Au lieu de la facture envoyée après un passage à l'hôpital, un nouveau dispositif entre en vigueur ce 1er janvier. Avec des conséquences directes pour les Français sans mutuelle et le personnel soignant.
SANTÉ - La mesure a été officialisée il y a de longs mois, mais elle s’apprête à entrer en vigueur dans la discrétion la plus totale. À partir du 1er janvier, lors d’un passage aux urgences, chaque patient qui ne sera pas hospitalisé dans la foulée devra régler sur place une somme d’un peu moins de 20 euros.
Un changement notable alors que jusqu’à présent, il fallait attendre plusieurs semaines pour recevoir une facture à son domicile, laquelle variait en fonction des actes pratiqués à l’hôpital (simple consultation, tel ou tel examen, une batterie de tests...) et était prise en charge par les complémentaires santé dont bénéficient 95% des Français.
L’évolution contenue dans ce nouveau dispositif baptisé “forfait patient urgences” réside dans l’instauration d’un tarif unique et plafonné pour chaque passage aux urgences non suivi d’hospitalisation (19,61 euros pour 2022). Un montant minoré à 8,49 euros pour les femmes enceintes de plus de cinq mois et les personnes atteintes par une affection longue durée (formes graves d’épilepsie, AVC invalidant, infection au VIH pour donner quelques exemples). Et pour les enfants victimes de sévices, les victimes de terrorisme et les malades du Covid soignés dans le cadre de l’urgence sanitaire, ils sont même exemptés des frais.
Des difficultés logistiques à l’hôpital
Cette réforme n’est pas inattendue puisqu’elle découle des travaux menés en 2019 à la demande d’Édouard Philippe par le député LREM de la Charente et ancien urgentiste Thomas Mesnier avec le professeur spécialiste des urgences hospitalières Pierre Carli. D’ailleurs, ce dispositif, annoncé en octobre 2020 et voté dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2021, aurait dû entrer en vigueur dès septembre. Il a cependant été retardé à la demande de la Fédération hospitalière de France (FHF) du fait des complexités informatiques qu’il engendre pour les hôpitaux ainsi que d’un contexte budgétaire spécifique lié à la pandémie de coronavirus.
Sauf que ce nouveau système interroge dans le milieu de la santé: “Très concrètement, le 31 décembre, si tu arrives aux urgences, tu es pris en charge et tu repars sans payer. Dès le 1er janvier, après t’avoir pris en charge, on te demande 19 euros”, résume après du HuffPost un employé d’hôpital.
Dès lors, une première critique revient, de source hospitalière: celle de la difficulté de la mise en œuvre de ce nouveau fonctionnement pour les structures. “Les services d’urgence ne sont pas adaptés à l’encaissement de paiements: il faut des lecteurs de carte vitale, de la monnaie, des lecteurs de carte bleue...”, explique un connaisseur de ces problématiques.
Le tiers payant simplifie la donne
Aurélien Sourdille, de la Fédération hospitalière de France confirme cette difficulté logistique pour certains établissements. “La nuit par exemple, il n’y a pas toujours de secrétaires médicaux. Il y a des infirmiers et des aide-soignants, qui sont avant tout là pour les soins, et dont ce n’est pas la mission première de passer une carte bleue.” De la même manière, explique-t-il, les hôpitaux ne sont pas “des supermarchés où il faut passer à la caisse”, et il n’y a pas forcément de bureau de sortie suffisamment confidentiel dans lequel les patients pourront régler leur facture.
Néanmoins, ce cadre de FHF nuance en expliquant que ce nouveau fonctionnement va permettre d’éviter une part de la déperdition de trésorerie liée aux factures non réglées par les patients passés aux urgences, à qui il est parfois impossible d’envoyer ce qu’ils doivent régler parce qu’ils sont partis trop vite, qu’ils sont étrangers, trop précaires... “Aujourd’hui, la plupart des impayés à l’hôpital sont liés aux urgences, là c’est terminé”, décrit-il. Le député Thomas Mesnier abonde: ”À l’heure actuelle, seuls 30% du reste à charge des passages aux urgences vont dans les caisses des hôpitaux tant la facturation est difficile à faire.”
