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28 janvier 2022 5 28 /01 /janvier /2022 05:35
L’État a fait un cadeau insensé à Bolloré (Laurent Mauduit, Médiapart, 27 janvier 2022)
L’État a fait un cadeau insensé à Bolloré

L’État acquiert pour 31 millions d’euros les installations de l’oléoduc Donges-Metz qu’il devait récupérer gratuitement au terme de la concession octroyée au groupe Bolloré pendant vingt-sept ans. Pendant cette période, ce dernier s’est servi plus de 167 millions d’euros de dividendes.

Laurent Mauduit, 27 janvier 2022

Daté du 5 janvier 2022 et publié par le Journal officiel le 19 janvier, c’est un arrêté dont quelques médias se sont faits l'écho, mais trop s'y attarder. Au premier examen, on pourrait penser que cela n’a rien de surprenant : puisque l’arrêté en question concerne une entreprise assez peu connue du grand public, la Société française Donges-Metz (SFDM), le lecteur peut croire que l’affaire ne présente pas le moindre intérêt. Un arrêté comme tant d’autres, dont le JO regorge chaque jour et que personne ne lit.

Erreur. L’arrêté est en réalité l’épilogue d’une histoire stupéfiante, qui est celle d’un immense cadeau fait par l’État à Vincent Bolloré et qui se chiffre en dizaines et dizaines de millions d’euros. Ce gigantesque cadeau sur fonds publics, c’est le clan Balladur-Sarkozy qui en a pris l’initiative en février 1995, quelques semaines à peine avant l’élection présidentielle. Et c’est Emmanuel Macron qui en règle les derniers détails, permettant à l’homme d’affaires d’empocher un formidable pactole. Ni vu ni connu… sans que personne n’en parle !

Cette histoire, je l’avais découverte en écrivant mon livre Prédations (La Découverte), consacré à la privatisation des biens publics. Cherchant à établir le bilan de toutes les privatisations conduites depuis 1986, même les moins connues, je m’étais intéressé, dans le lot, à l’oléoduc reliant Donges (petite localité sur l’estuaire de la Loire à quelques kilomètres à l’est de Saint-Nazaire) à Metz (Moselle), et à l’ouvrage colossal, long de 627 km, disposant de quatre gigantesques dépôts d’hydrocarbures sur son parcours, et d’une connexion avec l’appontement du Grand Port maritime de Nantes.

Intéressante histoire et symbolique entre toutes. Dans les derniers mois de la guerre de 1914-1918, les forces américaines et anglaises construisent un port à Donges, pour débarquer le matériel militaire que le port de Saint-Nazaire, trop encombré, ne peut accueillir en totalité. Longtemps après, connaissant les lieux, les forces armées américaines s’adossent de nouveau à Donges, au début des années 1950, pour bâtir un immense oléoduc pour le compte de l’Otan, reliant la côte atlantique à l’est de la France. Plus tard, les forces militaires américaines qui sont propriétaires de cette immense construction, laquelle traverse toute la France d’ouest en est, via Melun, décident de la rétrocéder à l’État français.

Mais visiblement, dans le courant des années 1990, cette propriété de l’État devient l’objet de convoitises privées. C’est ainsi que, sans que nul ne le remarque, quelques semaines avant l’élection présidentielle, hors appel d’offres, un discret décret est pris le 24 février 1995 confiant l’exploitation de l’oléoduc à une mystérieuse Société française Donges-Metz (SFDM) à compter du 1er mars 1995, et pour une durée de vingt-cinq ans, soit jusqu’au 1er mars 2020. Le décret est contresigné par le premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, le ministre du budget Nicolas Sarkozy et quelques autres ministres du même clan et il profite donc à un ami du régime, puisque c’est Vincent Bolloré qui contrôle cette société SFDM. Pour être précis, la participation du groupe Bolloré a fluctué sur une longue période autour de 95 % du capital de la SFDM, un peu moins ou un peu plus. Au 31 décembre 2020, Bolloré Energy, filiale du groupe Bolloré, contrôlait ainsi 95,05 % du capital de la SFDM, les 4,95 % restants étant la propriété de l’établissement public du Grand Port maritime de Nantes-Saint-Nazaire.

Et si cette société fait l’objet de convoitises privées, c’est qu’elle est hautement rentable. Pour parler le jargon de la finance, c’est même une « machine à cash ». Pour vérifier l’extraordinaire affaire que réalise Vincent Bolloré, il suffit de scruter ce décret du 24 février 1995 qui, en annexe, présente la convention passée entre la SFDM et le ministère de l’industrie, organisant la concession de l’oléoduc pour les vingt-cinq années prévues. On y apprend que, « en contrepartie de son droit d’occuper et d’utiliser le domaine public […], le titulaire versera à l’État : une redevance annuelle forfaitaire et non révisable, dont le montant est fixé à 4 100 000 francs [soit 625 000 euros d’aujourd’hui] ; une redevance annuelle complémentaire dont le montant est fixé à 9 % du résultat net après impôts de l’exercice précédent ».

Or il s’agit d’un formidable cadeau, dont les modalités sont « non révisables » – une clause stupéfiante. Toujours en annexe, la convention précise que le groupe Bolloré devra acquitter un « droit forfaitaire » au début de l’exploitation de 175 millions de francs (26,6 millions d’euros).

Or ces sommes sont dérisoires par rapport à ce que le groupe Bolloré va empocher les vingt-cinq années suivantes. Et même les vingt-sept années suivantes, puisque le 14 février 2020, à l’approche de l’échéance de la concession, un décret signé par le premier ministre Édouard Philippe, ainsi que par la ministre de la transition écologique Élisabeth Borne, la ministre des armées Florence Parly, le ministre des finances Bruno Le Maire et le ministre du budget Gérald Darmanin, prolonge la concession de deux ans, c’est-à-dire jusqu’en février 2022, dans l’attente d’un possible appel d’offres pour privatiser définitivement la société.

Il est en effet assez facile de reconstituer le jackpot que réalise le groupe Bolloré en obtenant la concession de la SFDM. Si les comptes de la société ne sont plus accessibles via le site Internet Infogreffe du tribunal de commerce de Paris pour les premières années d’exploitation, ils peuvent être consultés à partir de l’exercice de l’année 1999, jusqu’au dernier exercice connu, celui de 2020.

Nous avons donc dépouillé tous ces comptes, pour aboutir à une conclusion saisissante : la PME de taille modeste qu’est la SFDM (environ 140 salariés) n’a cessé d’afficher de gros bénéfices, le plus souvent compris entre 7 et 10 millions d’euros par an. Et le groupe Bolloré a quasi systématiquement ponctionné l’intégralité de ses bénéfices pour se les servir sous forme de dividendes.

L’infographie ci-dessous présente synthétiquement le pactole qui est tombé dans l’escarcelle du groupe Bolloré :

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