L’intégration européenne sous domination néo-libérale est-elle en train de se fracasser sous les coups de la guerre déclenchée par M. Poutine contre l’Ukraine et de la guerre intra-capitaliste. Plusieurs indices conduisent à le penser. La crise des relations entre la France et l’Allemagne en est l’un des symptômes sérieux. Ces deux pays ont le plus poussé à la rédaction, puis à l’approbation du traité de Maastricht – avec la monnaie unique – concevant une intégration européenne sous domination allemande et des firmes capitalistes, juste après l’effondrement de l’Union soviétique. Cette construction a connu son premier choc une douzaine d’années plus tard avec le rejet du Traité constitutionnel européen en 2005, puis l’inadmissible sort réservé à la Grèce, l’exact contraire d’une solidarité européenne. Le Brexit en fut un autre, retentissant, qui a eu pour conséquences de déplacer le centre de gravité de l’Europe politique vers l’Est, faisant perdre à la France un allié à l’Ouest, tandis que l’Allemagne s’appuyait de plus en plus sur les pays de l’Europe Orientale. Après sa réunification, ce grand pays a construit une industrie deux fois plus importante que celle de la France, tout en lui damant le pion sur la production agro-alimentaire. La richesse produite par habitant y est de 15% supérieure à celle de la France. La conception même de l’Euro, dont une part essentielle de la valeur est calée sur l’ancien Mark allemand, combinée avec l’exploitation renforcée des travailleurs des pays d’Europe Orientale, a donné à l’Allemagne un avantage compétitif considérable. Il convient de compléter ces paramètres par le fait que les nouvelles générations actives en Allemagne ne sont en rien mêlées avec l’histoire du nazisme. Délestée de cette hypothèque, la stratégie de domination allemande repart de plus belle dans le contexte totalement nouveau de la sale guerre du maître du Kremlin contre l’Ukraine.
Un double mouvement semble ainsi s’opérer. D’une part, un retour pesant des États-Unis en Europe opéré grâce à une alliance prioritaire avec les pays d’Europe orientale. Cette stratégie incluant désormais l’Ukraine, a deux objectifs essentiels : en faire un débouché stable pour leur pétrole et gaz et, d’autre part, y renforcer encore leurs implantations militaires et les bases de l’OTAN, dans un face-à-face avec la Russie. En poussant aux sanctions et en contrôlant les approvisionnements énergétiques, les États-Unis pèsent considérablement sur le capitalisme industriel allemand, afin de l’affaiblir à leur profit. Voilà ce qui explique, pour une part essentielle, la décision du gouvernement allemand d’aider les ménages et pour tenter de défendre son industrie, avec une dépense pour cette seule année de 200 à 300 milliards d’euros de subventions pour réduire le prix de l’énergie, 7 à 8 fois plus cher que le gaz russe. Il le fait sous le coup de mobilisations populaires qui appellent à l’arrêt des sanctions et au rétablissement du commerce avec la Russie dans l’objectif de faire cesser la guerre et d’ouvrir des négociations. Dans le même temps, l’Allemagne qui a pour ambition de devenir la principale puissance militaire européenne, se soumet encore plus aux États-Unis en achetant des avions de chasse fabriqués par l’industrie militaire nord-américaine –F35- et en préparant avec 14 autres pays européens, sans la France, un bouclier antimissiles acheté à Israël et aux États-Unis, tout en donnant des gages à ces derniers dans sa politique anti-chinoise. Il convient de mesurer l’ampleur du basculement en cours. Dans celui-ci, la France, si elle ne retrouve pas sa voix originale pour la paix et la coopération, en sera plus encore affaiblie. Cela montre s’il en était besoin, l’absurdité de démanteler notre corps diplomatique !
Un tourbillon de crises est ainsi en train de saisir l’intégration européenne à base libérale. L’Allemagne cherche à se rapprocher de la Pologne, porte-voix zélé des États-Unis en Europe, plus antirusse que jamais, critiquée par ailleurs pour son « non-respect des valeurs européennes ». La France elle-même tente un rapprochement avec cette Pologne ne respectant pas « l’état de droit ». La Hongrie, considérée par le Parlement européen comme un régime « non démocratique », veut s’approvisionner librement en Russie et remet en cause les sanctions. L’Italie, avec la coalition d’extrême-droite alliée à la droite, demande à l’Autriche de laisser passer le gaz russe. L’Allemagne va fortement subventionner l’énergie dont les Nord-Américains décident du prix, alors que la France est dans l’incapacité de le faire. Personne ne sait donc où va l’Union européenne sous l’égide d’une présidente de la Commission alignée sur les intérêts du capital international et des États-Unis. Elle est, en tout cas, très loin d’un projet coopératif au service des peuples. Une nouvelle fois ce sont eux qui servent de fantassins d’une guerre intra-capitaliste dont ils sont les grands perdants et qui, à la faveur des évènements dramatiques en Ukraine, s’accélèrent dangereusement. Cette nouvelle compétition au sein du capitalisme lui-même, conduit déjà à une incessante augmentation des prix, et servira à pressurer encore plus les travailleurs alors que pour une prétendue « compétitivité » à défendre les impôts sur le capital seront encore abaissés, les services publics affaiblis.
De leur côté, Israël et la Turquie jouent un double jeu pour des objectifs tout aussi impérialistes. Dans ce remodelage du capitalisme, les États-Unis sont les grands gagnants, tandis que les pays européens s’auto-sanctionnent lourdement, affaiblissent leurs capacités industrielles, participent à la violation des Accords de Paris sur le climat en faisant venir massivement du gaz de schiste américain obtenu grâce à la fracturation hydraulique, et menace le projet de construction européenne lui-même.
De ce point de vue le projet de construction en cours de « l’initiative Trimarium », ou « initiative des trois mers » -Baltique-Adriatique-mer Noire-, regroupant douze pays d’Europe centrale et du Sud-Est européens, dont l’Ukraine, est plus qu’inquiétant en ceci qu’il coupe l’Europe en deux. Les cercles dirigeants mondiaux veulent y créer ce qu’ils appellent « une OTAN orientale ». Elle se manifeste déjà avec la construction d’un gazoduc reliant la mer Baltique et la mer Adriatique, et des terminaux pour accueillir le gaz GNL américain. Les citoyens européens et du monde doivent s’en mêler, pour construire une Europe à partir des intérêts communs des peuples. Une Europe indépendante des États-Unis, unissant les nations et les peuples, les associant dans des projets communs pour la paix et le désarmement, l’autonomie énergétique, alimentaire, et la transition environnementale. Cessez la guerre est un impératif au risque de l’élargir dangereusement à toutes et tous. Faisons taire les canons, rangeons les chars et les missiles. Inventons une autre Europe-maison commune. Brandissons ensemble, haut le drapeau arc-en-ciel de la Paix
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