Voici donc venu le temps d’examiner au Sénat le PLF pour 2023, un budget, disiez-vous lors de sa présentation fin septembre, destiné à « protéger les Français ». Il nous faut donc examiner le texte à l’aune de cette belle ambition de communication.
Rappelons d’abord le cadre général dans lequel il s’inscrit. Ni la crise dite des Gilets jaunes, ni la pandémie du Covid, ni enfin, la guerre en Ukraine et ses conséquences concrètes dans notre vie quotidienne, n’auront eu raison de votre dogme absolu de réduction coûte que coûte de la dépense publique.
Votre gouvernement a transmis mi-août son programme de stabilité à la Commission européenne. Ce document décrit la stratégie pour les comptes publics pour la période 2022-2027. Son fil directeur est de contenir la hausse de l’ensemble des dépenses publiques à 0,6% ! Bercy promet donc de réduire les dépenses de l’Etat et des collectivités locales sur le quinquennat. Indépendamment des crises que notre pays traverse, cela nous rappelle le retour à l’orthodoxie budgétaire telle que le décrivent les traités de Maastricht et de Lisbonne.
Vous n’aimez pas ces mots, M. le Ministre, mais votre politique c’est bien une austérité qui ne dit pas son nom. L’effort en dépenses exigé des administrations en 2023 pris pour les années suivantes est assumé par le gouvernement. Vos documents indiquent : « Sur la période 2022-2027, une croissance moyenne de la dépense publique de 0,6%... cette maîtrise de la dépense sera ponctuée par l’ensemble des administrations publiques ».
La politique fiscale menée pendant le précédent quinquennat a surtout favorisé les entreprises et les ménages les plus aisés. Ce sont ainsi 54 milliards de moindres recettes sur 5 ans pour moitié à destination des entreprises. Le gouvernement prévoit une diminution des recettes publiques liées aux prélèvements de 45,2% du PIB en 2022 à 44,7% en 2023. Vos choix continuent à amenuiser de manière pérenne les recettes publiques. Vous choisissez de faire supporter l’intégralité de l’effort sur des services publics déjà exsangues. Vous persistez dans le refus d’activer le levier fiscal qui pourrait permettre de répartir l’effort budgétaire de manière redistributive.
Ce débat sur l’imposition des dividendes s’était imposé au cœur de l’été lors du débat sur le premier PLFR, à l’époque, M. le Ministre, vous disiez ne pas savoir ce qu’étaient les superprofits. J’imagine que ces derniers mois ont éclairé votre lanterne, car en effet, le débat n’est pas clos, il traverse même toute l’Europe. L’ONG « Observatoire des Multinationales » a calculé que les dividendes versés par les entreprises du CAC 40 avaient atteint l’an dernier un montant record de 57,5 milliards d’euros, et l’année 2022 s’annonce encore plus prolifique.
Aux dividendes en hausse de 32% par rapport à 2020, il faut ajouter les rachats d’actions visant à soutenir artificiellement les cours en Bourse, soit pour les actionnaires, une gratification de 23 milliards en 2021. Dans son commentaire, l’ONG indique : « La contribution fiscale des groupes du CAC 40 semble croître bien moins rapidement que leurs profits et leurs dividendes. Quelque 14% de l’ensemble des filiales du CAC 40 sont localisées dans des paradis fiscaux. La rémunération moyenne d’un dirigeant de ces grands groupes a progressé de 26,4% entre 2019 et 2021.
Votre position est d’autant plus inacceptable que ces mêmes groupes bénéficient, sous des formes les plus diverses, de subventions publiques. Une étude récente montrait ainsi qu’en avril 2019 ce sont près de 160 milliards d’euros qui leur ont été versés. Ce montant représente le premier poste de dépenses publiques. En 1980, ce montant n’atteignait pas 10 milliards et il faut noter que ces aides ne sont aucunement conditionnées. A l’évidence, il faudrait réfléchir à au moins imposer des contreparties, encadrement dans le versement des dividendes, afin de soutenir plutôt les salaires et les investissements écologiques.
En refusant d’utiliser la taxation, vous privilégiez le recours à la dette. En effet, nous emprunterons l’an prochain 270 milliards d’euros, alors que nos recettes fiscales prévues s’établissent à 345 milliards.
La contrainte budgétaire extrêmement forte qui pèse sur les différentes administrations conduira directement à de nouvelles dégradations.
Plusieurs conséquences concrètes de cette austérité peuvent d’ores et déjà être identifiées. A titre d’illustration, le PLF affiche ainsi une baisse de 1% pour l’hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables, avec la fermeture de plus de 20 000 places. De même, on observe une baisse de 23,8% des crédits alloués à la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté des jeunes.
M. le Ministre, nous sommes à quelques jours de l’ouverture à Paris du 104ème Congrès des Maires de France qui va rassembler 10 000 élus locaux. Depuis la communication des éléments du budget 2023, les réactions de toutes les associations n’ont pas manqué. La mesure la plus critiquée est l’annonce de la suppression de la Contribution sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE).
