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28 juin 2022 2 28 /06 /juin /2022 05:00
À Melilla, la frontière vire au bain de sang - Thomas Lemahieu, L'Humanité, 27 juin 2022
À Melilla, la frontière vire au bain de sang

Union européenne Devant l’enclave espagnole en territoire marocain, des dizaines d’exilés ont péri en tentant de franchir les grillages. Le premier ministre espagnol défend son externalisation de la gestion des flux migratoires, mais de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer une politique inhumaine.

Publié le Lundi 27 Juin 2022 - L'Humanité

Un gigantesque amas de corps. Cadavres, blessés et prisonniers entremêlés. L’horreur à Nador, une petite ville du nord-est du Maroc. Un désastre d’une ampleur jamais atteinte jusque-là. Diffusées dans la nuit de vendredi à samedi par l’antenne locale de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), les images sont insoutenables et littéralement apocalyptiques. Les circonstances de la catastrophe font encore l’objet de controverses ; le bilan définitif n’est pas connu – outre deux policiers décédés, les autorités marocaines évoquent 23 morts parmi les migrants, alors que les ONG en dénombrent au moins 37 –, mais une chose est d’ores et déjà sûre : les frontières de l’Europe ont de nouveau tué et, cette fois, sur la terre ferme, et pas en Méditerranée.

Vendredi matin, entre 1 500 et 2 000 migrants subsahariens – Soudanais en majorité, d’après les témoins sur place –, équipés de pierres et, pour certains, de bâtons ou de couteaux, ont attaqué un poste-frontière séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Melilla. Les policiers et militaires marocains ont riposté violemment. Plusieurs dizaines d’exilés auraient alors été écrasés dans les mouvements de foule devant une petite brèche, cisaillée dans le haut grillage. De nombreux migrants auraient été laissés sur place, à l’agonie. Ce qui, d’après les militants de l’AMDH, « a augmenté le nombre de décès ». Cité par le quotidien El Pais, un habitant de Nador, occupé à des travaux de déblaiement non loin du grillage, raconte : « Tout était ensanglanté, que du sang partout. Du sang sur la tête, des peaux déchirées, des pieds cassés, des mains brisées. Ceux qui ne sont pas morts ne tarderont pas à mourir, car ils ont été tellement battus. » Reconnaissant que la tentative de passage des migrants avait été « violente », Eduardo de Castro, le président (maire) de Melilla et plus haute autorité politique de cette ville autonome, décrit tout de même une « réponse disproportionnée » du Maroc.

Dans un premier temps, la garde civile espagnole, chargée de surveiller son côté de la frontière, a avancé qu’elle n’avait aucune information sur les événements. Mais, évidemment, l’Espagne n’a pas pu faire le dos rond très longtemps. Pedro Sanchez, son premier ministre socialiste, est monté au créneau, plutôt durement, dénonçant des « mafias spécialisées dans la traite des êtres humains » et décrivant le drame comme une « attaque contre l’intégrité territoriale de notre pays », puis comme un « assaut violent, bien organisé, mûrement réfléchi ». « Dans ce cas, je pense que tout a été bien résolu par les forces de sécurité en Espagne comme au Maroc », ose-t-il même avancer, malgré le nombre de morts.

Un phénomène instrumentalisé par Rabat

En réalité, derrière cette inhumanité crânement affichée, Sanchez joue sans doute gros. C’est notamment pour enrayer les flux migratoires vers ses deux enclaves en territoire africain, à Ceuta et Melilla – un phénomène largement instrumentalisé par Rabat pour exercer un chantage permanent sur Madrid, à la manière de Recep Tayyip Erdogan avec l’Union européenne –, que son gouvernement a fait une volte-face spectaculaire au printemps dernier, tournant le dos au soutien traditionnel à l’indépendance du Sahara occidental et rétablissant des relations diplomatiques avec le Maroc. Mais aujourd’hui, il faudrait un cynisme consommé à Pedro Sanchez pour considérer, après le drame de Nador, que cette opération d’externalisation des frontières est une réussite…

Au Maroc, quelques associations et mouvements de solidarité avec les migrants, Attac et l’ADMH notamment, exigent ensemble « l’ouverture immédiate d’une enquête judiciaire indépendante, du côté marocain comme espagnol, ainsi qu’au niveau international », et surtout « la fin des politiques criminelles financées par l’Union européenne et ses nombreux complices, les États, certaines organisations internationales et plusieurs organisations de la société civile qui assurent la sous-traitance de ces politiques criminelles ». Pour Mohamed Amine Abidar, le président de la section de l’AMDH à Nador, « la cause principale de cette catastrophe est la politique migratoire menée par l’Union européenne en coopération avec le Maroc ». L’Organisation démocratique du travail, qui défend les travailleurs immigrés au Maroc, exhorte également le gouvernement à Rabat « à ouvrir une enquête sur ce drame tragique et à faire le nécessaire en faveur des victimes ».

En Espagne, au sein de la coalition au pouvoir avec Pedro Sanchez, les dents grincent sérieusement. Vice-présidente du gouvernement, la communiste Yolanda Diaz, « très choquée par les images à la frontière de Melilla », adresse ses condoléances aux proches des victimes . « Il faudra clarifier ce qui s’est passé, promet-elle. Je resterai toujours partisane d’une politique d’immigration respectueuse des droits de l’homme, ajoute-t-elle . Personne ne devrait jamais mourir dans de telles circonstances. » Podemos demande une enquête « immédiate et indépendante » afin d’ « examiner les responsabilités ». « Passer outre le droit international en bradant, entre autres, les droits du peuple sahraoui et en s’en remettant à des gouvernements qui violent systématiquement les droits humains, cela a des conséquences », déplorent encore les alliés de Sanchez au gouvernement. Porte-parole de la délégation Izquierda Unida (Gauche unie, communiste) au Parlement européen, Sira Rego réclame directement une clarification à la Commission européenne sur tous les aspects de la politique d’externalisation migratoire avec le Maroc. « Quelles mesures comptez-vous prendre, interroge-t-elle en particulier, pour empêcher les épisodes fréquents de violence et les morts qui se produisent sur les frontières extérieures de l’Union européenne ? »

À l’échelle mondiale, ce nouveau drame provoque également des réactions. L’Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés expriment conjointement « leurs plus vives inquiétudes » et rappellent la nécessité « en toutes circonstances de donner la priorité à la sécurité des migrants et des réfugiés » et « l’importance de trouver des solutions durables pour les personnes en situation de déplacement ».

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