Les politiques de jeunesse sont depuis trop longtemps enfermées dans le seul objectif d’accélérer une transition entre système scolaire et marché du travail. Non seulement ces politiques échouent à atteindre cet objectif, mais elles sont totalement inadaptées sur le plan conceptuel, la jeunesse n’étant pas qu’une phase de transition précaire vers le salariat mais un moment de formation, d’épanouissement et de découverte. Une véritable politique de jeunesse devra prendre en compte et accompagner ses aspirations.
*HÉLÈNE BIDARD est adjointe à la maire de Paris, chargée de l’égalité femmes-hommes, de la jeunesse et de l’éducation populaire.
À l’approche des prochaines échéances présidentielle et législatives, la jeunesse occupe une place de choix dans le débat public. À juste titre, tant les deux dernières années de crise font écho, pour cette jeunesse, à la façon dont Baudelaire avait d’une plume mélancolique évoqué la sienne : «[…] un ténébreux orage traversé çà et là par de brillants soleils. »
L’« orage » a bien sûr une dimension conjoncturelle, avec la crise sanitaire, économique et sociale que les jeunes subissent de plein fouet. Les données du rapport de la commission d’enquête parlementaire présentée par Marie-George Buffet sont aussi éclairantes qu’inquiétantes : un(e) jeune sur six a arrêté ses études, 20 % de chômage chez les 18-25 ans, 30 % de jeunes ayant renoncé à l’accès aux soins faute de moyens…[1] Les problèmes des jeunes sont également psychologiques : 29 % des 18-24 ans ont connu une prévalence à la dépression pendant le premier confinement, 33 % à l’anxiété, et 80 % ont rapporté des troubles du sommeil généralisés[2]. D’autres sondages, comme celui de l’enquête « Nouvelle Vague » de février 2021, ont confirmé cette tendance, en soulignant que les jeunes filles, les lycéen(ne)s majeur(e)s et les moins de 20 ans sont les plus exposé(e)s au sentiment de déprime et à la dépression[3].
Le taux de pauvreté des 18-25 ans a augmenté de 50 % entre 2002 et 2018 »
Pour autant, et les mêmes études le démontrent, l’« orage » préexistait à la crise actuelle. Ainsi, le taux de pauvreté des 18-25 ans avait déjà augmenté de 50 % entre 2002 et 2018[4]. Plus globalement, Frédéric Dabi souligne dans la Fracture que les jeunes ont été, ces six dernières années, « ballotés d’une crise à l’autre – des attentats à l’urgence climatique en passant par les conséquence sanitaires et économiques du Covid-19 »[5]. Si la crise actuelle a ainsi catalysé les phénomènes de précarité, d’éco-anxiété, d’inquiétude des jeunes face à leur avenir, elle ne saurait en être l’unique responsable.
Il en va de même avec les « brillants soleils ». Ce sont ces nombreuses initiatives et mobilisations des jeunes sur des causes qui, pour certaines, sont directement liées à la crise – pensons à l’essor des initiatives de solidarité étudiante avec la mise en place de distributions alimentaires, ou encore aux nombreux jeunes bénévoles dans les centres de tests et de vaccination –, mais qui pour d’autres ne sont pas corrélées à la crise, et même la précédaient – pensons aux marches pour le climat, aux mouvements #MeToo, Black Lives Matter, etc.
La situation contrastée de la jeunesse aujourd’hui ne saurait donc s’expliquer uniquement par des aspects de conjoncture. Il faut pouvoir se pencher sur les rouages systémiques et structurels qui freinent l’accès des jeunes au bonheur et à leur épanouissement : seuls 19 % se disent « très heureux·(-ses) » en 2021, contre 46 % il y a vingt ans[6]. Comment inverser la tendance ? Comment redonner du pouvoir de vivre à la jeunesse ? Comment repenser les politiques publiques de jeunesse ?
POUR UNE AUTRE CONCEPTION DE LA JEUNESSE
« La jeunesse n’est qu’un mot », disait Bourdieu lors d’un célèbre entretien[7]. Par cette formulation lapidaire, le sociologue souhaitait rappeler que, même si d’une époque à une autre les frontières entre les classes d’âges sont poreuses, le terme de « jeunesse » permet surtout « [d’]imposer des limites et [de] produire un ordre auquel chacun doit se tenir, dans lequel chacun doit se tenir à sa place »[8].
