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24 décembre 2021 5 24 /12 /décembre /2021 07:03
Gabriel Boric, ou l’ascension express vers la présidence chilienne - Vadim Kamenka, L'Humanité, 20 décembre 2021
Gabriel Boric, ou l’ascension express vers la présidence chilienne
Lundi 20 Décembre 2021

Le 11 mars prochain, le candidat de la coalition de gauche Apruebo Dignidad deviendra le plus jeune président chilien. Droits sociaux, réforme constitutionnelle, lutte contre les inégalités : à 35 ans, il entend métamorphoser le pays.

 

À 35 ans, Gabriel Boric marque déjà l’histoire. Avec ses fines lunettes, sa barbe épaisse et sa peau tatouée, le candidat de la coalition de gauche Apruebo Dignidad (« J’approuve la dignité ») a immédiatement promis être « le président de tous les Chiliens et les Chiliennes », devant des dizaines de milliers de personnes venues célébrer sa victoire dans le centre de Santiago. Face à l’immense foule, où flottaient des drapeaux chiliens, indigènes et arc-en-ciel (de la communauté LGBTQI +), Gabriel Boric y a tenu un discours rappelant les points forts de son programme : plus de droits sociaux, la suppression des retraites par capitalisation et des fonds de pension, la mise en place d’un système de santé universel, la défense du droit des femmes, la protection de l’environnement.

L'incarnation d'une nouvelle génération

Son élection confirme une volonté populaire de rompre avec l’héritage de la dictature d’Augusto Pinochet de 1974 à 1990. Ses premiers combats politiques remontent à dix ans en arrière, lorsqu’il étudiait le droit sur les bancs de l’université à Santiago. Gabriel Boric participe pleinement au mouvement de lutte étudiante de 2011. Cette mobilisation a réuni l’ensemble des étudiants et élèves de tous les établissements publics et privés du Chili pour réclamer une réforme du système d’éducation avec une véritable participation de l’État pour mettre un terme aux inégalités. L’éducation n’étant pas un privilège mais un droit, répétera-t-il durant sa campagne. Trois ans plus tard, Gabriel Boric obtient le siège de député de la région de Magallanes. En 2017, il participe à la création de la coalition Frente Amplio (Front large).

Icon Quote Garantir un État providence afin que chacun ait les mêmes droits, quel que soit l’argent qu’il a dans son portefeuille. Gabriel Boric

Originaire de Punta Arenas, dans l’extrême sud du Chili en Patagonie, qui est l’une des villes les plus australes du monde sur les rives des eaux glacées du détroit de Magellan, il incarne une nouvelle génération. Celle-ci a surmonté la peur de la répression et réinvesti l’espace public de manière radicale : la remise en cause du modèle économique ultralibéral légué par Augusto Pinochet. «  Si le Chili a été le berceau du néolibéralisme, il sera aussi son tombeau », affirmait le nouveau président en juillet, au soir de sa désignation à la tête de la coalition, Apruebo Dignidad, devant le communiste Daniel Jadue.

Poursuivre le « processus constituant »

À l’issue du scrutin présidentiel, Gabriel Boric s’installera donc, le 11 mars, au palais de la Moneda, à l’âge minimal requis pour occuper le poste de chef de l’État. Tout semble aller très vite pour l’aîné de la fratrie composée de trois frères, qui ont grandi aux portes de l’Antarctique dans une famille votant pour les partis socialiste et démocrate-chrétien. À l’AFP, il promet d’instaurer au Chili « quelque chose qui, en Europe, paraît assez évident : garantir un État providence afin que chacun ait les mêmes droits, quel que soit l’argent qu’il a dans son portefeuille ».

Gabriel Boric a également rappelé, durant toute sa campagne, qu’il poursuivra le « processus constituant », principal acquis du mouvement social contre les inégalités de 2019. Une assemblée a été élue en mai dernier et travaille sur l’écriture d’une nouvelle loi fondamentale, afin de remplacer celle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet. Le nouveau président a fait campagne pour le oui à une nouvelle Constitution lors du référendum de 2020, largement soutenu par plus de 80 % des électeurs. Face à cette rapide ascension, Gabriel Boric exhortait ses soutiens : « Si, dans le futur gouvernement, nous commettons des erreurs, mobilisez-vous, aidez-nous à redresser le cap. 

