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31 décembre 2021 5 31 /12 /décembre /2021 06:47

 

Rappel des faits La crise liée au Covid met en évidence les tares du capitalisme globalisé et des politiques économiques et industrielles induites. Une rupture s’impose pour répondre aux défis humains et environnementaux.

 

VÉRONIQUE RICHES-FLORES

Économiste, présidente de RF Research, diagnostic économique et financier international, conseils et stratégie

 

 

 

MARIE-CLAIRE CAILLETAUD

Ingénieure, déléguée CGT au Conseil économique, social et environnemental

 

 

 

 

AYMERIC SEASSAU

Membre du comité exécutif du PCF, en charge du travail et des entreprises

À l’occasion de cette crise sanitaire, on a pu constater les fragilités de la production française. D’aucuns ont parlé de relocaliser plusieurs secteurs stratégiques. Pourtant, les plans de licenciement se multiplient. Pourquoi ce décalage entre les discours et la réalité du terrain ?

Véronique Riches-Flores

La relocalisation n’est plus un sujet tabou. C’est déjà un progrès par rapport à une situation pas si lointaine où l’évocation de cette nécessité était considérée comme une hérésie rétrograde. Sur ce point, la crise sanitaire a été plutôt salutaire, pointant du doigt les anomalies jusque-là dissimulées d’une situation d’extrême dépendance de l’économie française à l’égard de l’étranger et les dangers susceptibles d’en résulter, en période de crise notamment. La relocalisation industrielle s’est ainsi imposée comme un axe important du plan de relance du gouvernement de septembre 2020 autour de secteurs cibles dans des domaines aussi variés que la santé, l’agroalimentaire, l’électronique, les intrants industriels et les télécommunications. Ce programme compte aujourd’hui un peu plus de 600 projets labellisés. Le résultat est assez honorable en à peine plus d’un an mais, comme vous le soulignez, très largement insuffisant. L’industrie française n’a toujours pas retrouvé son niveau de production d’avant la crise sanitaire et les plans de licenciement sont monnaie courante. Il y a plusieurs explications à ces décalages. Le premier est lié au temps imparti pour passer d’un modèle à un autre. Les entreprises n’ont pas forcément les moyens d’opérer sur le territoire national si leurs fournisseurs ne suivent pas. Il faut pour cela le temps que se développent de multiples activités de proximité, de nouveaux fournisseurs, voire celui de trouver une main-d’œuvre formée. La période n’est, par ailleurs, pas des plus propices pour l’investissement dans un environnement soumis tout à la fois aux aléas sanitaires et, au-delà, à bien des sujets d’incertitudes sur les développements futurs en matière de demande, de coûts, de transition environnementale ou démographique. Enfin, entreprises et consommateurs n’ont pas totalement intégré ces nécessaires changements et ce qu’ils pourraient apporter à l’économie française. Les réflexes de consommation, les logiques de développement sont encore très profondément ancrés dans le modèle d’un monde global qui ne favorise pas la relocalisation.

Marie-Claire Cailletaud

La crise sanitaire a mis en évidence notre extrême vulnérabilité due à la désindustrialisation massive du pays. Nos gouvernants n’ont pas eu d’autre choix, face à la réalité, que de parler de réindustrialisation, relocalisation et même planification et nationalisation. Dans le même temps, les grands groupes ont accéléré leur recomposition et multiplié les licenciements, comme par exemple Sanofi et Nokia, avec plus de 1 000 postes d’ingénierie et de recherche supprimés. Airbus a supprimé 5 000 emplois alors que ses dividendes ont augmenté et que son carnet de commandes est plein pour plusieurs années. La crise a désta­bilisé momentanément le processus de production et montré la fragilité des chaînes de valeur internationales. Mais la stratégie des grands groupes dans une économie mondialisée et hyperfinanciarisée n’a pas changé. Elle se résume à faire remonter le maximum de dividendes à ses actionnaires, y compris en étranglant les sous-traitants comme dans l’automobile. La réorganisation doit leur permettre d’éviter des ruptures qui mettraient en péril cette rentrée d’argent. Cette crise a produit un effet d’aubaine, d’accélération des transferts financiers de l’État vers les entreprises industrielles, avec des montants faramineux, justifiés aux yeux de l’opinion publique par la situation sanitaire. Cela a conduit, non pas à maintenir l’activité, mais à garantir la rentrée de dividendes aux actionnaires. En accentuant encore plus la déconnexion entre l’accumulation du capital et la réponse aux besoins humains.