Dans l’imaginaire collectif, en effet, dans le débat public comme dans les commentaires d’actualités, la jeunesse est représentée comme une « ressource » ou comme une « menace » pour l’ordre établi, selon qu’il s’agît de l’applaudir ou de la pointer du doigt. Tantôt apathique, tantôt idéaliste, tantôt visionnaire, tantôt délinquante, la jeunesse fait l’objet de diverses représentations sociales caricaturales, qui engendrent elles-mêmes des réactions publiques caricaturales, particulièrement dans le cas des représentations négatives. Après tout, quand la jeunesse voudrait nous sembler apathique et fainéante, ne suffirait-il pas simplement de l’aider à « traverser la rue » ? L’ordre établi, lui, ne saurait être remis en cause.
Le point crucial ici est que nous avons tendance à essentialiser de prétendues attitudes, pratiques et comportements types de la jeunesse, précisément parce que nous avons toutes les peines du monde à la concevoir, tant dans sa globalité que dans ses spécificités et dans les inégalités de genres, d’origines ou encore de classes qui la traversent. Le droit civil définit l’âge de l’enfance et celui de la majorité – avec des droits, des devoirs et des responsabilités qui y sont associés –, mais pas celui de la jeunesse. Le pourrait-il seulement ? La jeunesse est donc communément admise, par défaut, comme cette période de transition entre deux mondes : celui de l’enfant « dépendant » et celui de l’adulte « indépendant. »
Dès lors, les politiques publiques de jeunesse se donnent pour mission de faciliter cette transition, dans un objectif « d’accompagnement à l’autonomie » et d’insertion économique – de préférence le plus rapidement possible. En clair : il faut que l’enfant devienne adulte, et vite.
Ne devrions-nous pas cependant envisager la jeunesse plus largement, comme une période spécifique dans la vie, dont il s’agirait de permettre qu’elle soit pleinement vécue et reconnue en tant que telle ? Ne faut-il pas faire en sorte que jeunesse se fasse, c’est-à-dire se vive pleinement, plutôt que d’attendre que « jeunesse se passe » ?
L’objectif d’insertion socioprofessionnelle est certes des plus importants, particulièrement dans la période actuelle. Nous ne pouvons pas accepter, en France, que les jeunes au sortir de leurs études passent par un sas de précarité de dix ans avant de trouver une forme de stabilité. Une sécurité de l’emploi et de la formation devraient donc être prioritairement mis en place, et vue comme une composante essentielle d’une perspective plus globale destinée à redonner du pouvoir de vivre aux jeunes. Encore faut-il regarder de près ce qui freine structurellement les jeunes, particulièrement ceux qui se trouvent dans des conditions les plus précaires, dans cet objectif d’insertion professionnelle ; c’est notre premier propos. Nous proposerons par la suite une perspective politique qui permettrait, selon nous, de dépasser sans l’effacer cet objectif d’insertion professionnelle, afin de redonner plus globalement du pouvoir de vivre aux jeunes, au-delà du seul pouvoir d’achat, néanmoins nécessaire.
CHANGER LE PARADIGME DE L’ACTION PUBLIQUE
Depuis le tournant néolibéral des années 1980, nous assistons à un mouvement généralisé de déclin des États sociaux sur fond de montée en puissance de la logique de marché. Le système libéral dans lequel que nous vivons – pour ne pas dire que nous subissons – invite à baisser si ce n’est à supprimer certaines prestations et protections sociales afin de pousser les individus, qualifiés de « rationnels », à chercher plus efficacement un emploi, au lieu de perdre leur temps dans les loisirs. En matière de politiques de jeunesse, « ce paradigme a conduit à l’émergence du thème de “l’assistanat” qui s’oppose par exemple à l’accès au RSA dès 18 ans pour continuer à les inciter [les jeunes] à chercher un emploi », soulignent ainsi Chevalier et Grobon[9].
Les deux chercheurs proposent une grille de lecture intéressante des politiques de jeunesse actuelles d’insertion socioprofessionnelle, qui croise les stratégies politiques économiques avec notre modèle social d’État-providence bismarckien, pour en tirer des conclusions sur les conséquences en matière d’inégalités intragénérationnelles.