Présidentielle au Chili : le peuple se déleste des oripeaux de la dictature
Mardi 21 Décembre 2021

À l’issue d’une campagne difficile contre José Antonio Kast, l’héritier d’Augusto Pinochet, le candidat de gauche Gabriel Boric l’emporte avec 55,87 % des voix. La Constituante pourra ainsi mener ses travaux à bien. Sans majorité parlementaire, le chemin s’annonce toutefois étroit.

 

La « place de la Dignité » n’a jamais aussi bien porté son nom. La place d’Italie, ainsi renommée par le mouvement social historique de 2019, où les Chiliens se sont massés pour porter les exigences de réformes sociales, a vu, dimanche, affluer une foule autant animée par l’espoir que soulagée de voir José Antonio Kast, le sinistre héritier du dictateur chilien Augusto Pinochet, défait à l’issue du second tour de la présidentielle.

Un combat en forme de revanche

Le nouveau président de gauche, Gabriel Boric, en a fait son antienne : « Si le Chili est le berceau du néolibéralisme, il sera aussi son tombeau. » Un combat en forme de revanche pour les enfants de Salvador Allende qui avaient vu la libéralisation et les privatisations imposées par le sang. « Notre génération est entrée dans la vie publique en exigeant que nos droits soient reconnus comme tels et ne soient pas traités comme des biens de consommation », a martelé l’ancien leader étudiant et député du Frente Amplio (Front ample), allié au Parti communiste, lors d’une première adresse à la foule. Une référence à l’éducation, à la santé, aux retraites et à tous ces biens communs laissés aux appétits du secteur privé depuis la dictature. « Nous allons défendre un système public autonome, à but non lucratif, et sans fonds de pension privés », a-t-il poursuivi.

À 35 ans, Gabriel Boric devient ainsi le plus jeune président du Chili. « El pueblo unido jamás será vencido » (Le peuple uni ne sera jamais vaincu) : le slogan qui remontait, dimanche, de l’Alameda, l’artère principale qui mène au centre de la capitale, renvoie à l’histoire des luttes nationales. Comme un présage, ce 16 décembre, l’annonce de la mort, à 99 ans, de Lucía Hiriart de Pinochet, la veuve du Caudillo, a vu déferler des manifestations de joie spontanées sur cette même place de la Dignité, désormais cœur vibrant du Chili en construction. Symbole des oripeaux que trente ans de démocratie n’auront suffi à liquider, « la Vieille », telle qu’elle était surnommée, n’a jamais été convoquée devant les tribunaux malgré son rôle clé dans le régime militaire.

Le Chili s’est réveillé

L’euphorie qui a accompagné la victoire de Gabriel Boric (55,87 % des suffrages) contre José Antonio Kast (44,13 %), malgré la mobilisation de la bourgeoisie, est à la hauteur du cycle entamé par le pays il y a deux ans. « Chile despertó ! » (Le Chili s’est réveillé), assurait alors la jeunesse, ouvrant la voie, un an plus tard, à une Constituante majoritairement de gauche, approuvée par référendum et appelée à enterrer la Loi fondamentale léguée par Pinochet. Le désir de rupture est puissant et balaye aujourd’hui la dernière carte des milieux d’affaires en la personne de José Antonio Kast. Face à la déroute du président de droite sortant, Sebastian Pinera, pris dans le scandale des Pandora Papers, les classes dominantes – à la manière de leur alter ego brésilien Jair Bolsonaro – n’ont pas hésité à miser sur l’extrême droite pour préserver leurs privilèges qui menacent de vaciller avec la Constituante.

