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27 octobre 2022 4 27 /10 /octobre /2022 15:04

 

Pouvoir d’achat La CGT appelle les travailleurs à se mobiliser, ce jeudi, pour réclamer notamment une revalorisation du salaire minimum. Jugée nécessaire et crédible par les syndicats et la gauche, l’idée fait bondir dans le camp libéral.

 

Dans le récit économique dominant, c’est le coupable idéal, à mi-chemin entre le Grand Méchant Loup des contes pour enfants et la peste noire des livres d’histoire. Aux États-Unis, le candidat républicain Ronald Reagan expliquait, en 1980, que le salaire minimum fédéral avait causé plus de misère et de chômage dans son pays que tout autre facteur depuis la Grande Dépression. Et lors de l’instauration de ce même salaire minimum, en 1938, les lobbyistes patronaux y voyaient une étape vers « le bolchevisme, le fascisme et le nazisme » (1), rien que ça… Aujourd’hui encore, sous toutes les latitudes, le Smic est accusé de détruire l’emploi. C’est dire si la revendication de la CGT, qui appelle les salariés à se mobiliser ce jeudi pour obtenir un Smic à 2 000 euros brut par mois (soit environ 1 600 euros net, contre 1 329 euros à l’heure actuelle), fait bondir dans le camp libéral. En dépit de l’inflation qui ronge les comptes en banque, le gouvernement se cantonne à sa position classique : pas question de « coup de pouce », en dehors de la revalorisation automatique fixée par la loi.

En septembre 2021, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, balayait l’idée d’un revers de main : « On peut toujours promettre la lune, mais si c’est pour qu’au bout du compte il y ait davantage de chômeurs, finalement on est perdants ! » Pour le ministre, une hausse du Smic « trop » importante détruirait des emplois en masse. Plusieurs études récentes viennent pourtant battre en brèche cette idée reçue, à l’instar des travaux de l’économiste américain Arindrajit Dube. Ce chercheur mondialement reconnu a publié une synthèse, en novembre 2019, après s’être plongé dans près d’une centaine d’études sur le sujet : « Globalement, le corpus de recherches le plus récent aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d’autres pays développés met en évidence un effet très modéré du salaire minimum sur l’emploi, tandis qu’il augmente de manière significative le revenu des travailleurs faiblement rémunérés », écrit-il.

Certains pays ont fortement augmenté leur salaire minimum au cours des vingt dernières années, sans séisme économique majeur. C’est le cas du Royaume-Uni, pourtant rarement considéré comme un paradis socialiste, qui a créé son national minimum wage en 1998, avant de l’augmenter de près de 40 % entre 2000 et 2017 (près de deux fois plus vite qu’en France). Dans le même temps, le nombre de travailleurs concernés a doublé, pour atteindre 2 millions de personnes. Au total, 30 % de l’ensemble des salariés britanniques ont profité des hausses du NMW. Dans une étude publiée en avril 2019, la Low Pay Commission (groupe d’experts auprès du gouvernement) dresse un bilan historique complet : « Au lieu de détruire des emplois, comme c’était prévu à l’origine, (…), le salaire minimum a atteint ses objectifs d’augmenter les rémunérations des plus bas salaires sans mettre en danger leurs perspectives d’emplois », écrivent les experts.

« Ne pas avoir peur d’augmenter le “coût” du travail, à condition de baisser le coût du capital »

Passons rapidement sur l’autre grande peur des libéraux, à savoir celle d’un effondrement de notre « compétitivité » en raison d’une hausse du Smic. En France – comme dans beaucoup d’autres pays –, les travailleurs au salaire minimum sont surreprésentés dans des secteurs tels que l’hôtellerie-restauration (38 % des effectifs) ou les services à la personne (56 %), par définition très peu exposés à la concurrence internationale. Autrement dit, les femmes de chambre ou les serveurs payés au Smic en France n’entrent pas en concurrence avec leurs homologues roumains, donc la crainte de délocalisations relève du fantasme.

Il ne suffit pas, cependant, de démontrer qu’une hausse du salaire minimum ne provoquerait pas de cataclysme économique : encore faut-il rendre l’idée crédible. C’est ce que tâchent de faire les défenseurs d’une revalorisation du Smic, qu’il s’agisse de syndicats comme la CGT ou FO, ou des partis de gauche. Premier argument : la hausse du Smic (et des bas salaires) va doper le pouvoir d’achat de ménages désireux de consommer plutôt que de thésauriser (le taux d’épargne augmente avec le niveau de revenu). Les travailleurs concernés généreront donc une demande supplémentaire, qui alimentera le carnet de commandes des entreprises.