Par opposition à une stratégie économique inclusive – qui impliquerait d’investir dans le capital humain et les compétences des jeunes, en privilégiant un accès universel à la formation et en partant des besoins et des envies des jeunes (offre de travail) –, la France et le gouvernement actuel s’inscrivent dans une stratégie sélective, qui consiste à privilégier l’emploi « coûte que coûte », notamment pour les jeunes décrocheurs, quitte à abaisser la valeur de leur travail et à créer ou à renforcer le développement d’emplois atypiques et précaires pour répondre à la demande de main-d’œuvre « pas chère » des entreprises (demande de travail). Le projet, heureusement avorté, de contrat de première embauche s’inscrivait dans cette logique, tout comme s’y inscrit malheureusement aujourd’hui le plan macroniste « 1 jeune 1 solution », le nouveau contrat précaire à 500 € nommé « contrat d’engagement », et les nombreuses aides versées sans réelles contreparties aux entreprises de toute taille dans le plan de relance gouvernemental.
Par ailleurs, le modèle social de la France est très fortement familialisé, c’est-à-dire que la plupart des aides, protections et prestations sociales pour les jeunes passent par le cadre familial et les CAF, et sont le plus souvent fonction des ressources parentales – par opposition aux modèles sociaux des pays nordiques, par exemple, où les aides et prestations sont universelles et individualisées.
Le croisement de cette stratégie économique libérale, qui suppose une injonction à l’indépendance par l’insertion professionnelle coûte que coûte, avec notre modèle social familialisé qui sous-tend que les jeunes majeurs, hommes et femmes, restent de « grands enfants » sous la protection de leur famille (au moins jusqu’à 25 ans), a pour conséquence que les jeunes les plus précaires (NEETs [abréviation de l’anglais neither in education, employment or training : « ni en emploi, ni en éducation ou en formation »], travailleurspauvres, jeunes majeurs issus de l’ASE, etc.), dont les ressources familiales sont faibles ou inexistantes, constituent un angle mort des politiques publiques de jeunesse en matière d’insertion socioprofessionnelle. Bien que majeurs du point de vue du droit, ils et elles sont considérées comme des « mineurs sociaux ». Des aides ou dispositifs ont été pensés de façon individualisée et dérogatoire à notre modèle familialisé pour pallier cet angle mort : ainsi des allocations logements qui ne dépendent pas des ressources des parents, mais dont la portée a considérablement été entaillée par la récente réforme de janvier 2021, avec pour effet de diminuer les allocations des jeunes travailleurs·, des apprentis, des premiers de corvée en somme. Ainsi aussi du dispositif de garantie jeune qui cible spécifiquement les jeunes NEETs de 16 à 25 ans – dont la réforme récente introduit un certain critère d’autonomie des ressources des jeunes par rapport aux ressources parentales, mais qui aurait gagnée à être davantage réformée dans le sens d’un dispositif permettant un véritable droit universel à la formation et à l’accompagnement, ouvert plus largement aux jeunes en recherche d’un premier emploi ou en situation de vulnérabilité sociale comme les jeunes majeurs sortant de l’ASE. Ainsi enfin du compte personnel de formation, dispositif individualisé mais qui a ceci de « pratique » qu’il repose sur un mécanisme de cotisations, excluant de facto les jeunes travailleurs·et travailleuses pauvres dont les cotisations sont faibles, alors que les besoins en formation sont sans aucun doute les plus importants.
On peut comprendre, à la lumière de cette analyse, les diverses propositions qui traversent le débat public : extension des critères d’obtention des bourses ; ouverture du RSA aux moins de 25 ans ; allocation d’autonomie universelle ; revenu jeune ou étudiant universel ou progressif…
En synthèse, disons que repenser les politiques d’insertion socioprofessionnelle de la jeunesse implique nécessairement d’interroger notre modèle socioéconomique, dont le fonctionnement actuel est en grande partie responsable de la situation précaire de nombre de jeunes. De surcroît, ces politiques publiques s’appuient sur la vision d’une jeunesse comme simple période de transition, au lieu de la voir comme une étape de vie en soi. Il faut donc pouvoir dépasser ce seul objectif. Proposons ici une première trajectoire possible.