Surtout, 95% environ des Français disposent d’une complémentaire santé ou d’une aide équivalente (la complémentaire santé solidaire pour les petits revenus ou l’aide médicale d’État pour les plus précaires). Ce qui signifie que toute cette partie de la population pourra faire jouer le tiers payant au moment de régler ses 19,61 euros aux urgences et donc ne rien avoir à payer en dépit du nouveau système. Il leur faudra présenter leur carte vitale et leur carte de mutuelle, ce qu’on n’a pas toujours sur soi lorsqu’on arrive aux urgences après une blessure sur un terrain de sport ou un accident de la circulation.
Le public risque de découvrir cette nouveauté sur le fait
Il reste aussi les 5% de la population, qui peuvent être des retraités ou des chômeurs par exemple (la complémentaire santé est obligatoire pour une vaste majorité de salariés), et qui ont fait le calcul suivant: payer une mutuelle leur reviendrait plus cher que ce qu’ils dépensent en frais médicaux. Et pour eux, à partir du 1er janvier 2022, il faudra effectivement passer à la caisse s’ils viennent aux urgences.
Or dans ce cas, le personnel hospitalier pourrait avoir à avoir à gérer un public pas forcément au courant de cette évolution du fonctionnement des urgences. “Le 1er janvier, ce sont des agents des admissions, en première ligne donc, qui vont devoir expliquer qu’à partir de maintenant, c’est payant. Et gérer la grogne qui va avec”, anticipe une source en milieu hospitalier, évoquant de surcroît le contexte de sur-sollicitation des urgences et leur manque de moyens encore dénoncés jeudi 16 décembre au Sénat par le médecin François Escat.
Or alors que le nouveau système va entrer en fonction dans quelques jours se pose la question de l’absence de communication de la part des autorités sur le sujet. Sollicités par Le HuffPost, ni le ministère de la Santé ni l’entourage du Premier ministre Jean Castex n’ont apporté de précision à ce propos. Le député Thomas Mesnier, lui, évoque pour expliquer cette non-communication une mesure essentiellement “techno” (comprendre technocratique, qui concernerait surtout le milieu médical et donc pas directement le grand public).
Vers une communication locale
Aurélien Sourdille apporte un élément d’analyse: “Je pense qu’il y a effectivement une sous-estimation de la part du gouvernement de ce que le nouveau forfait représente pour les établissements hospitaliers. Et en même temps, pour 95% des patients, cela ne change rien du tout.” Tant et si bien que pour le cadre de la FHF, le plus simple est que les établissements communiquent à leur niveau, avec leurs patients, en leur présentant les atouts du nouveau dispositif et notamment sa lisibilité évidente.
Une source hospitalière se demande toutefois quelles conséquences pratiques le forfait patient urgences peut avoir sur la santé des Français. “Il y a sûrement des gens qui n’iront plus aux urgences par peur de devoir payer, alors qu’il le faudrait.” Et cette même source de rappeler qu’au cours de l’entretien accordé à LCI mercredi 15 décembre, le président de la République a insisté sur le fait “qu’il était vigilant à l’impact de ses décisions sur la vie des Français”.
Mais pour Thomas Mesnier, le “forfait patient urgence” reste quand même une avancée majeure. “Honnêtement, je n’en fais même pas un objet politique: c’est une vraie réforme de simplification”, explique l’élu charentais. ”À l’heure actuelle, si l’on passe des examens en plus de la consultation lors d’un passage aux urgences, la facture peut monter. Et beaucoup. Alors que là, la facture va être plus juste, plus équitable, plus simple à comprendre.”
Ce que confirme Aurélien Sourdille, de la Fédération hospitalière de France: “Avant, les services hospitaliers devaient attendre de connaître tous les actes pour savoir de combien serait la facture. Là, c’est simplifié à l’extrême et l’on sait immédiatement combien le patient doit régler. Et dans la plupart des cas, c’est sa mutuelle qui paiera.” Et pour ceux qui n’en ont pas, ce sera donc au personnel médical de gérer la transition d’un dispositif à l’autre.
commenter cet article …