Hadis Najafi avait 20 ans. Elle a été abattue de 6 balles par l’armée iranienne. Solidarité avec les iraniennes, la jeunesse et le peuple iranien qui se soulève pour sa liberté.
À l’occasion de la grande prière du vendredi, les autorités iraniennes ont mobilisé leurs partisans contre ceux que l’armée appelle « la stratégie diabolique de l’ennemi ». Mais la colère est forte et a gagné l’ensemble du pays. Les gardiens de la révolution menacent. Ailleurs dans le monde la solidarité avec les manifestantes et manifestants gagne du terrain. De nombreux rassemblement de soutien se dérouleront ce week-end.
Un régime qui, bien que conspué et défendu par une ultime minorité, n’entend pas céder la place aussi facilement. Tout en exprimant leur sympathie pour la famille d’Amini, les gardiens de la révolution viennent de hausser le ton et mettent en garde contre toute poursuite du mouvement. Pour qui connaît les pasdaran la menace est à peine… voilée. Leurs troupes pourraient déferler sans ménagement comme ils l’ont fait à chaque période de protestation, notamment en 2019. « Ces actions désespérées font partie de la stratégie diabolique de l’ennemi pour affaiblir le régime islamique », a fait savoir l’armée. Celle-ci a affirmé qu’elle « affronterait les divers complots des ennemis afin d’assurer la sécurité et la paix pour les personnes qui sont injustement agressées ». Le ministère iranien du Renseignement a également tenté de briser l’élan des manifestations, affirmant que la participation aux rassemblements est illégale et que toute personne s'y trouvant ferait l’objet de poursuites.
Les médias iraniens ont rapporté l’arrestation de 288 personnes alors qu’au moins trente-cinq autres auraient été tuées.
Et, comme on pouvait s’y attendre, le pouvoir tente de mobiliser ses troupes. À l’occasion de la grande prière du vendredi, des contre-manifestations ont été organisées, conspuant les manifestants antigouvernementaux, qualifiés de « soldats d’Israël ». Ils ont également crié « Mort à l’Amérique » et « Mort à Israël », slogans courants que les dirigeants cléricaux du pays utilisent pour tenter de susciter le soutien aux autorités. « Les contrevenants au Coran doivent être exécutés », scandait la foule.
L’imam de la prière du vendredi Seyed Ahmad Khatami a donné le ton dans son prêche à l’université de Téhéran. «Je demande fermement au pouvoir judiciaire d’agir vite contre les émeutiers qui brutalisent les gens, qui mettent le feu aux biens publics et brûlent le Coran», a-t-il dit, selon des images de la télévision d’État. « Punissez ces criminels avec l’arme de la loi », a-t-il lancé. Les fidèles ont brandi pour leur part des pancartes remerciant les forces d’ordre, « colonne vertébrale du pays », et s’en sont pris aux femmes qui brûlent leur voile. « Prôner la fin du voile, c’est faire la politique des Américains », ont-ils scandé.
En réalité, les dirigeants cléricaux iraniens craignent une reprise des manifestations qui ont éclaté en 2019 contre la hausse du prix de l’essence, la plus sanglante de l’histoire de la République islamique. Une nouvelle perturbation de l’Internet mobile a été enregistrée dans le pays, a souligné le groupe de surveillance Internet Netblocks sur Twitter, dans un signe possible que les autorités craignent que les manifestations ne s’intensifient. Le lien entre les revendications sociales et celles des femmes serait terrible pour le régime. De nombreux syndicalistes sont déjà emprisonnés pour leur rôle dans les mobilisations ouvrières et pour avoir rencontré des syndicalistes étrangers. C’est le cas de Reza Shahabi, du syndicat des travailleurs de la compagnie des bus de Téhéran (Sherkat-e Vahed) arrêté le 12 mai dans la capitale iranienne et qui pourrait être condamné à plusieurs années de prison. La remise en cause de l’ordre islamique et des orientations ultra-libérales pourrait effectivement ouvrir la voie à un avenir nouveau pour les Iraniens.
Ce qu’a bien compris Ebrahim Raïssi. S’exprimant lors d’une conférence de presse en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, le président iranien a déclaré, jeudi, que les « actes de chaos » n’étaient pas acceptables. Il a ajouté qu’il avait ordonné une enquête sur le cas de Mahsa Amini. Pas de quoi apaiser la colère des Iraniens.
Sept jours après la mort de Mahsa Amini, la population exprime toujours son rejet de la République islamique. Toutes les villes du pays sont touchées. Le régime organise la répression. Naghmeh, pianiste à Téhéran, se confie à l’Humanité.
Naghmeh, 44 ans, pianiste à Téhéran, n’en revient toujours pas. L’autre soir, dans la capitale, alors qu’un rassemblement se formait, un feu a été allumé. Des dizaines de femmes comme elle, certaines plus jeunes, d’autres plus âgées, ont jeté leur foulard dans les flammes, un crépitement de joie dans les yeux.
Ce qui n’était pas sans rappeler le Tchaharchanbé-Souri, la fête du Feu célébrée par les Iraniens à la fin de l’année et qui date du zoroastrisme. Le feu symbolise l’espérance d’un éclaircissement et d’un bonheur radieux pour l’année à venir. Naghmeh n’a pas été en reste. Elle aussi a brûlé son voile. Depuis plus de six jours maintenant, elle marche dans la rue la tête nue.
La détestée brigade de la morale
Des manifestations ont éclaté en Iran lorsque, le 16 septembre, l’annonce de la mort d’une jeune femme de 22 ans, Mahsa Amini, après son arrestation pour « port de vêtements inappropriés » par la police des mœurs, s’est répandue dans le pays comme une traînée de poudre.
