Peut-on se réjouir de l’impressionnante baisse du nombre d’inscrits à Pôle emploi en 2021 ? Le gouvernement s’enorgueillit de ce bilan. Mais ce recul masque d’autres réalités moins reluisantes.
EXPLICATIONS
« Une année exceptionnelle pour l’emploi. » Face à une baisse peu ordinaire des chiffres du chômage au cours de l’année 2021, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, ne manque pas de s’autocongratuler. Les commentaires élogieux n’ont pas non plus tari pour qualifier les données : les chiffres seraient au plus bas, la baisse exceptionnelle.
En France, hors Mayotte, les personnes inscrites à Pôle emploi en catégorie A (regroupant celles n’ayant pas travaillé du tout) étaient 12,6 % moins nombreuses au quatrième trimestre de l’année 2021 qu’au quatrième trimestre 2020, selon la Dares, service des statistiques du ministère du Travail. Le presque candidat Emmanuel Macron a déjà commencé à surfer sur la bonne nouvelle pour en faire un élément de son bilan. À y regarder de près, pourtant, l’équation n’est pas vraiment époustouflante.
1. Derrière la baisse, la précarisation des travailleurs
La baisse du nombre de chômeurs n’ayant eu aucune activité a de quoi faire parler d’elle : elle est la plus importante depuis plus de dix ans. Pourtant, cette donnée est loin de signifier que la courbe du chômage s’est drastiquement inversée.
Toutes catégories confondues, la chute n’est que de 4,3 % en un an. « Il existe un phénomène de vases communicants entre la catégorie A et les catégories B et C. Cela n’est pas le signe d’une reprise d’un emploi de qualité, ça signifie que l’on remplace du chômage à temps complet par de l’emploi précaire », observe Pierre-Édouard Magnan, président du Mouvement national des chômeurs et des précaires.
En effet, en dépit de la forte baisse de la catégorie A, la seule mise en lumière par le gouvernement, les comptages des chômeurs ayant exercé au maximum 78 heures par mois (catégorie B) ou plus de 78 heures par mois (catégorie C) ont augmenté de respectivement 0,6 % et 8,6 % en 2021, en France métropolitaine. La forte progression du nombre de chômeurs en catégorie D, regroupant les privés d’emploi non tenus d’effectuer des recherches actives pour cause de formation ou de maladie, relativise aussi le bilan du gouvernement : leur nombre a gonflé de 6,3 % en un an…
Le constat est encore plus mitigé lorsqu’on se penche sur l’ancienneté des privés d’emploi. Au quatrième trimestre 2021, le nombre de personnes au chômage depuis une période de six mois à moins de deux ans a chuté de plus de 14 %. Au contraire, le nombre de sans-emploi depuis plus de trois ans, lui, n’a fait que stagner. Le chômage de longue durée reste une triste réalité.
2. Un simple phénomène de rattrapage ?
À en croire ces derniers chiffres, il semblerait que les personnes ayant perdu leur emploi pendant les confinements aient retrouvé une activité. Ainsi, la baisse impressionnante du chômage n’est-elle que l’effet du rattrapage des suppressions de postes enregistrées en 2020, année noire pour l’emploi. Les études de la Dares témoignent d’une envolée spectaculaire du nombre de chômeurs au début de l’année 2020. En catégories A, B et C, le total des sans-emploi avait augmenté de 6,4 % entre le dernier trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2020, en France hors Mayotte.
La destruction d’emploi est encore plus colossale si l’on s’arrête sur les catégories A uniquement : leur nombre avait augmenté de 24 % sur la même période. La baisse du chômage, si elle s’était déjà amorcée à la suite du premier confinement de 2020, ne serait donc qu’un retour à la normale.
Cette hypothèse ne peut cependant pas, à elle seule, expliquer l’actuelle baisse du nombre de demandeurs d’emploi, puisque le taux d’emploi (nombre d’actifs occupés par rapport à la population en âge de travailler) n’a pas seulement rattrapé son niveau d’avant la crise mais l’a dépassé, note Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. « C’est une surprise, puisque la croissance de l’emploi a été bien supérieure à celle de l’activité. La création de valeur ajoutée a un peu augmenté, mais celle de l’emploi a été bien supérieure, y compris dans les secteurs fortement touchés par les restrictions imposées par la crise sanitaire, comme le BTP et la restauration », indique-t-il.
Selon l’économiste, ce phénomène inhabituel pourrait s’expliquer notamment par la réorganisation des entreprises qui, sous le coup des contraintes sanitaires ou des arrêts de leurs salariés, ont dû embaucher plus pour effectuer les mêmes tâches. « C’est inhabituel, on se demande s’il n’y aura pas un rattrapage avec un tassement du taux d’emploi en 2022 », poursuit l’analyste. L’éclaircie actuelle pourrait donc être passagère.
