que le coup de force de dimanche ait des airs de chant du cygne. « Je veux d’abord m’adresser au président Lula pour m’excuser pour ce qui s’est passé aujourd’hui dans notre ville… Ce qui s’est passé (…) est inacceptable », s’est excusé le gouverneur de Brasilia, Ibaneis Rocha. Affilié au Mouvement démocratique brésilien (MDB), ce proche de Jair Bolsonaro a été suspendu de ses fonctions par la Cour suprême pour une durée de quatre-vingt-dix jours. C’est également le cas de l’ex-ministre de la Justice bolsonariste, Anderson Torres, limogé par Ibaneis Rocha lui-même. Autre figure de l’extrême droite à prendre ses distances: Valdemar Costa Neto, président du Parti libéral de Jair Bolsonaro, qui a regretté ce « jour triste pour la nation brésilienne ».
Depuis plusieurs semaines, des informations circulaient au sein du PT selon lesquelles d’importantes transactions financières étaient en cours, depuis les États-Unis notamment. Des avions et des cars auraient également été affrétés afin de faire affluer les bolsonaristes vers la capitale fédérale. D’aucuns redoutaient que le coup de force n’ait lieu le jour de la passation de pouvoir, le 1er janvier. Ce ne fut pas le cas. De la même manière que les manifestations devant les casernes n’ont pas donné lieu à un soulèvement de l’armée. Si de nombreux parallèles ont été dressés avec l’action des trumpistes contre le Capitole, le 6 janvier 2021, le philosophe et professeur à l’université pontificale catholique de Rio de Janeiro Rodrigo Nunes souligne des différences de taille entre les deux coups de force. « La différence la plus importante est le timing. L’invasion du Capitole avait pour objectif d’empêcher la certification de Biden, afin d’éviter que sa victoire ne devienne un fait accompli. » Jusqu’à dimanche, les bolsonaristes, en position de force au Congrès à l’issue des élections d’octobre, ont laissé passer toutes les échéances: de l’annonce des résultats à leur certification jusqu’à l’investiture. La réaction unanime à l’international afin de valider l’élection puis de condamner la tentative de putsch (lire notre encadré) réduit la marge de manœuvre des cadres bolsonaristes pour qui le coût politique pourrait se révéler élevé. Même importante, leur capacité de mobilisation reste insuffisante. Et ce d’autant plus avec une base, certes violente, fanatisée par les réseaux sociaux et mue par la certitude d’une prophétie autoréalisatrice, mais désorganisée.
En visite dans la ville dévastée par les inondations d’Araraquara (São Paulo), Lula était absent de la capitale au moment des faits. Le président, qui a fait de la réconciliation nationale le maître mot de son mandat, a immédiatement pointé la responsabilité de Jair Bolsonaro: « Il y a plusieurs discours de l’ancien président qui encouragent » la sédition. Qualifiant les putschistes de « vandales », de « nazis » et de « fascistes fanatiques », Lula a également annoncé que les responsables de l’intervention de dimanche et ceux qui les financent seraient poursuivis.
syndicaux et citoyens ont appelé à des manifestations nationales
Une demande forte de sa base qui rejette toute idée d’amnistie. « Ce qui se passe à Brasilia n’est ni un mouvement de masse ni un mouvement spontané. C’est organisé par des bandits qui défendent des intérêts objectifs: l’exploitation minière illégale, l’accaparement illégal des terres, la libéralisation (du port) d’armes, les milices et d’autres choses qui ont toutes reçu l’assentiment de Bolsonaro », argumente Gleisi Hoffmann, signifiant qu’au combat démocratique se superpose celui de classes. Minoritaire au Parlement, la gauche sait le danger de la situation. L’histoire récente de la destitution de Dilma Rousseff et de l’emprisonnement de Lula, par la volonté d’une justice aux ordres, le démontre. Dans ce rapport de forces, les mouvements syndicaux et citoyens ont appelé de manière concertée à des manifestations nationales pour la défense de la démocratie, qui devaient se dérouler ce 9 janvier en fin d’après-midi.
Lula est paradoxalement en position de force face à un Jair Bolsonaro qui, depuis sa défaite à la présidentielle, est obsédé par l’idée de minimiser les charges qui pourraient être retenues contre lui. Deux jours avant l’investiture de Lula, l’ex-président a quitté le Brésil pour la Floride de son ami Donald Trump. Si Jair Bolsonaro tire les fils en coulisses, il ne prend pas la direction explicite du putsch. Les cadres intermédiaires ont à charge d’organiser le coup de force. De cette masse, en attente de dirigeants plus extrêmes, pourrait toutefois naître des « loups solitaires » tentés par des actions meurtrières contre les partisans de gauche dont la campagne électorale n’a pas été exempte. De plus, alerte Rodrigo Nunes, la situation « pourrait déboucher sur un scénario digne du putsch bolivien, dans lequel la persistance de l’anomie sociale amène les militaires à s’exprimer en faveur d’un départ du gouvernement pour ne pas être obligés de tirer sur la population ».
