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15 mai 2022 7 15 /05 /mai /2022 06:40
BIS REPETITA PLACENT…
15 MAI : RETOUR SUR LA NAKBA, L'EXPULSION DE 800 000 PALESTINIENS EN 1947-1949
 
Aujourd'hui, les Palestiniens commémorent la Nakba: leur expulsion massive de Palestine par les troupes juives, puis, à partir du 14 mai 1948, israéliennes. Voici l'entrée "Expulsion" des "Cent clés du Proche-Orient, que nous avons écrit, Alain Gresh et moi, en 1984 et réédité régulièrement depuis jusqu'en 2011. Les astérisques renvoient à d'autres entrées de notre (gros) bouquin...
Expulsion
Lorsque les Nations unies* adoptent, le 29 novembre 1947, le plan de partage* de la Palestine, celle-ci compte 608 000 habitants juifs et 1 237 000 arabes. L'État juif à naître comprendrait, pour sa part, 498 000 Juifs et 407 000 Arabes. Or ces derniers, à l'issue du premier conflit israélo-arabe et malgré l'extension d'un tiers du territoire israélien, ne sont plus que 160 000. De 700 000 à 900 000 Palestiniens* ont pris le chemin de l'exil. L'écrasante majorité s'est installée dans les pays arabes environnants, au sein des camps de réfugiés ouverts par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). En 1950, ce dernier les estimera à un million.
Fuite ou expulsion ? Le débat, longtemps vif, sur les causes du départ des Palestiniens durant le conflit de 1947-1949 a enregistré de nouvelles et importantes contributions à partir de la moitié des années 1980, en particulier celles de jeunes historiens israéliens, parmi lesquels Benny Morris. Des années de travaux fouillés sur les documents, y compris ceux, déclassifiés, des archives de l'État d'Israël*, l'ont amené à remettre largement en cause les idées reçues, avec son livre, The Birth of the Palestinian Refugee Problem, publié (en anglais) en 1987.
« Nous avons des documents explicites, a expliqué David Ben Gourion* à la Knesset en 1961, témoignant qu'ils ont quitté la Palestine en suivant les instructions de dirigeants arabes, le mufti en tête, et sur la base de l'hypothèse que l'invasion des armées arabes [...] détruirait l'État juif et pousserait tous les Juifs à la mer. » Benny Morris s'inscrit en faux : « À aucun moment les dirigeants arabes n'ont publié un appel général aux Arabes de Palestine à quitter leur maison et leur village [...]. Pas plus qu'il n'y eut de campagne à la radio ou dans la presse ordonnant aux Palestiniens de fuir. » À défaut des directives invoquées par l'historiographie israélienne traditionnelle, comment expliquer l'exode palestinien ?
Sur le territoire conquis par les troupes israéliennes à l'époque, 369 villes et villages arabes se voient vidés de leur population. Dans quelles conditions ? Dans 45 cas, l'auteur avoue l'ignorer. Les habitants de 228 autres partent au cours d'assauts des troupes juives et, pour 41 d'entre eux, après des expulsions manu militari. Dans 90 cas, les Palestiniens cèdent à la panique consécutive à la chute d'une agglomération voisine, à la hantise d'une attaque ennemie ou encore aux rumeurs propagées par l'armée juive. Ainsi particulièrement après le massacre, le 9 avril 1948, de Deir Yassine*, près de Jérusalem*, par les miliciens des groupes révisionnistes, surtout ceux de l'Irgoun de Menahem Begin et du Lehi d'Itzhak Shamir. Benny Morris, en revanche, ne recense que 6 cas de départ à l'injonction des autorités arabes locales.
Pour les premiers mois de 1948, un rapport des services de renseignement de la Hagana, daté du 30 juin 1948, va dans le même sens : « Au moins 55 % du total de l'exode ont été causés par nos opérations », écrivent les services, lesquels ajoutent les opérations des dissidents de l'Irgoun et du Lehi « qui ont directement causé environ 15 % de l'émigration » et les effets de la guerre psychologique de la Hagana : on arrive ainsi à 73 % de départs directement provoqués par les Israéliens. Dans 22 % de cas, le rapport met en cause les « peurs » et la « crise de confiance » répandues dans la population palestinienne. Quant aux appels arabes locaux à la fuite, ils n'entrent en ligne de compte que dans 5 % des cas... Et pourtant Benny Morris conclut, du côté juif, à l'absence de plan d'expulsion des Palestiniens.
