La hausse des salaires serait préjudiciable à l’emploi, prétend le patronat. À bien y regarder, ce serait plutôt le contraire.
La recherche a montré que la hausse des salaires n’est pas destructrice d’emplois. Mais elle a pour effet de réduire la rente des actionnaires.
L’idée selon laquelle la hausse des salaires serait destructrice d’emplois renvoie aux vieux débats sur le salaire minimum. Les économistes libéraux du XIX e siècle (les « classiques ») considéraient le salaire comme une variable d’ajustement de l’offre et de la demande de travail : sa hausse résorbait les difficultés de recrutement et il devait pouvoir baisser pour diminuer le chômage. Ceux du début du XX e siècle (les « néoclassiques ») insistaient sur la productivité : l’adoption d’un salaire minimum risquait, selon eux, d’exclure des travailleurs peu productifs.
La plupart des pays ont aujourd’hui un salaire minimum. L’analyse éco nomique dominante est devenue « néolibérale » au sens où elle cherche à mettre l’intervention de l’État au service du marché et des entreprises. Il s’agit d’empêcher la hausse du salaire minimum et de soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs par les prestations sociales, ou l’embauche par la baisse des cotisations. C’est en tout cas l’avis du groupe d’expert·e·s sur le Smic qui refuse tout coup de pouce au salaire minimum et a même proposé, dans son rapport de novembre 2021, sa désindexation par rapport à l’inflation. Ce groupe est composé d’économistes néolibéraux. Il considère que la hausse du salaire minimum, en augmentant le coût du travail pour les employeurs, détruirait des emplois (notamment pour les moins qualifiés et les plus jeunes, réputés peu productifs). Si ce raisonnement a été prédominant dans les années 1980, il a depuis été mis à mal par de nombreuses études empiriques.
L’INFLATION GRÈVE LE POUVOIR D’ACHAT DES MÉNAGES, LA REVALORISATION DES BAS SALAIRES EST INDISPENSABLE.
En Allemagne, les évaluations de la mise en place, en 2015, d’un salaire minimum ont montré une amélioration du pouvoir d’achat des salarié·e·s à bas salaire et confirmé que les craintes de destructions massives d’emplois étaient infondées. Au Royaume-Uni, les évaluations impulsées par l’introduction d’un salaire minimum en 1999, par ses revalorisations successives jusqu’en 2007, ou encore par sa transformation en 2015 en « salaire décent » plus proche du salaire médian, ont abouti aux mêmes conclusions. Le dogme français sur les salaires est dépassé. Alors que de nombreux secteurs essentiels peinent à recruter et que l’inflation grève le pouvoir d’achat des ménages, la revalorisation des bas salaires est indispensable.
Celle-ci ne détruit pas d’emplois, au contraire : elle réduit les inégalités, soutient le pouvoir d’achat et l’emploi. La faiblesse du pouvoir de négociation des travailleurs a longtemps permis aux entreprises (surtout les grands groupes) de dégager une « rente », si bien que la revalorisation des bas salaires amoindrit cette rente plus qu’elle n’affecte l’emploi. En améliorant le niveau de vie des plus modestes (qui consomment tout leur revenu), elle assure aussi des débouchés aux entreprises et soutient l’emploi, conformément à ce que disent les économistes keynésiens. Enfin, la hausse des bas salaires réduit les inégalités, une nécessité en temps difficiles… La transition écologique ne se fera pas en demandant plus de sobriété à celles et ceux qui se privent déjà.
Contrairement à ce que prétend le patronat, les salaires contribuent à l’emploi en favorisant la consommation des ménages, qui compte pour 52 % du PIB.
Des bons niveaux de salaires favorisent la croissance et les emplois, à la fois dans le privé et la fonction publique. Notre économie étant étroitement liée à la capacité des travailleurs à pouvoir acheter des biens et des services, il faut donc revaloriser les salaires pour augmenter la consommation des ménages.
Les dépenses de consommation des ménages représentent près de 52 % du PIB, donc des richesses créées par le travail chaque année dans le pays. Mettre en opposition les salaires et les emplois est une vieille recette libérale. À cela, on peut ajouter que, selon le patronat, augmenter les salaires n’aura jamais des vertus économiques, et ce n’est jamais le bon moment pour le faire. Il dit qu’en période de crise financière, il ne faut surtout pas augmenter les salaires parce que les entreprises n’ont pas les moyens de le faire. De même, en période d’embellie financière, il ne faut surtout pas les augmenter parce que l’économie est fragile et on ne sait pas de quoi demain sera fait ! À ce rythme-là, les salaires ne sont pas près d’être augmentés.
METTRE EN OPPOSITION LES SALAIRES ET LES EMPLOIS EST UNE VIEILLE RECETTE LIBÉRALE.
En mai 1968, par exemple, les syndicats patronaux criaient à la catastrophe, alors que le mouvement de grève avait réussi à arracher une hausse du Smic de 35 % et des augmentations de salaires entre 20 et 30 % selon les branches. Résultat, l’économie française ne s’est pas écroulée. Cette hausse a même stimulé l’économie et l’emploi. En revanche, pour les actionnaires, c’est une tout autre musique. Quoi qu’il arrive et quelle que soit la situation économique, le capital trouve toujours les moyens pour rétribuer les actionnaires en dividendes, quitte même parfois à emprunter sur les marchés financiers pour en verser encore plus.
Dans le même état d’esprit, une célèbre maxime a fait long feu : les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. Comme les faits sont têtus, on peut facilement dire que rien ne va dans cette formule libérale. Les profits d’hier comme d’aujourd’hui vont à la spéculation et aux actionnaires, tournant le dos à la répartition des richesses, à l’investissement productif nécessaire à notre économie ou encore au développement des services publics.
L’augmentation générale des salaires permet de faire face efficacement à l’inflation particulièrement forte dans le pays depuis plus d’un an et qui risque encore d’être importante, notamment pour les produits de première nécessité ou les énergies (carburant et électricité). La remise en place d’une échelle mobile des salaires, c’est-à-dire l’indexation automatique de tous les salaires sur le coût de la vie, serait de nature à faire face à cette inflation.
Une autre répartition des richesses créées par le travail est non seulement un enjeu de justice sociale, mais aussi d’efficacité économique. Une hausse des salaires remplirait mécaniquement, via la fiscalité et les cotisations, les caisses de l’État et la protection sociale. C’est tout l’enjeu de la séquence de forte mobilisation des salariés, des privés d’emploi et des retraités, à l’appel des organisations syndicales, dont la CGT.
commenter cet article …