Les catastrophes climatiques des dernières semaines ont mis en lumière les défaillances dans la gestion des crises. Des cataclysmes dont il faut tirer les leçons.
Le futur est déjà là, ou presque. Incendies à répétition, canicules à la chaîne, sécheresses durables, tempêtes imprévisibles, inondations soudaines, effondrement d’un glacier de l’autre côté des Alpes… L’été 2022 a été un avant-goût des prochaines décennies. « Les projections montrent que les températures pourraient augmenter de 1 degré d’ici à 2050 et que les événements climatiques extrêmes seront plus intenses, explique le climatologue Jean Jouzel. Un été comme celui qu’on connaît aujourd’hui sera un été moyen des années 2040. » Et, à l’heure actuelle, nous sommes loin d’être prêts à y faire face.
Les défaillances sont nombreuses sur l’ensemble de la chaîne d’intervention, de la prévention à l’adaptation en passant par la prévision et les secours. « L’État néolibéral entre en contradiction avec les nécessaires politiques d’adaptation et de lutte contre le réchauffement climatique. C’est la première des leçons à tirer », pense Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace. Et Jean Jouzel de renchérir : « J’espère que cet été a marqué un tournant, mais le risque est que tout soit oublié dans un mois et demi. » Or demain commence aujourd’hui, avec de prochains cataclysmes écologiques tels les épisodes cévenols, qui pourraient survenir dès le début de l’automne.
1. Les secours ont besoin d’aide
Les pompiers sont « au bord de la rupture », selon une tribune parue mi-août. Tout comme l’ensemble des services de secours (pilotes de Canadair, fonctionnaires hospitaliers…). « La sécurité civile repose sur le don de soi, avec 40 000 sapeurs-pompiers professionnels et environ 200 000 volontaires. Quand ils partent en renfort sur les incendies dans le Sud, c’est sur leur temps de vacances. Avec la généralisation du risque climatique, nous doutons de notre capacité à répondre sur le long terme, s’il n’y a pas d’embauches et de moyens supplémentaires, alors que, parfois, nous sommes en difficulté face aux risques courants », dénonce Peter Gurruchaga, secrétaire général CGT du service départemental d’incendie et de secours du Val-d’Oise.
D’ici à 2050, les mégafeux augmenteront de 30 % ; les sécheresses, de plus en plus fréquentes, continueront de favoriser les inondations soudaines. Bref, le risque s’accroît et les moyens ne suivent pas, voire rabougrissent. Côté effectifs, un gradé évoque un « problème d’attractivité » conduisant à « une baisse des vocations ». « Avec l’accumulation des sinistres, nous risquons d’atteindre une rupture capacitaire », ajoute-t-il. Côté matériel, ce n’est guère mieux : entre 2006 et 2020, le nombre de camions-citernes pour feux de forêt a diminué de 1 014 unités. Concernant les moyens aériens de la sécurité civile (12 Canadair et 7 Dash), trop peu nombreux et mal entretenus, la France a dû compter sur la solidarité européenne. Or le gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure de l’ampleur du problème. Le ministre de l’Intérieur n’a, pour l’heure, annoncé que la création de « 3 000 postes de gendarmes verts ».
2. S’adapter ou continuer à subir
Quoi qu’il arrive, le réchauffement climatique produira ses effets « irréversibles », selon le Giec, et nous ne pourrons pas tout empêcher. C’est bien qu’il faut s’adapter, apprendre à vivre avec. L’été 2022 l’a montré : la France est loin d’être parée pour les catastrophes à venir. Face au manque d’anticipation et de changement des pratiques, les collectivités ont dû réagir dans l’urgence.
Pourtant, « des plans d’adaptation existent », rappelle Jean Jouzel. Le pays a déjà commencé à s’adapter mais trop lentement. « Ces plans ne sont pas vraiment déclinés au niveau régional. Les besoins ne sont pas les mêmes pour une ville côtière ou une station de ski. On ne va pas assez dans le détail », s’inquiète le climatologue, qui note que la végétalisation des villes – qui permet d’adoucir les canicules et de faciliter l’absorption de l’eau lors de pluies torrentielles – « n’est pas à la hauteur ». Là encore, l’exécutif est trop timoré avec ses 500 millions d’euros pour la « renaturation » des centres urbains.
« L’État doit être renforcé ; il n’est pas assez équipé. On le voit avec le démantèlement de l’Office national des forêts (lire page 4 – NDLR), par exemple. De même dans la santé, le système hospitalier est-il prêt à faire face à l’intensification des vagues de chaleur ? » alerte Clément Sénéchal, de Greenpeace.
3. Météo France pris dans la tempête
C’est l’un des contrecoups de la tempête meurtrière qui a ravagé la Corse, le 18 août. Pointé du doigt pour le déclenchement tardif de l’alerte orange, Météo France est depuis au centre des critiques. Premier maillon de la chaîne d’alerte, l’établissement public ne semble pourtant pas avoir failli dans sa mission. « Un système orageux d’une telle ampleur comporte par nature des éléments imprévisibles », rappelle ainsi Cédric Birien, prévisionniste et syndicaliste CGT à Météo France. « Au poste de prévision comme dans les autres services, l’ensemble de la chaîne a assuré, abonde José Chevalier, le prévisionniste, coporte-parole de Solidaires météo, et ce malgré la complète dégradation de nos moyens et de nos conditions de travail. »
Depuis plus d’une décennie, les salariés de Météo France travaillent au gré des réorganisations, au rythme des coupes budgétaires et des suppressions de postes. « On a de plus en plus de données à disposition, d’éléments d’expertise, de retours satellites, mais de moins en moins de monde pour les analyser », résume José Chevalier. « On perd chaque année 100 postes depuis dix ans », détaille Cédric Birien. Sur le pont de jour comme de nuit, les 2 500 salariés de l’établissement public – dont une part grandissante de contractuels – s’épuisent. D’autant plus que les semaines qui viennent de s’écouler ont été lourdes de pressions. « Avec la sécheresse, les canicules, les feux de forêt à répétition, les préfectures nous ont mis sous pression pour donner des informations ajustées, régulières. Nous sommes le premier interlocuteur lorsqu’une cellule de crise se met en place », détaille Cédric Birien. Las, les syndicats exigent d’avoir les moyens humains et financiers d’honorer leurs missions de service public. Les prévisions sont essentielles, elles le seront de plus en plus.