Aymeric Seassau

Cette crise pandémique a en effet révélé la crise profonde du capitalisme mondialisé. Il a manqué des masques, de l’oxygène médical, etc. Le pays a pris conscience du manque d’outils de production dans ces domaines. Pour ne prendre qu’un exemple, l’usine de masques de Plaintel, dans les Côtes-d’Armor, capable de produire jusqu’à 4 millions de masques par semaine, avait fermé en 2018… faute de commandes de l’État ! Dans ce contexte, les aides de Bercy ont profité aux actionnaires plutôt qu’aux travailleurs. Les chiffres sont désormais connus. L’Insee relève 45 000 emplois perdus dans l’industrie pendant la crise pandémique. Déjà en 2019 Mediapart titrait « Macron en naufrageur de l’industrie » pour caractériser son action. 165 emplois industriels sont perdus en moyenne chaque jour en France depuis 2001 et le déclin continue. La reconquête industrielle est une bataille d’intérêt général. Une bataille sociale (c’est le seul secteur où un emploi génère deux à quatre emplois indirects), une bataille de souveraineté pour répondre aux besoins des populations, une bataille au service de la transition écologique.

Selon vous, quelles sont les trois grandes mesures à prendre pour une politique de réindustrialisation de notre pays ?

Marie-Claire Cailletaud

La première nécessité est d’avoir une vision stratégique sur le long terme. C’est le rôle d’un État stratège, qui devrait mettre en place une programmation pluriannuelle de l’industrie afin de planifier sur le long terme les politiques publiques de recherche et d’innovation, de formation, de financements, de services publics et d’infrastructures. Dans cette transformation du système productif, l’anticipation est essentielle afin de permettre aux travailleurs, grâce à la formation initiale et continue, de reprendre leur rôle central dans le système productif. À partir de là, et si nous voulons retrouver notre indépendance (qui ne signifie pas autonomie), il est indispensable de reprendre la main sur les filières stratégiques identifiées (énergie, transports, communications, eau, santé…) par une véritable appropriation sociale de ces secteurs. Enfin, rien ne se fera dans le sens de l’intérêt général sans démocratie et en particulier sans démocratie dans l’entreprise. Au contraire, c’est en donnant du pouvoir dans les entreprises à celles et ceux qui font le travail que l’on arrivera à contrebalancer le poids des actionnaires et que se posera la question du sens et de la finalité du travail, c’est-à-dire ce que l’on produit, pourquoi et comment.

Aymeric Seassau

Il y a urgence à s’outiller d’un arsenal législatif pour empêcher les délocalisations et les licenciements boursiers. Le PCF a porté plusieurs projets de loi dans ce sens ces dernières années. Il faut désintoxiquer le pays de la finance ! 2021, en pleine crise pandémique, s’annonce comme une nouvelle année mondiale record dans le paiement de dividendes, notamment en raison des versements faramineux aux actionnaires des sociétés minières. Notre monde marche sur la tête. À l’inverse, nous voulons mettre l’économie et la production au service de la réponse aux besoins humains plutôt qu’à ceux de la finance en définissant des filières nationales stratégiques. Fabien Roussel, le candidat présenté par le PCF à l’élection présidentielle, propose notamment d’agir dans deux directions. La première est de constituer un pôle public bancaire pour financer les entreprises et les activités utiles sur de nouveaux critères d’efficacité sociale et écologique face à ces pôles privés de la mondialisation capitaliste que sont les multinationales et les marchés financiers. La seconde est d’ouvrir de nouveaux pouvoirs aux salariés dans leur entreprise pour pouvoir agir et proposer des alternatives. L’actualité sociale le démontre quotidiennement sur tout le territoire national : en défendant leurs emplois, les travailleurs en lutte formulent des projets alternatifs à la hauteur des crises sociale et environnementale.

Véronique Riches-Flores

De mon côté, je pense que les impératifs climatiques constituent une chance pour redynamiser notre industrie qu’il faut saisir, non seulement parce qu’il s’agit de préserver le potentiel de développement et d’emplois de l’économie française, mais parce qu’il nous faut agir très vite face au dérèglement climatique. La réglementation du commerce international ne permet pas les discriminations entre produits mais n’interdit pas d’informer les consommateurs sur l’empreinte carbone ; l’obligation d’informer sur le kilométrage parcouru par un jean avant d’arriver sur le territoire, par exemple. La traçabilité de l’empreinte carbone des produits de consommation aiderait la prise de conscience et finirait par inciter les distributeurs à jouer un jeu plus local, comme cela commence d’ailleurs à être le cas. À une approche ciblée, bien compréhensible, compte tenu de certains enjeux de sécurité ou de souveraineté spécifiques (dans les médicaments par exemple), une approche holistique est véritablement nécessaire pour enclencher un mouvement d’ampleur. Renaissance industrielle et transition environnementale ne sont pas les objectifs les plus naturellement compatibles. C’est pourtant tout l’enjeu et de nombreux experts ont travaillé pour aider à y parvenir.