Nombre de documents attestent néanmoins la détermination du Premier ministre (et ministre de la Défense) du jeune Israël* à sortir de la guerre avec l'État juif le plus grand et, démographiquement parlant, le plus homogène possible. Père du plan Dalet (D, en hébreu) qui, appliqué fin mars 1948, comprend déjà, selon Benny Morris, « de claires traces d'une politique d'expulsion aux niveaux à la fois local et national », David Ben Gourion, en juillet, répond à Igal Allon, qui lui demande ce qu'il faut faire des 70 000 Palestiniens qui se trouvent à Lydda et à Ramleh : « Expulsez-les ! » — et Itzhak Rabin ordonne l’évacuation. Peu après, à Nazareth, découvrant la population arabe laissée sur place, le Premier ministre s'exclame : « Qu'est-ce qu'ils font ici ? »
Conclusion de Benny Morris dans son premier livre : « Ben Gourion voulait clairement que le moins d'Arabes possible demeurent dans l'État juif. Il espérait les voir partir. Il l'a dit à ses collègues et assistants dans des réunions en août, septembre et octobre. Mais [...] Ben Gourion s'est toujours abstenu d'émettre des ordres d'expulsion clairs ou écrits ; il préférait que ses généraux “comprennent” ce qu'il souhaitait les voir faire. Il entendait éviter d'être rabaissé dans l'histoire au rang de “grand expulseur” et ne voulait pas que le gouvernement israélien soit impliqué dans une politique moralement discutable. »
À partir de la fin des années 1990, le citoyen Benny Morris évoluera au point de soutenir la politique du gouvernement d'union nationale dirigé par Ariel Sharon* et même de prôner un nouveau transfert des Palestiniens. Paradoxalement, l'historien Benny Morris a réaffirmé et même durci les conclusions de ses recherches. Ainsi, dans un livre collectif publié en 1998 et traduit en français sous le titre 1948 : La guerre de Palestine, il fera état de « nouveaux documents [qui] ont révélé des atrocités dont je n'avais pas eu connaissance », lesquelles « sont importantes pour qui veut comprendre pourquoi les diverses phases de l'exode arabe se sont précipitées ». Et de conclure : « À n'en pas douter, la cristallisation du consensus en faveur du transfert chez les dirigeants sionistes a permis de préparer l'accélération de l'exode palestinien en 1948. De la même façon, une partie encore plus importante de cet exode a été déclenchée par des actes et des ordres d'expulsion explicites provenant de troupes israéliennes, bien davantage que cela n'était indiqué dans The Birth. »
Comme Benny Morris, d'autres historiens ont révisé l'histoire de l'expulsion, mais en opposant aux thèses « centristes » du pionnier de la nouvelle histoire une analyse beaucoup plus radicale. C’est le cas d’IIlan Pappé, qui a quitté en 2007 l'Université de Haïfa, dont le doyen de la faculté des Lettres s’était acharné contre lui, pour l’Université d'Exeter, où il dirige le Centre européen d'études sur la Palestine. Aux yeux de l’historien antisioniste, l’exode des Palestiniens n’est pas une une conséquence de la guerre, mais le résultat d’un plan prémédité. Il développe notamment cette approche dans son livre, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, avec forces citations tirées des archives de la Hagana, du Palmah et des Forces de défense d’Israël, ainsi que des Journaux de David Ben Gourion et d’autres dirigeants sionistes. Mais, contrairement à Morris, Pappé évoque aussi les travaux d’historiens palestiniens et arabes ainsi que les témoignages de protagonistes palestiniens des événements. L’expulsion, montre-t-il, résulte de la mise en œuvre systématique du plan D (Daleth, en hébreu) mis au point le 10 mars 1948.