TEMPS LIBRE ET ÉDUCATION POPULAIRE
Pour que « jeunesse se fasse », c’est-à-dire se vive en soi, et à rebours de la « société du travail » que nous promet Xavier Bertrand, candidat à la candidature à droite à l’élection présidentielle, nous proposons d’envisager une « société du temps libre ». Un éphémère ministère du Temps libre a certes existé entre 1981 et 1983, mais son action s’est vite heurtée au paradigme néolibéral que nous avons évoqué et aux années dites de la « rigueur » qui ont suivi. Si bien que le changement – et à court terme du moins l’infléchissement – de ce référentiel de valeurs socioéconomiques évoqué ci-dessus est indissociable de la mise en place d’une société du temps libre.
Notons d’abord que le temps libre est une préoccupation majeure des 18-30 ans. 42 % des jeunes interrogés dans une enquête d’opinion citée et analysée par Frédéric Dabi dans son ouvrage estiment qu’avoir du temps libre est un facteur déterminant pour avoir une vie réussie. Ces jeunes n’étaient que 31 % en 2007 à mentionner le temps libre comme facteur fondamental. Notons, par effet miroir, que seulement 24 % d’entre eux dans la même enquête citent le facteur « faire une belle carrière professionnelle » comme déterminant pour avoir une vie réussie. Toute précaution prise par ailleurs vis-à-vis du phénomène de sondage, permettons-nous tout de même de douter dès lors de la pertinence de la « société du travail » promise par la droite au regard des besoins et aspirations des jeunes pour s’épanouir dans leur vie. De toute évidence, dans un monde qui ne cesse de s’accélérer en imposant la réussite économique comme l’alpha et l’oméga de l’existence, « la jeunesse est à la recherche de temps pour soi »[10], c’est-à-dire pour vivre sa jeunesse.
Précisons d’emblée que penser le temps libre ne revient pas à oublier ou à invisibiliser les enjeux liés à l’insertion socioprofessionnelle (pour les jeunes actifs·[-ives] ou en recherche d’emploi) ni même ceux liés à la scolarité (pour les étudiant[e]s et lycéen[ne]s). Il s’agit de placer différemment le curseur dans les politiques publiques de jeunesse, et de signifier par là même que le temps non étudié ou non travaillé est au moins tout aussi important pour développer son capital humain que le temps d’étude ou de travail l’est pour développer son capital social et économique.
Au contraire, d’ailleurs : dégager du temps libre revient nécessairement à avoir une réflexion sur le temps de travail, ce qui nous renvoie à la pertinence des propositions visant à le réduire, comme celles pour la semaine des 32 heures, la semaine de 4 jours, etc. Voilà une autre façon d’envisager le bénéfice d’une telle mesure : les heures ainsi libérées permettraient aux jeunes au chômage non seulement d’accéder à l’emploi, mais en outre de dégager du temps pour se construire, se développer et se socialiser autrement.
Cela étant précisé, qu’entend-on réellement par « temps libre » ?
Indiscutablement, le temps libre est à relier au droit aux vacances – dont nous rappelons au passage qu’il s’agit d’un droit reconnu comme fondamental par la loi depuis 1998[11] –, qui demeure cependant inaccessible pour nombre de jeunes, particulièrement les plus précaires[12]. Nous irons même jusqu’à affirmer qu’en cette période de crise, qui affecte durablement les jeunes sur le plan psychologique, permettre le départ en vacances des jeunes (par le temps libre, mais aussi des mesures budgétaires spécifiques pour lever les freins financiers ou encore une coordination renforcée entre les territoires) est un véritable enjeu de santé mentale. De surcroît, comme le dit le proverbe, « Les voyages forment la jeunesse ».
Cependant, le temps libre ne s’apparente pas exclusivement aux vacances, ni même aux loisirs. Le temps libre peut correspondre à un temps d’engagement associatif ou bénévole. Nous avons évoqué en introduction les causes dont les jeunes s’emparent. Leur donner du temps pour les porter, pour les défendre, c’est leur donner du pouvoir d’agir.
Le temps libre, ce peut être aussi du temps que les jeunes consacrent à se former et à découvrir d’autres univers, d’autres centres d’intérêts, peut-être des d’autres passions ; bref, ce qui fait le sel de la vie.
