La France fait fi de ses engagements au profit de ses intérêts économiques. Elle n’hésite pas à fournir des pays comme l’Égypte ou l’Arabie saoudite, qui ont en commun de violer les droits de l’homme. Éclairage avec Aymeric Elluin, juriste en droit international.
Dans son ouvrage, Ventes d’armes. Une honte française (Le passager clandestin, 192 pages, 14 euros), coécrit avec Sébastien Fontenelle, Aymeric Elluin, responsable du plaidoyer « Armes » à Amnesty International France, montre comment la France s’est imposée dans l’industrie de l’armement. Entre contrats lucratifs signés avec des régimes liberticides, absence de contrôles parlementaires et manque de transparence, le constat est édifiant.
En quoi les ventes d’armes constituent-elles « une honte française » ?
Dans les années 1960-1970, la France a construit une partie de son industrie de défense en fournissant des armes aux pires régimes. On peut citer le Portugal de Salazar, l’Espagne de Franco ou encore l’Afrique du Sud ségrégationniste. Plus récemment, on a constaté des transferts d’armes à l’Égypte, à l’Arabie saoudite ou aux Émirats arabes unis. Ces pays ont en commun de ne pas être respectueux des droits de l’homme et du droit international humanitaire lorsqu’ils utilisent des armes. Et la France a concouru à approvisionner ces régimes en toute connaissance de cause.
Comment la France est-elle devenue l’un des principaux marchands d’armes ?
Dans les années 1970, la France occupait le troisième rang en termes d’exportations d’armes. Place qu’elle va perdre, puis récupérer sous François Hollande. L’offre des fournisseurs français d’armes s’inscrit dans un paradigme historique. Dans les années 1970, avec la doctrine Debré, on voulait apparaître comme un acteur alternatif de la vente d’armes, en opposition aux deux blocs qui s’affrontaient pendant la guerre froide. On disait : « Nous ne ferons pas d’ingérence dans vos pays et nous ne regarderons pas l’utilisation finale des armes. » Et ça continue aujourd’hui. La France s’évertue à exporter des armes en Égypte, alors que le pays est confronté à des violations massives des droits de l’homme, et on ferme toujours les yeux sur ce qui se passe sur le terrain.
Pourquoi n’arrive-t-on pas à faire bouger les choses ?
Étant donné que nous avons un système parlementaire avec une majorité qui soutient systématiquement la présidence, les députés jouent peu le rôle de contre-pouvoir. L’article 24 de la Constitution devrait pourtant imposer aux parlementaires de contrôler l’action du gouvernement, y compris dans le champ des armes. Une autre difficulté est que le commerce d’armes françaises est d’une opacité considérable et protège les principaux responsables. Ce flou total me stupéfait, cela veut dire qu’il y a un pan entier de l’action publique, en France, qui échappe à tous les contrôles. Dans un système démocratique semi-parlementaire, bien qu’extrêmement présidentiel dans la pratique, cela pose question. Mais il y a une lueur d’espoir. On voit bien que, depuis 2018, un débat de fond monte dans l’opinion publique, notamment autour du conflit au Yémen et de la répression en Égypte. Il faut que les parlementaires de la prochaine législature s’emparent du rapport des députés Jacques Maire et Michèle Tabarot qui propose que le gouvernement soit plus transparent et qu’une délégation parlementaire soit créée pour contrôler les ventes d’armes.
commenter cet article …