Cette brigade de la morale chargée de faire respecter un code vestimentaire pour les femmes est détestée. « La forme qui convient au gouvernement est un manteau assez long qui couvre les fesses et descend préférablement jusqu’aux genoux », précise à l’Humanité Naghmeh jointe par téléphone. « Avec, bien sûr, un foulard qui soit assez sévère et qui ne laisse pas entrevoir les cheveux. » Notre pianiste rapporte que les gens n’appellent plus cette unité Gasht-e Ershad (littéralement patrouille d’orientation) mais Ghatl-e Ershad (orientation du meurtre).
70 coups de ceinture
« J’ai été contrôlée plusieurs fois dans la rue, raconte Naghmeh. Soit ils viennent pour nous donner des “conseils” sur la façon de porter le foulard, soit ils nous embarquent. Il ne faut absolument pas monter dans leur voiture, sinon vous finissez au commissariat. »
Une expérience qui lui est arrivée, il y a quelques années, et qui l’a marquée profondément. « C’est très, très violent quand on est là-bas. Soit on nous donne une amende très chère, soit on est enfermée pour une ou deux nuits. » Elle qualifie ça de « torture mentale ».
Et d’expliquer : « Des policiers venaient nous menacer de nous agresser violemment, nous harceler physiquement. Ils ne le disaient pas directement mais leur regard et leurs paroles signifiaient “viol”. Une fois, je les ai vu battre une jeune femme avec une ceinture. Ils lui ont donné près de soixante-dix coups. »
Une vague de contestation inédite depuis 2019
Pas étonnant dans ces conditions que le décès d’Amini ait déclenché une énorme colère dans la population, les plus importantes manifestations de ce type en Iran depuis 2019. La plupart ont été concentrées dans les régions du nord-ouest du pays, peuplées de Kurdes, mais se sont étendues à la capitale et à au moins 50 villes et villages à travers le pays, la police utilisant la force pour disperser les manifestants.
Dans le Nord-Est, ces derniers criaient : « Nous mourrons, nous mourrons, mais nous récupérerons l’Iran ! » près d’un poste de police incendié, comme l’a montré une vidéo publiée sur un compte Twitter. Les manifestants ont également exprimé leur colère contre le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. « Mojtaba, puissiez-vous mourir et ne pas devenir le guide suprême ! » a scandé un groupe à Téhéran, faisant référence au fils de Khamenei, qui, selon certains, pourrait succéder à son père au sommet de l’establishment politique iranien.
J’ai vu la police des mœurs battre une femme avec une ceinture. Ils lui ont donné près de soixante-dix coups.»
Naghmeh, pianiste à Téhéran
Le pouvoir a lancé la répression en tentant de tuer dans l’œuf les protestations. Sans VPN, impossible d’utiliser WhatsApp ou Instagram. Niloufar Hamedi, journaliste du journal progressiste Shargh, a été arrêtée jeudi pour avoir twitté que la grande mère de Mahsa Amini cherchait sa petite-fille en pleurant et psalmodiant en langue kurde.
Selon une ONG, 31 personnes auraient déjà été tuées alors que le commandement des pasdarans (gardiens de la révolution) a publié une déclaration remerciant les forces de police qui répriment les manifestations ! Mais la colère est forte. Selon Hamshahri, le journal de la mairie de Téhéran, 3 bassidjis (miliciens prorégime) ont trouvé la mort à Tabriz, Qazvin et Mashhad.
« Les jeunes générations n’obéissent plus ! »
Des personnalités publiques, connues en Iran, se sont exprimées en faveur des manifestations. Le musicien Homayoun Shajarian a écrit sur Instagram : « Aucun d’entre nous n’est heureux en ces jours amers. Y a-t-il une volonté de la part des autorités de répondre raisonnablement aux exigences d’une nation honorable et noble ? Si oui, alors pourquoi tant de retards ? »
Mohsen Chavoshi, un chanteur pop, a publié un message sur la même plateforme : « J’annonce par la présente, en pleine conscience et en toute santé, qu’à partir d’aujourd’hui, je vais arrêter toute coopération avec le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique… et continuerai à chanter pour le peuple. Le silence n’est plus acceptable. »
Mehdi Mahdavikia, un ancien footballeur de l’équipe nationale iranienne qui officie maintenant à Hamburg, a dénoncé la violence des forces de sécurité : « Vous ferez en sorte que les gens vous haïssent davantage, a-t-il écrit. Battre les femmes ? Honte à vous. »
Grande actrice iranienne, Katayoun Riahi a publié une photo d’elle sur Instagram, sans foulard. Lors d’une manifestation, la comédienne Shabnam Farshadjo a enlevé son hidjab et s’est adressée aux dirigeants de la République islamique, en disant : « Je déteste vos actions et votre comportement ! »
Fait assez rare, 200 universitaires en poste en Iran ont lancé un appel dans lequel ils affirment défendre « le droit des femmes de notre pays de choisir librement de s’habiller » et expriment leur « opposition au processus d’humiliation et de torture systématique des femmes par le port obligatoire du hidjab ».
De quoi réjouir Naghmeh. « Les jeunes générations ne se couvrent plus autant qu’on le faisait. Ça, c’est vraiment super. Elles n’obéissent plus ! » Sans son foulard, elle sait ce qu’elle risque. « Bien sûr, s’ils nous attrapent, ils nous arrêtent. Mais on est arrivées à un point où on s’en fout. » Il est des fois où les situations atteignent des points de non-retour.n
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