La notion de temps libre, reconnaissons-le, peut de prime abord effrayer, tant la jeunesse a toujours été l’objet de réflexions quant à son encadrement. L’Église, mais aussi l’État, de la conscription au service national universel, s’y sont intéressés de près, toujours dans cette même idée qu’il faudrait à tout prix éviter que la jeunesse, perçue comme tumultueuse par essence, ne se retrouve en roue libre dans une forme de hors-jeu social qui viendrait perturber l’ordre établi.
Le temps libre que nous proposons comme trajectoire pour les politiques de jeunesse ne rime pourtant pas avec anarchie. Nous proposons plutôt d’utiliser un outil que la France connaît bien depuis la fin du xixe-début xxe siècle, mais que les pouvoirs publics ont trop souvent négligé ces dernières décennies : l’éducation populaire. Celle-ci s’apparente à un processus permettant de faire évoluer les individus collectivement, de gagner en capital humain, en compréhension du monde pour pouvoir agir sur lui, et ce en dehors des cadres d’apprentissages traditionnels – donc en dehors de la scolarité, du travail, c’est-à-dire sur du temps libre. Concrètement, cela passe par le développement d’espaces d’expression, de débats, d’échanges pour les jeunes. Ce sont les colonies de vacances comme toute autre activité, culturelle ou sportive, permettant de développer son audace, son expressivité, sa capacité à être acteur et actrice du monde plutôt que de le subir. C’est la possibilité donnée aux jeunes de socialiser autrement et ailleurs, à leur manière, selon leurs aspirations et centres d’intérêts. Ce n’est pas les faire échapper à la réalité, c’est leur donner le cadre et la possibilité de prendre du recul sur celle-ci. A-t-on la tête à cela lorsque l’on recherche un emploi ou un logement ? Certainement pas dans le fonctionnement actuel de notre société. En parallèle de toute aide à l’insertion socioprofessionnelle, il est donc nécessaire d’instaurer un cadre de temps libre dans une logique d’éducation populaire, qui puisse venir atténuer les inégalités intragénérationnelles (de diplôme, de milieu social, etc.) qui traversent la jeunesse.
Y A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION « JEUNESSE » ?
Un prérequis nous semble indispensable pour conduire ce changement de trajectoire : un ministère de la Jeunesse et de l’Éducation populaire à part entière. Pas un vague secrétariat d’État sans moyens et sans budget, dans l’ombre et sous la coupe de l’Éducation nationale comme aujourd’hui – comme si toute la jeunesse était scolarisée !
Plutôt qu’un vague secrétariat d’État sans moyens et sans budget, sous la coupe de l’Éducation nationale comme aujourd’hui – il y a nécessité de créer un ministère de la Jeunesse et de l’Éducation populaire à part entière.
Un deuxième prérequis est la question des moyens budgétaires. Le projet de loi de finances en discussion pour 2022 prévoit 0,8 Md€ pour la jeunesse et la vie associative, ce qui comprend donc le volet vie associative. En 2021, ce budget était de 0,7 Md€, en 2020 de 0,66 Md€, en 2019 dans les mêmes proportions, et nous ne jugeons pas utile de mentionner les années 2017-2018, puisque le premier gouvernement Philippe n’avait de son côté même pas pris la peine de nommer un ministre, ministre délégué ou secrétaire d’État à la Jeunesse. Dans les budgets évoqués ci-dessus, on retrouve chaque fois la même répartition : 80 % du budget destiné aux dispositifs de services civiques et service national universel, laissant peu de place pour « tout le reste ».
Intéressons-nous à ce « tout le reste ». Hors périmètre vie associative, cela représente quelques miettes, à hauteur de 0,08 Md€, qui servent essentiellement à financer les CRIJ – centres régionaux d’information jeunesse –, dont l’organisation des actions d’information sur les métiers et les formations est de toute façon confiée aux régions. Il est certain que l’accès des jeunes à la formation et la lutte contre le non-recours à leurs droits sont essentiels. Or force est de constater, à la lumière de ces données, que les moyens ne sont pas à la hauteur de l’ambition, et que l’ambition n’est pas à la hauteur des enjeux que nous avons tenté de décrire. Et, malheureusement, le tutoiement des jeunes pour faire jeune sur les plateaux de télévision ne saurait remplacer une politique publique de jeunesse digne de ce nom.
Un exemple de CRIJ – centre régional d’information jeunesse – celui de la région Bretagne située à Rennes dont la mission est d’informer sur les métiers et les formations.