3. Les exclus de Pôle emploi faussent les statistiques
Le gouvernement a beau prendre appui sur l’embellie de la croissance, dont il s’attribue la paternité, pour expliquer le presque plein-emploi qu’il revendique, il oublie de communiquer sur les tripatouillages auxquels il s’est laissé aller pour diminuer artificiellement le nombre de chômeurs.
En focalisant l’attention sur le nombre d’inscrits actuellement à Pôle emploi, il tait celui de chômeurs qui n’y apparaissent plus. C’est le cas des personnes radiées de l’établissement public. « L’intensification des radiations peut tout à fait expliquer la diminution du nombre de chômeurs », affirme Pierre Garnodier, secrétaire général du Comité national des travailleurs privés d’emploi et précaires. Les chiffres de la Dares, de ce point de vue, lui donnent raison. En un an, le nombre de radiés des décomptes de Pôle emploi a augmenté de 44,9 %, représentant à lui seul près de 10 % de toutes les sorties recensées !
« À chaque nouveau plan gouvernemental – contre le chômage de longue durée ou la garantie jeunes, par exemple –, chaque privé d’emploi reçoit une convocation à Pôle emploi. Depuis 2018, ne pas s’y présenter est un motif de radiation », poursuit le syndicaliste. La politique de contrôles intensifs du gouvernement à l’encontre des privés d’emploi n’arrange pas la donne.
En un an, le nombre de radiés des décomptes de Pôle emploi a augmenté de 44,9 %, représentant à lui seul près de 10 % de toutes les sorties recensées !
Dans son allocution de novembre 2021, Emmanuel Macron confirmait vouloir intensifier les sanctions contre les chômeurs qui ne démontreraient pas une recherche d’emploi active. De quoi faire fondre les chiffres des inscrits à Pôle emploi, mais aussi de priver d’allocations les chômeurs. À ces radiés commencent déjà à s’ajouter les premières victimes de la réforme de l’assurance-chômage, définitivement validée par le Conseil d’État fin 2021 . « Avec cette réforme, bon nombre de chômeurs ont vu leurs indemnités baisser, voire disparaître. Or, quand on ne touche plus d’indemnités, on cesse de s’inscrire à Pôle emploi », ajoute Pierre-Édouard Magnan. Autant de personnes invisibles dans les chiffres et qui n’ont pourtant toujours pas retrouvé d’activité.
4. Les indépendants, des chômeurs qui ne disent pas leur nom
Autre scénario sur lequel les chiffres de la Dares ne lèvent pas le voile : et si les chômeurs s’étaient transformés en entrepreneurs ? L’hypothèse est plausible. À en croire les chiffres brandis par Emmanuel Macron, un million d’entreprises ont été créées en 2021, dont les deux tiers sont en fait des microentreprises. Toutefois, l’Insee note que cette hausse a été la plus dynamique dans le secteur du transport et de l’entreposage. Une importante partie de ces sociétés créées l’année passée et dont se vante le gouvernement sont en fait des livreurs à deux-roues ubérisés. La tendance s’était déjà amorcée au cours de l’année 2020, où les immatriculations de microentreprises dans ce secteur avaient progressé de plus de 38 %, note une étude de la Dares.
Là aussi, est-il souhaitable de remplacer le chômage par de l’emploi précaire et peu protégé ? D’autant plus qu’une fois sorti du giron du salariat, les travailleurs indépendants, quel que soit leur secteur, auront tout le mal du monde à réclamer des allocations-chômage. Théoriquement, ceux-ci y ont droit, mais les critères d’admission au dispositif sont extrêmement restrictifs. «
Une importante partie de ces sociétés créées l’année passée et dont se vante le gouvernement sont en fait des livreurs à deux-roues ubérisés.
Depuis la création de l’allocation pour les travailleurs indépendants (ATI), en novembre 2019, on ne compte que 922 bénéficiaires. Les indépendants ont deux manières de cesser leur activité : soit par une clôture, soit par une liquidation judiciaire. L’ATI n’est ouverte qu’aux gens qui choisissent la deuxième option, or personne n’y a recours, à moins d’y être forcé. C’est une expérience difficile », explique Hind Elidrissi, porte-parole du syndicat Indépendants.co. Et d’ajouter : « Le plan “indépendants”, en discussion à l’Assemblée nationale, élargira le dispositif aux clôtures volontaires, mais il n’est pas encore en vigueur. »
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