Ce sont ainsi 9 milliards d’euros qui vont disparaître des caisses des collectivités.
Après la suppression de la taxe professionnelle il y a 12 ans, celle de la taxe d’habitation, aujourd’hui de la CVAE, tout cela sans concertation, je rêve d’une République où l’on demanderait l’avis des Maires et des élus locaux avant toute décision de suppression d’un impôt revenant aux collectivités locales. Vous nous expliquiez pour justifier ce choix que les collectivités doivent elles aussi contribuer à l’effort de redressement des comptes publics.
C’est d’abord injuste car les collectivités n’ont aucune responsabilité dans le déséquilibre des comptes de la Nation. Elles sont tenues, de par la loi, de voter un budget à l’équilibre. L’Etat emprunte pour financer son fonctionnement, les collectivités pour investir ! La part de la dette des collectivités dans la dette globale du pays représente environ 8% du total et ce chiffre n’a pas varié depuis trois décennies.
D’ailleurs, l’effort demandé aux collectivités a déjà été effectué. Elles ont déjà participé par 46 milliards au redressement des comptes publics. Vous laissez entendre que les collectivités seraient assises sur un matelas de pièces d’or. Or, la réalité c’est que les recettes et les dépenses s’équilibrent. Il n’y a donc pas de gras. Les comptes 2021 ne sont bons que par rapport à 2020 où les collectivités ont subi la crise sanitaire.
Si l’on compare ces chiffres à ceux de 2019, les dépenses d’équipement des communes sont en recul de 12,5%. Et sur les fonds de roulement, il y a des excédents d’un an et demi car en 2020, les communes, intercommunalités, départements et régions, n’ont pas pu engager l’ensemble des investissements votés avant la crise. Une stabilité des dotations génèrera, au plan macro-économique, un effet récessionniste. Rappelons que les collectivités sont un levier économique essentiel pour le territoire, sachant qu’elles réalisent encore plus de 70% de l’investissement public.
- 70% de l’investissement public ;
- 8% de la dette publique ;
- 0% du déficit public.
Beau bilan. Qui dit mieux ?
M. le Ministre, après la crise sanitaire, qui a coûté près de 7 milliards aux collectivités, celles-ci font désormais face à l’explosion du prix des matières premières, des denrées alimentaires et de l’énergie. Certaines d’entre elles voient leurs dépenses d’énergie bondir, de façon parfois vertigineuse, jusqu’à 600% dans certains cas. Les Maires s’inquiètent de savoir si ils ou elles pourront faire face à ces factures, et quand les factures seront acquittées, quel sera le niveau de leur excédent l’an prochain pour engager les investissements nécessaires au développement de leurs communes au service de leur population ?
Il conviendrait tout d’abord de permettre aux collectivités d’absorber le choc énergétique, les quelques annonces de ces dernières semaines ne suffiront pas à l’évidence à rassurer les élus locaux. Seule une indexation de la DGF sur l’inflation et le retour aux tarifs réglementés de vente de l’énergie à l’ensemble des collectivités seraient des signaux forts et encourageants. Les services publics de proximité doivent être confortés. Le service public c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas, les affaiblir aura comme conséquence d’aggraver les fractures géographiques et sociales, et donc en fin de compte, amplifierait la crise civique, voire politique, que nous traversons.
Enfin, pour conclure, je voudrais évoquer votre méthode. Nous contestons au fond les choix régressifs de ce PLF 2023 et nous en contestons tout autant la forme. Dans une interview à La Gazette.fr en date du 26 septembre dernier, M. le Ministre des comptes publics, Gabriel Attal, évoquait les contrats de confiance qu’il souhaitait mettre en place avec les collectivités, évoquant la maîtrise de leurs dépenses, M. le Ministre a eu ces mots : « Si jamais des collectivités et des strates ne font pas l’effort de maîtriser la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, il pourra y avoir une incitation. La première année, ce sera l’absence d’accès à toute dotation de l’Etat (DSIL, DETR, fonds vert…) pour les collectivités n’ayant pas respecté l’objectif au sein d’une catégorie qui ne l’a pas atteint non plus. Ensuite, si manifestement il n’y a vraiment pas de volonté de s’inscrire dans cette trajectoire alors que les autres collectivités le font, il pourrait y avoir des reprises ».
N’est-ce pas là une atteinte directe à l’article 72 de la Constitution consacrant le principe de libre administration des collectivités ?
Vous prenez, M. le Ministre, un risque économique et politique considérable à corseter ainsi les administrations publiques et les collectivités. Elles sont les unes et les autres une réponse concrète à la fracture sociale qui s’aggrave sans cesse dans notre pays.
Votre budget ne prend pas en compte l’état réel de notre société, nous ne pourrons que le rejeter.
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