Avons-nous cependant besoin de réinventer l’eau chaude ? Des structures d’éducation populaire – fédérations, associations – existent aujourd’hui en France. L’État s’est, lui, déchargé progressivement de cet objectif d’éducation populaire au profit de ces associations, pour se concentrer sur l’action sociale, puis surtout sur l’action économique et l’intégration des jeunes dans le monde du travail. Aujourd’hui, l’action de ces organismes d’éducation populaire s’incarne surtout localement, par la gestion d’équipements publics locaux, dont le cadre des contrats publics relativement rigides et passés avec les collectivités – marché public ou délégation de service public, les seuls possibles en droit – est peu adaptée à l’amorce d’une dynamique d’éducation populaire – qui devrait être déconnectée de toute notion de recettes, par exemple, ce que n’implique pas une délégation de service public. En l’absence de dynamique nationale d’éducation populaire, ce cadre juridique et partenarial de droit commun est somme toute assez frustrant, tant pour les organismes d’éducation populaire que pour les collectivités elles-mêmes.
Voilà sans aucun doute un chantier de réflexion politique, juridique et budgétaire qui pourrait être mené au niveau national afin de permettre aux collectivités locales d’impulser, avec ces fédérations et associations, une véritable politique d’éducation populaire. Le maillage territorial est donc là – même s’il gagnerait sans doute à être précisé. Les organismes d’éducation populaire sont toujours là. Il manque à tout cela une colonne vertébrale, qui suppose un changement d’orientation politique nationale dans la façon d’appréhender et d’impulser les politiques de jeunesse en France.
Nous avons proposé une trajectoire pour donner du pouvoir de vivre à la jeunesse au-delà du seul pouvoir d’achat. Ce n’est sans doute pas la seule. Mais il nous semble essentiel, si nous souhaitons repenser les politiques de jeunesse, de travailler de front à la levée des freins structurels d’accès des jeunes au monde du travail et à la mise en place d’un cadre d’action publique d’éducation populaire sur du temps libre permettant à la jeunesse de retrouver ce goût du bonheur qu’elle semble avoir sensiblement perdu ces dernières années, voire décennies. C’est en ce sens qu’il nous faut envisager et construire un véritable pacte pour la jeunesse, en plaçant l’humain d’abord.
REFERENCES |
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↑1 |
« La jeunesse face aux défis du Covid-19 : soigner les maux, protéger les droits, redessiner l’avenir », commission d’enquête parlementaire, rapport d’information no 3703, déc. 2020. |
↑2 |
« Les impacts du confinement et de la crise sanitaire sur la jeunesse. Constats, initiatives locales, préconisations », étude de la Banque des territoires, sept. 2020. |
↑3 |
IFOP, enquête « Nouvelle Vague » citée dans la Fracture de Frédéric Dabi, éd. Les Arènes, 2021. L’enquête souligne que « 58 % des 18-30 ans déclarent avoir été concernés depuis le début de la crise du coronavirus par un sentiment de déprime ou de dépression », dont 62 % des femmes, contre 53 % des hommes, 64 % de moins de 20 ans et 71 % des lycéens majeurs, hommes et femmes. |
↑4 |
Rapport d’information no 3703, ibid. |
↑5 |
Frédéric Dabi, la Fracture, éd. Les Arènes, 2021, p. 34. |
↑6 |
Frédéric Dabi, op.cit., p. 22. |
↑7 |
Entretien avec Anne-Marie Métailié paru dans les Jeunes et le premier emploi. Association des âges, 1978. |
↑8 |
Formulation citée et reprise dans l’article « La jeunesse n’est-elle qu’un mot ? », in Alternatives économiques, no 345, 1er avril 2015. |
↑9 |
Tom Chevalier et Sébastien Grobon, « Où va la politique de jeunesse en France ? », in Revue française des affaires sociales, 2019/2. |
↑10 |
Fr. Dabi, op. cit., p. 30. |
↑11 |
Loi no 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. |
↑12 |
Le 15e baromètre IPSOS / Secours Populaire de septembre 2021 montre par exemple que 62 % des jeunes de moins de 25 ans n’ont pas pu partir ni en vacances ni en week-end en 2021. À Paris, environ 13 % des jeunes Parisiennes et Parisiens ne partent jamais en vacances |
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