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24 décembre 2022 6 24 /12 /décembre /2022 07:37
Le Sang des Cerises, tome 2, Delcourt, 130 pages, 23 euros

Le Sang des Cerises, tome 2, Delcourt, 130 pages, 23 euros

Interview de François Bourgeon par Pierre Serna suite à la parution du chef d'oeuvre de la BD "Le Sang des Cerises", suite de la saga des "Passagers du Vent" dans le contexte de la commune de Paris
François Bourgeon. « Fraternité républicaine et sororité féminine vont ensemble »

Bande dessinée Le Sang des cerises, de François Bourgeon, 9e et dernier album de la saga des Passagers du vent commencée en 1979, est la parabole d’une utopie fracassée dans les massacres.

Publié le Jeudi 22 Décembre 2022 - L'Humanité

Après 9 albums, l’aventure se termine par le long voyage en train de deux femmes, Zabo et Klervi. La première raconte les suites judiciaires de la Commune. Les combattants condamnés, déportés, ont été mis au ban de la société, avant que la République ne les amnistie, en fait ne fasse tout pour les oublier. Au sommet de son art, lucide sur les combats à mener pour parvenir à l’égalité des femmes avec les hommes, François Bourgeon fait revivre cette mémoire enfouie, jusqu’au dénouement final entre Zabo et Klervi, comme une claire vie enfin retrouvée.

Le fil directeur des 9 albums est la volonté de confier à des héroïnes la conduite des histoires. C’est exceptionnel dans la bande dessinée française…

Oui, c’est une histoire par et avec les femmes. J’ai très tôt commencé à dessiner pour la revue Lisette destinée aux filles. Ce qui n’était qu’un gagne-pain est devenu un métier où je devais inventer des héroïnes pour de jeunes lectrices… Puis, 1968 est arrivé, avec ses luttes pour l’émancipation des femmes. C’est à ce moment que j’ai eu la chance de rencontrer Jean-Claude Forest, le père de Barbarella, une femme libre et forte. Quand le premier volume des Passagers du vent paraît, en 1979, rien n’est vraiment prémédité, mais depuis, j’ai voyagé en compagnie des femmes qui sont devenues les actrices principales de l’histoire.

On a l’impression de partager l’épopée d’une lignée de femmes courageuses, comme si l’Histoire, du milieu du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle, pouvait s’écrire par le jeu de la filiation féminine.

Il est vrai que, d’Isa à Zabo, un lien de sang unit des femmes. Mais, plus que cela, une communauté de destins rassemble quatre générations de femmes. Elles doivent faire face à une adversité constante. Isa, dans la Fille sous la dunette (1979), subit une méprise de la part de sa famille et doit lutter seule. Zabo est fille de planteurs de Louisiane mais perd tout et affronte une guerre civile aux États-Unis et en France, à travers la Commune. Et puis, pour qu’il y ait généalogie, il faut qu’il y ait des hommes aussi ! Plus discrets, ils n’en sont pas moins importants. Je crois à la complémentarité masculin-féminin, surtout lorsqu’elle met davantage en valeur la place des femmes dans nos sociétés, au XVIIIe siècle, au XIXe siècle mais aussi au XXIe siècle. Ce qui m’intéresse dans des situations terribles (répression brutale, guerre civile, agression sexuelle, infériorisation des femmes dans l’ordre familial et patriarcal), c’est de décrire la solidarité féminine, indispensable pour faire front aux hommes brutaux. Les vrais combats ne se gagnent qu’à plusieurs. La complicité entre hommes et femmes est aussi déterminante dans la lutte. Fraternité républicaine et sororité féminine vont ensemble.

Entre l’Ancien Régime avec son commerce triangulaire inique et la Commune, suivie de la répression féroce du mouvement ouvrier, il y a la révolution de Saint-Domingue qui va voir la naissance d’Haïti.

L’aventure commence dans un vaisseau La Marie-Caroline, qui participe à la traite dans l’ancien Dahomey. Elle se termine presque sur un autre vaisseau négrier, La Virginie, transformé en bateau-prison transportant les hommes et les femmes en Nouvelle-Calédonie, condamnés après la Commune. Entre-temps m’est apparue l’énormité de l’esclavage et de ses méfaits, d’où Bois-Caïman. Je désirais effectuer des recherches pour comprendre dans quel espace-temps se mouvait Isa. Le livre de P. Verger, Flux et reflux de la traite des nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de Todos Os Santos, m’a été précieux, tout comme les travaux de Simone Berbain, le Comptoir français de Juda au XVIIIe siècle, sans oublier le travail de Jean Boudriot, une mine pour saisir la rude vie à bord des vaisseaux. Qu’avait vu Isa, senti, goûté, touché ? En me posant ces questions, j’ai fait des recherches sur la faune et j’ai découvert l’existence du caïmitier, ce petit arbre fruitier tropical, bien aidé aussi par la Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne. Pour faire entrer Isa dans la grande histoire des esclaves révoltés de Saint-Domingue, il m’a fallu poursuivre les lectures et inventer, de façon réaliste et cohérente, le parcours de ces femmes dans l’histoire des révolutions, de l’Amérique à l’Europe.

On vous sent vous-même révolté et surtout sensible à toutes les formes de soulèvement contre l’injustice…

Oui et cela fait partie d’une histoire familiale. Mon père avait rompu avec le Parti communiste au moment du pacte germano-soviétique, mais a de suite retrouvé ses camarades, dès le début de la guerre, pour organiser la résistance contre les nazis, dans une lutte à caractère universel. Voilà aussi pourquoi les 9 albums se situent entre la France, les États-Unis, la Caraïbe, l’Afrique, les océans Pacifique et Atlantique, jusqu’en Nouvelle-Calédonie. C’est l’histoire d’une révolution-monde qui m’intéresse avec la conscience politique qu’elle implique. Dans ma vie, ce choc politique a débuté de façon tragique, le 8 février 1962, à Charonne, lorsque, secouriste bénévole, j’ai vu de mes yeux la violence de la répression policière. Jamais je n’oublierai ce petit monsieur que nous avions secouru et qui est mort de ses blessures quelques jours après. Combien furent-ils dans son cas ? J’en ai tout de même retiré une leçon que la victoire est rare mais le combat permanent. C’est le sens de toute l’humanité en nous.

Ces propos très forts constituent une belle transition pour aborder le dernier opus, le Sang des cerises, belle parabole d’une utopie fracassée dans le sang et le massacre.

Et c’est encore une histoire de femmes. Je me souviens de ma grand-mère chantant le Temps des cerises. Je voulais porter ce récit, non seulement pour raconter le printemps 1871, mais au-delà, dans l’histoire de la répression juridique, avec les déportations en Nouvelle-Calédonie. L’espoir ne meurt pourtant jamais, dans ce cas, avec la poursuite d’un anarchisme renouvelé, qu’un Élisée Reclus incarne à merveille et qui m’a tant frappé dans son Histoire d’un ruisseau.

Cette violence faite au peuple, à sa mémoire, à son histoire prend aussi un autre visage. En 1979, Isa a été violée par une bande de libertins aristocrates et, en 2022, Zabo est violée par des soldats versaillais. On en revient aux risques que prennent les femmes pour mener leur combat.

Durant ces quarante-trois ans, de 1979 à 2022, j’ai voulu accompagner ces femmes qui s’exposent mais ne renoncent jamais, au risque de la blessure terrible, celle du viol. Mais il fallait décrire ces crimes, sans complaisance, cette violence insoutenable faite aux femmes dans tous les conflits. C’était ma façon de combattre auprès des femmes aujourd’hui.

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