Deuxième argument : la hausse du Smic coûte cher, c’est vrai, mais elle peut se financer. L’économiste communiste Denis Durand s’est livré au chiffrage de la proposition d’un Smic à 2 000 euros brut : « Dans mon évaluation, j’intégrais aussi la nécessaire revalorisation de tous les salariés situés autour du Smic – ceux qui n’y sont pas encore et ceux qui sont un peu au-dessus », précise-t-il. Verdict : une facture à 50 milliards d’euros pour les entreprises. « J’entends les patrons de PME qui disent qu’ils auraient du mal à absorber le choc, reprend l’économiste. Notre réponse est simple : nous n’avons pas peur d’augmenter le “coût” du travail, à condition de baisser le coût du capital. »

Pour aider les petites entreprises à muscler les fiches de paie, le PCF propose la création d’un système de prêts bancaires à taux d’intérêt très faible, voire négatif (ou prêts « bonifiés »). Y auraient droit les PME qui s’engagent à jouer le jeu en embauchant et en augmentant les salaires. « Le vrai problème des petites entreprises aujourd’hui, ce n’est pas le coût du travail, c’est leurs difficultés à accéder au crédit bancaire, assure Denis Durand. Concrètement, dans notre dispositif, les PME pourront bénéficier de prêts à cinq ans, mais à des taux très faibles : c’est l’État qui paierait la bonification, c’est-à-dire la différence avec les taux d’intérêt pratiqués par le marché. En aval, il faudra évidemment contrôler l’utilisation des fonds, pour éviter tout effet d’aubaine. » Le PCF a chiffré le coût de la mesure : 20 milliards d’euros d’argent public en coût de bonification, pour 400 milliards d’euros de prêts garantis au total. Dans l’absolu, le chiffre de 20 milliards peut sembler affolant, mais l’État n’hésite pas à dépenser tous les ans la même somme en Cice (crédit d’impôt compétitivité emploi), pour un effet économique très discutable.

l’échelle mobile des salaires, une idée qui reprend de la vigueur

« Les aides publiques aux entreprises coûtent chaque année près de 160 milliards d’euros à l’État, renchérit Mathieu Cocq, économiste de la CGT. Au lieu de les déverser sans contrepartie, focalisons-nous sur les petites entreprises qui rencontrent des difficultés et qui, sans cela, auraient du mal à augmenter le Smic. Nous n’avons rien contre les aides publiques en tant que telles, mais contre la manière dont elles sont utilisées. »

Du côté de la FI, qui prône un Smic à 1 500 euros net, les responsables du programme mettent en avant la nécessaire « solidarité » entre les entreprises. « Nous voulons mettre en place une caisse de péréquation, selon un principe de mutualisation des coûts, explique le député Hadrien Clouet. En pratique, cela veut dire que nous instaurerons une contribution assise sur les bénéfices des entreprises qui obligera les grands groupes à financer une partie de la hausse du Smic accordée dans les PME. Autrement dit, Total paierait pour la hausse de salaire minimum du boulanger. »

Avec une inflation à près de 6 %, gauche et syndicats savent que leurs propositions ont le vent en poupe. Ce contexte hautement explosif a d’ailleurs redonné de la vigueur à une idée jusque-là un peu tombée en désuétude : l’échelle mobile des salaires, c’est-à-dire une forme d’indexation automatique des rémunérations sur l’indice des prix. Le dispositif existait en France jusqu’en 1983, avant d’être enterré au nom du « tournant de la rigueur » mitterrandien, mais il a perduré dans d’autres pays comme la Belgique. « L’échelle mobile répond à deux attentes, plaide Boris Plazzi (CGT). Elle permet à la fois de garantir un maintien du pouvoir d’achat contre l’inflation, tout en évitant un écrasement des salaires : le risque, en augmentant simplement le Smic, serait que les travailleurs situés un peu au-dessus soient “rattrapés” » par la hausse. D’où la nécessité d’une revalorisation de l’ensemble des salaires. »

(1) William Finnegan, « Demonizing the Minimum Wage », The New Yorker, 17 septembre 2014.

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