Au nom de la Cour suprême, le juge Alexandre de Moraes a ordonné l’évacuation sous vingt-quatre heures des campements érigés dès le lendemain de la présidentielle à proximité des casernes et le déblocage des routes. Les événements appellent cependant une profonde réforme de la police militaire et de l’armée. « L’armée n’a jamais été purgée des éléments qui ont été à la base de la dictature. Bolsonaro, qui n’était qu’un officier subalterne, en est une triste illustration et les hommages rendus, pendant sa présidence, avec toute la hiérarchie militaire, aux responsables de la dictature et au tortionnaire de (l’ex-présidente) Dilma Rousseff en disent long », souligne l’historien Pedro Da Nobrega, qui rappelle l’immixtion des généraux dans le dernier processus électoral. En Colombie, le président Gustavo Petro a lui-même commencé à remplacer des généraux, une action indispensable pour parachever la transition démocratique et parvenir à la paix. Selon Gleisi Hoffmann, « il est plus que temps pour les forces armées de montrer qu’elles sont du côté du Brésil et non d’un mouvement politique partisan (…) et de putschistes ».
Les relations entre les clans trumpiste et bolsonariste, incarnées par l’ancien conseiller Steve Bannon et Eduardo Bolsonaro, le fils de l’ex-président, sont-elles allées jusqu’à une aide dans la préparation de l’assaut à Brasilia ?
On ne savait plus s’il parlait de Bolsonaro ou de Trump. Sans doute des deux, d’ailleurs. Il y était question du vol d’une élection, de machines à voter détournées à cette fin, de l’instrumentalisation de la justice et des médias et, finalement, de patriotes qui devaient récupérer leur bien. En un peu plus d’une minute, Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump, cochait toutes les cases du « bingo » trumpiste. Au lendemain des attaques contre les lieux de pouvoir au Brésil, Eduardo Bolsonaro, l’un des fils de l’ancien président, a partagé cette vidéo enregistrée fin novembre, alors que Bannon recommandait à Bolsonaro père de ne pas reconnaître les résultats du second tour de l’élection présidentielle.
Le brésil, terreau propice à Une version « tropicale » du trumpisme
On aurait pu penser que le fondateur de The Movement, organisation visant à unir les nationaux-populistes du monde entier, parmi lesquels figure Marine Le Pen, dont il s’est vanté d’être le conseiller informel, en profitait pour refaire le match de l’élection perdue par Donald Trump. En fait, il joue la même partie mais sur un autre terrain. L’attention portée par Steve Bannon au Brésil n’est ni récente ni circonstancielle. Il a identifié dans le plus grand pays d’Amérique latine un terreau proche de celui des États-Unis, qu’il juge propice à une version « tropicale » du trumpisme. Les deux pays se caractérisent par d’immenses inégalités sociales qui sont souvent le calque d’inégalités raciales sur fond d’histoire esclavagiste (jusqu’en 1865 aux États-Unis et 1888 au Brésil) tandis que les évangéliques constituent le noyau dur du bolsonarisme comme du trumpisme. S’ajoute désormais à cette liste un assaut contre le cœur du pouvoir, deux ans et deux jours après l’attaque du Capitole à Washington.
Ce lien transcontinental ne se limite pas à la relation d’un ancien conseiller et d’un fils d’un président battu, dont la première rencontre, à New York en 2018, s’était soldée par un parfait accord dans la lutte contre le « marxisme culturel ». Il illustre la proximité des deux clans et des deux mouvements. Selon le Washington Post, Eduardo Bolsonaro, toujours lui, a été reçu à plusieurs reprises par Donald Trump dans sa résidence floridienne de Mar-a-Lago. Il a également rencontré Jason Miller, ancien porte-parole de campagne de Trump, désormais patron du réseau ultraconservateur Gettr. Lors de la première rencontre à la Maison-Blanche entre Trump et Bolsonaro, c’est le fils qui accompagne son père, pas l’ambassadeur. Celui qui est surnommé « Zéro trois », car il est le troisième fils du leader d’extrême droite, noue des relations personnelles avec Ivanka Trump. Le rejeton se trouve au même endroit le 5 janvier 2021, soit à la veille de l’assaut du Capitole. Une attaque que son président de père refusera de condamner, arguant d’un « manque de confiance » dans les élections qui a « conduit à ce qui se passe là-bas ». Anticipant une défaite annoncée, il ajoutait qu’il pourrait « se passer la même chose » au Brésil puisque « la fraude existe » aussi. Hier matin, toute la fachosphère états-unienne se rangeait derrière les assaillants bolsonaristes. Sans surprise. Demeure une question: a-t-elle participé d’une façon ou d’une autre à la préparation de cette attaque ?
commenter cet article …