Ernest Pignon Ernest sera à Dialogues Brest le mardi 6 septembre à 18h.
À Landerneau, une exposition exceptionnelle retrace le parcours d’un artiste hors norme, dont les collages n’ont cessé de faire date. À Bernay, l’abbaye Notre-Dame accueille ses « Extases, les mystiques ».
« Extases, les mystiques ». Sous cette appellation, c’est une œuvre majeure d’Ernest Pignon-Ernest, de 2008, qui a pris place, le 2 juillet, dans l’abbatiale Notre-Dame de Bernay, grâce à la détermination du journaliste Pierre-Louis Basse, résidant de la commune. Saint-Denis, Lille, La Pitié-Salpêtrière à Paris, Avignon, Naples, l’installation déjà exposée dans autant de lieux emblématiques n’a rien perdu de sa force, de la puissance de son questionnement.
Les mystiques : huit femmes. Hildegarde de Bingen, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Marie de l’Incarnation, Madame Guyon, Louise du Néant, Marie-Madeleine. Autant de figures de la passion, jusque dans leur chair. Il ne s’agit pas de portraits mais de grands dessins de leur corps habité par le désir et son déni. « Comment, s’interrogeait EPE à Avignon, dire cet infini du désir, de l’angoisse, de la douleur, de la suavité de l’exaltation qui les habitait et toutes les contradictions qui les traversaient ? » Le reflet des planches en demi-cercle dans un miroir d’eau est comme cet abîme dont parlait Chateaubriand et que ne fait qu’entrevoir l’athée dont « la vie est un effrayant éclair ».
Est-ce lui qu’a voulu sonder l’artiste, qui dit avoir été inspiré par sa lecture de Thérèse d’Avila, laquelle a tant écrit sur le texte le plus brûlant de la bible, « le Cantique des cantiques » ? On pense alors à la sainte Thérèse en extase du sculpteur italien Le Bernin, en 1652, qui avait même choqué la peintre Élisabeth Vigée Le Brun par ce qu’il faut bien appeler son ambiguïté, répondant aux mots de Thérèse elle-même, qui avait senti « la lance d’un ange entrer dans (s)on cœur et Jusqu’au fond des entrailles ».
De la rue à la rue
Comme Le Bernin, Ernest Pignon-Ernest est un baroque au sens premier qu’illustrait le grand peintre que fut Le Caravage au début du XVIIe siècle, se tournant vers les hommes et femmes de la rue quand on lui demandait quels étaient ses modèles : « Les voilà ! » De la rue à la rue. L’image, non pas servilement copiée mais réinventée par le dessin, revient collée aux murs. Il n’y a pas une œuvre d’Ernest-Pignon Ernest qui n’ait eu cette vocation.
L’exceptionnelle exposition rétrospective qui lui est consacrée à l’espace Leclerc de Landerneau, à quelques encablures de Brest, a bien été pensée dans cet esprit, avec le commissariat de Jean de Loisy, ancien directeur du palais de Tokyo et de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Présentant des dizaines de dessins préparatoires ou achevés, elle restitue aussi, à chaque étape d’un parcours de plus de cinquante ans, désormais le contexte des interventions en question, s’appuyant sur des tirages de grande taille et de haute qualité, des photos des lieux concernés.
Comme l’écrit l’écrivain et réalisateur Gérard Mordillat dans un petit livre tout récent, « le Miracle du dessin selon Ernest Pignon-Ernest », « l’œuvre (de ce dernier) ne s’arrête jamais au trait. Elle n’est accomplie qu’affichée dans l’ordinaire du monde, le réel, c’est-à-dire dans “ce qui ne va pas”, comme dirait Lacan » (1).
Poètes, combattants et déshérités
Né en 1942 à Nice, le jeune homme fréquente les artistes qui vont attacher leur nom à la ville. Ben, Arman, Martial Raysse, l’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio. Après son service militaire en Algérie, son premier collage, en Avignon, est celui du metteur en scène du Living Theatre, Julian Beck.
En 1971, à Paris, il colle en divers lieux, dont les marches du Sacré-Cœur et, pour les cent ans de la Commune, ses premières grandes sérigraphies avec des dessins reprenant des cadavres de communards. Afficher dans « ce qui ne va pas ».
En 1974, Nice, qui vient de se jumeler avec Le Cap et une Afrique du Sud où domine encore l’Apartheid, découvre au matin, place Massena, une famille noire derrière des barbelés à de multiples exemplaires.
En 1975, c’est l’image à Calais d’un homme accablé, au chômage. La même année, dans les rues de Tours et de Paris, le corps nu d’une femme comme torturée : l’avortement est encore interdit et le restera jusqu’en 1979.
En 1976, à Grenoble, c’est son ouvrier avec une oreille comme fracassée, en liaison avec des comités d’entreprise. Deux ans plus tard, son Rimbaud, vagabond de 17 ans qui veut « changer la vie » et écrit : « Le poète prendra le sanglot des infâmes, la haine des forçats, la clameur des maudits. »
Les poètes, les combattants, les déshérités. Il affichera Maurice Audin torturé à mort en Algérie, Desnos, Neruda, Jean Genet, Pasolini, Mahmoud Darwich, Maïakovski… il fait vivre à Naples la mémoire du choléra ; à la prison Saint-Paul à Lyon, celle de centaines de détenus ; en Haïti, la figure de Jacques Stephen Alexis, défini comme le père du réalisme merveilleux. Réalisme… « La vérité, écrivait Platon, l’autre nom du réel, est un vagabondage divin.
Ernest Pignon Ernest. À Bernay, jusqu’au 18 septembre. À Landerneau jusqu’au 15 janvier. Catalogue 230 pages. 35 euros.
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