De fait, le texte même de ce document ne laisse, à vrai dire, guère de doutes sur les intentions du dirigeant juif. Il ordonne des « opérations contre les centres de population ennemie situés au sein de notre système de défense ou à proximité afin d'empêcher qu'ils soient utilisés comme bases par une force armée active. Ces opérations peuvent être menées de la manière suivante : ou bien en détruisant les villages (en y mettant le feu, en les dynamitant et en déposant des mines dans leurs débris), et spécialement dans le cas de centres de population difficiles à maîtriser ; ou en montant des opérations de ratissage et de contrôle selon les lignes directrices suivantes : encerclement du village et enquête à l'intérieur. En cas de résistance, la force armée doit être anéantie et la population expulsée hors des frontières de l'État ».
Indéniable est, en outre, la politique mise en œuvre pour empêcher le retour des réfugiés, que l'Assemblée générale des Nations unies exige pourtant dès le 11 décembre 1948 — résolution que le gouvernement israélien a bel et bien entérinée, dans un protocole signé avec ses voisins arabes le 12 mai 1949.
En 1940, dans son Journal, Josef Weitz, le directeur du Fonds national juif, avait écrit : « Il doit être clair que, dans ce pays, il n'y a pas de place pour deux peuples [...]. La seule solution, c'est le pays d'Israël sans Arabes [...]. Il n'y a pas d'autre moyen que de transférer les Arabes d'ici dans les pays voisins. » Or c'est lui qui dirige, en 1948, le Comité du transfert. Non seulement Israël interdit aux réfugiés de revenir, mais leurs villages sont détruits ou investis par de nouveaux immigrants juifs, et leurs terres réparties entre les kibboutzim environnants — au total, 300 000 hectares. La loi sur les « propriétés abandonnées » — qui rend possible la saisie des biens de toute personne « absente » — légalise cette confiscation généralisée. Près de 400 villes et villages arabes seront ainsi rayés de la carte ou judaïsées, de même que la plupart des quartiers arabes des villes mixtes...
Officiellement, le gouvernement israélien n'en nie pas moins, à l'époque, « quelque responsabilité que ce soit dans la création de ce problème. L'accusation selon laquelle ces Arabes ont été chassés de force par les autorités israéliennes est totalement fausse ; au contraire, tout ce qui était possible a été fait pour prévenir cet exode. La question du retour ne peut pas être séparée de son contexte militaire. Tant que l'état de guerre se poursuit, les réfugiés seraient un élément perturbateur pour le maintien de l'ordre intérieur et une formidable cinquième colonne pour des ennemis à l'extérieur ».
S'ensuivent plus de six décennies d'une polémique avivée, après la guerre des Six-Jours en 1967, par l'afflux de 250 000 réfugiés supplémentaires fuyant la Cisjordanie*. Les capitales arabes, estime Israël, portent la responsabilité du sort des réfugiés palestiniens, qu'elles n'ont rien fait pour améliorer, voire qu'elles ont entretenu tel un abcès de fixation. Taillable et corvéable à merci, cette main-d'œuvre à bon marché connaît, il est vrai, bien des vicissitudes parmi ses « frères » arabes, dont les régimes sont prêts à réprimer toute forme d'organisation, voire à les massacrer. Non, répond le monde arabe, ce n'est pas une question de réfugiés, mais un problème national. Les réfugiés eux-mêmes ont d'ailleurs toujours refusé toute « réinstallation ». Entre un discours et l'autre, les réfugiés palestiniens, eux, croupissent dans leur misère...
Cinquante-sept ans après le grand exode, l'UNRWA dénombre 4,8 millions de réfugiés palestiniens, dont 30 % vivent dans ses camps. La proportion atteint jusqu'à 80 % à Gaza. Nul doute qu'ils soient les premiers intéressés à la constitution d'un État palestinien aux côtés d'Israël. Mais combien gardent et garderont longtemps la nostalgie du village de leur famille situé, lui, sur le territoire de l'État juif ? Mais la question du droit au retour* reste — comme les négociations de Camp David* et de Taba de 2000-2001 l'ont confirmé — l'une des principales pierres d'achoppement de la négociation d'un règlement global de paix.
 
Dominique Vidal
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