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5 juillet 2022 2 05 /07 /juillet /2022 06:23
Etats-Unis: le hold-up légal de la cour suprême américaine, Christophe Deroubaix, L'Humanité, 4 juillet 2022
Le « hold-up » légal de la Cour suprême

États-Unis L’instance judiciaire, aux mains de juges ultraconservateurs nommés à vie, met en œuvre un programme de régression pourtant rejeté dans les urnes par les électeurs.

Publié le Lundi 4 Juillet 2022 - L'Humanité

En quelques semaines, six Américains – cinq hommes et une femme – ont produit plus de « normes » politiques effectives que les 435 élus du Congrès depuis l’entrée à la Maison-Blanche de Joe Biden. Avortement, armes à feu, environnement, séparation de l’Église et de l’État : leurs décisions auront un impact pour des millions d’habitants des États-Unis, voire pour le pays tout entier. Ce sont évidemment les six juges conservateurs de la Cour suprême, qui en comptent neuf au total. Le bilan de la « saison » des « opinions » de la plus haute instance judiciaire du pays s’affiche comme le plus réactionnaire depuis près d’un siècle avec, en premier lieu, l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade de 1973, qui plaçait le droit à l’avortement sous la protection de la Constitution.

le cauchemar n’est pas terminé

Depuis le 24 juin, une quinzaine d’États républicains se sont engouffrés dans la brèche, interdisant l’avortement ou restreignant fortement son accès. Plusieurs d’entre eux l’ont fait, sans aucune exception, ni en cas de viol ou d’inceste. Signe du grand bond en arrière : le Texas a réactivé une loi de 1925, d’abord bloquée par un tribunal, puis autorisée par la Cour suprême locale. À Washington, sa « grande sœur » ne s’est pas contentée de cette remise en cause d’un droit fondamental pour les femmes. Quelques semaines après une nouvelle tuerie de masse dans une école, elle a dénié à l’État de New York le droit de renforcer le contrôle de la détention d’armes à feu au nom d’une interprétation absolutiste du second amendement. Elle a également porté un coup majeur à la capacité du gouvernement fédéral de s’attaquer aux effets du changement climatique, en estimant que l’EPA, l’agence fédérale spécialisée, ne s’était pas vu confier ses pouvoirs par le Congrès. Enfin, en matière de séparation de l’Église et de l’État – un élément « fondateur » du pays, il est parfois besoin de le rappeler –, elle a fissuré à deux reprises le « mur de ­séparation » dont parlait Thomas Jefferson (l’un des pères fondateurs). Elle a donné tort à l’État du Maine qui refusait de financer des écoles privées, puis raison à un entraîneur, licencié car il priait sur les terrains de football de son école publique, alors que les prières sont interdites dans les établissements publics, depuis une décision… de la Cour suprême en 1962.

Le cauchemar n’est manifestement pas terminé. L’argument central du juge Samuel Alito dans la décision Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization – pour être reconnu, un droit doit être profondément ancré dans l’histoire et la tradition américaine – a ouvert une boîte de Pandore dont entendent profiter ceux qui veulent renverser d’autres jurisprudences qui protègent actuellement les relations sexuelles entre personnes du même sexe et le mariage gay. Pire encore : l’instance judiciaire a annoncé qu’elle auditionnerait un cas dont la portée pourrait s’avérer encore plus cataclysmique que toutes ces décisions prises jusqu’ici. Elle rendra son opinion en juin 2024, à quelques mois de l’élection présidentielle, et cela porte justement sur les élections fédérales. La majorité conservatrice donnera alors sans doute plus de pouvoirs aux législatures d’État en la matière, une revendication du Parti républicain depuis la défaite de Donald Trump. En résumé, la Cour suprême pourrait donner les moyens au Grand Old Party (GOP, le surnom du Parti républicain) de « voler » l’élection de novembre 2024. Selon une étude du New York Times, cette cour est la plus « conservatrice » depuis celle qui, au milieu des années 1930, retoquait les mesures du New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Le président démocrate avait alors lancé une réforme de l’instance avec augmentation du nombre de juges (ce qui aurait ajouté des juges progressistes et fait pencher la balance) : s’il a subi un revers politique au Congrès, les juges conservateurs avaient saisi le message en cessant leur guérilla­ anti-New Deal. Joe Biden peut-il s’inspirer de son prédécesseur ? Les démocrates sont divisés sur le sujet, y compris l’aile gauche. Alexandria Ocasio-Cortez l’y invite, mais pas Bernie Sanders. Ce dernier insiste sur le précédent ainsi créé et sur lequel pourrait s’appuyer à leur tour les républicains s’ils remportaient les prochaines élections de mi-mandat.

Un rouleau compresseur ultraréactionnaire

Mais de quelle autre arme dispose la coalition démocrate pour contrer ce rouleau compresseur ultraréactionnaire ? Théoriquement, de la loi. De 1970 à la fin des années 1990, le Congrès a d’ailleurs contré un nombre important de décisions de la Cour suprême dans des législations. Les démocrates disposent actuellement d’une majorité à la Chambre des représentants et même au Sénat, où l’égalité parfaite (50 sénateurs pour chaque parti) peut-être départagée par la voix prépondérante de la vice-présidente, Kamala Harris. Mais l’on retrouve ici le filibuster, cette pratique d’obstruction parlementaire, jadis outil privilégié des ségrégationnistes et aujourd’hui des républicains de Mitch McConnell. Faute de « supermajorité » de 60 élus au Sénat (une chambre elle-même très peu représentative puisque chaque État, quelle que soit sa population, y est représenté par deux sénateurs), le blocage est total sur la colline du Capitole, symbolisant une division de plus en plus insurmontable entre une Amérique « bleue » (couleur du Parti démocrate) et une Amérique « rouge » (celle du Parti républicain).

Dans ce contexte, la Cour suprême apparaît comme le seul organe sans contrôle ni entrave. Notons que les filtres antidémocratiques du système institutionnel et politique cumulent leurs effets. Quatre des six juges conservateurs ont été nommés par des présidents minoritaires en voix mais élus grâce au système du collège électoral : John Roberts par George W. Bush ; Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett par Donald Trump. Dans un pays où l’opinion publique est majoritairement favorable au droit à l’avortement, au contrôle des armes, à l’action publique face au changement climatique, la minorité républicaine (le GOP a perdu le vote populaire lors de cinq des sept élections présidentielles qui se sont déroulées depuis la fin de la guerre froide) fait appliquer son programme par un organe judiciaire composé de membres nommés à vie. Comme un « hold-up » légal.

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