Avec les défis environnementaux et climatiques, la transition écologique et une nouvelle production décarbonée énergétique sont à l’ordre du jour. Comment les mettre en œuvre ?

Marie-Claire Cailletaud

La réponse aux défis environnementaux et aux besoins sociaux implique de produire et consommer autrement. C’est d’un véritable changement civilisationnel que l’on parle. Cela va nécessiter de transformer notre système productif dans une économie beaucoup circulaire, avec des circuits raccourcis et des coopérations entre pays. Le débat démocratique devrait permettre d’orienter la production pour répondre aux besoins et non pas, comme c’est le cas à l’heure actuelle, créer des besoins artificiels via la publicité et ainsi générer désirs et frustrations, gaspillage environnemental et social. Ainsi nous produirons des biens et des services durables, réparables, utiles socialement et compatibles avec ce que nous apporte la nature. Cette transformation va nécessiter de produire plus d’électricité dans un bouquet énergétique qu’il nous faut décarbonner. L’énergie, moteur du développement, occupe une place centrale, et ne peut être laissée aux mains du marché, qui conduit à une explosion des prix. Il est nécessaire de conforter des filières de production d’électricité bas carbone et pilotables. Cette situation rend l’utilisation de l’énergie nucléaire incontournable, comme l’indique le Giec. Et, donc, plutôt que de donner des coups de boutoir dans cette filière, les progressistes devraient au contraire unir leurs efforts à ceux des travailleurs du secteur, afin de construire un grand pôle public de l’énergie bâti autour d’un mix énergétique évoluant vers le nucléaire et les énergies renouvelables.

Véronique Riches-Flores

Les défis climatiques sont considérables et sans précédent. Les relever sera coûteux et bouleversant, c’est pourquoi ils requièrent des efforts sans précédent tant sur le plan de l’action et de la réglementation que sur celui de vision politique. Cette dernière fait encore largement défaut, or nous n’arriverons pas à faire face à des problématiques de long terme sans nous projeter dans le temps long. On ne parle pas ici de la transition mais des multiples transitions à mener de front, parfois contradictoires, d’ailleurs qui concernent tous les aspects de notre vie : les transports, l’urbanisation, l’agriculture, la recherche. Ce sont tous ces leviers qu’il faut actionner.

Aymeric Seassau

Si nous voulons produire mieux et produire plus près, il faut s’attaquer au cancer financier qui ronge les activités humaines et revoir les traités européens. Le court-termisme capitaliste conduit à un épuisement des hommes comme de la planète pour atteindre les insoutenables taux de profit à deux chiffres devenus la norme. S’épargner ce diagnostic, c’est rester dans l’impasse. D’autant qu’il faudra des investissements publics massifs dans nos infrastructures si nous voulons changer de modèle de production, de consommation, de transports. C’est vrai pour l’énergie si nous voulons un mix énergétique basé sur le renouvelable et le nucléaire à la hauteur de la crise climatique et répondant aux besoins des populations. C’est vrai pour les transports si l’on veut favoriser un couple ferroviaire/maritime et fluvial le moins polluant. Or la France est en queue de classement européen sur l’investissement dans le ferroviaire et nos ports ne sont pas connectés aux corridors ferroviaires européens. Transports, énergie… Autant de secteurs essentiels pour la transition écologique et qui ont été victimes de vagues de libéralisation successives. Sauver la planète, c’est d’abord la mettre à l’abri des dévastations du marché.

 

Une chute sensible

Parmi les personnes en emploi selon les critères de l’OIT, 13,3 % travaillaient en 2018 dans un secteur industriel en France. Même si sa part dans le PIB a fortement diminué dans les dernières décennies, l’industrie représente encore plus de 12,5 % (source : Insee). Le secteur industriel français comptait plus de 4,5 millions d’emplois salariés en 1989, plus que 3 millions, trente ans plus tard… soit une diminution de 30 %. On parle donc de désindustrialisation.

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