Icon QuoteL’espoir l’a emporté sur les campagnes de peur. Gabriel Boric

Dimanche soir, les drapeaux chiliens le disputaient aux bannières des peuples autochtones, des féministes ou de celles de la communauté LGBTQI +. Et c’est dans la langue autochtone du peuple mapuche que Gabriel Boric a salué ses partisans. Insupportable aux yeux des tenants de l’ordre ancien, incarné par José Antonio Kast. Jouant à fond la carte de la lutte contre le terrorisme dans le Sud, le narcotrafic et la délinquance, le zélote du pinochétisme a toutefois offert une image affable et aimable pour rallier largement. « Aujourd’hui, l’espoir l’a emporté sur les campagnes de peur », s’est félicité Gabriel Boric à l’issue d’une campagne particulièrement difficile et marquée par l’anticommunisme.

Jamais José Antonio Kast n’a évoqué ses positions anti-avortement dans un Chili où une majorité de la population y est désormais favorable. Lui s’accroche à la sainte Trinité – patriarcat, religion et austérité. Il entendait ainsi supprimer le ministère de la Femme, accorder les aides sociales aux seules mariées, et privatiser la Codelco, géant chilien du cuivre et dernière entreprise détenue à 100 % par l’État. Sa stratégie consistait à laisser le terrain du conflit social au candidat progressiste, à déguiser son néofascisme en promesse de paix. Digne représentant du Rechazo, c’est-à-dire des opposants à la Convention constitutionnelle, son élection menaçait pourtant de torpiller le processus en cours.

Le pari est gagné

L’enjeu de ce deuxième tour était donc celui de la mobilisation des abstentionnistes, des jeunes, des femmes et des classes moyenne et populaire. Pari gagné : 55,6 % des électeurs se sont déplacés dimanche, contre 47 % au premier tour. Dans un pays polarisé à l’extrême, le jeune dirigeant promet d’être « le président de tous les Chiliens ». Gabriel Boric, qui doit prendre ses fonctions le 11 mars, n’aura pas la tâche aisée. À l’issue des élections parlementaires de novembre, aucune majorité claire ne se dessine. Le nouveau président devra jouer serré pour avancer sur ses réformes, au moins dans un premier temps.

Car, si la nouvelle Constitution est adoptée à l’issue des travaux de l’Assemblée en juillet 2022, les institutions seront de fait caduques et de nouvelles élections devront être convoquées dans la foulée. Le temps pour la gauche de se mettre en ordre de bataille. La droite veille, et Gabriel Boric le sait. « Les temps qui viennent ne seront pas faciles », prédit-il. Et pas seulement parce que, à la veille du second tour, les images de policiers saluant, poing contre poing, les militants fascistes de José Antonio Kast, lors d’une manifestation, en disent long sur les forces qui composent le « camp de l’ordre ».

Ne pas relâcher les efforts

L’autre défi est financier. Avec un budget de l’État en baisse de 22,5 % par rapport à 2021, Gabriel Boric se veut rassurant, promet de rester dans les clous et d’être « fiscalement responsable ». « Une croissance économique fondée sur les inégalités sociales a des pieds d’argile, prévient-il cependant, en insistant sur ses engagements environnementaux. Seule la cohésion sociale peut nous diriger vers un développement soutenable et véritable. » Durant la campagne, le journal conservateur El Mercurio faisait ses choux gras de la prévision de la banque états-unienne Morgan Stanley d’une « récession technique » qui frapperait le Chili en 2022, du fait d’une « politique monétaire stricte et d’un environnement des affaires incertain avant le vote constitutionnel ». La menace est claire : la gauche ne disposera d’aucune marge de manœuvre financière.

Ainsi, Gabriel Boric a-t-il exhorté tous les secteurs mobilisés durant la dernière décennie à ne pas relâcher les efforts : « Je tiens à vous dire que votre engagement ne doit pas s’épuiser après l’élection. Il doit se renforcer durant notre gouvernement », a-t-il lancé à l’adresse de ses soutiens. Avant d’esquisser une ébauche de la participation qu’il entend faire vivre : « Mon engagement est de prendre soin de la démocratie au quotidien, une démocratie de fond, où les quartiers et les organisations sociales ont un rôle moteur, car sans le peuple, il n’y a pas de démocratie. » De la place de la Dignité au palais de la Moneda, une nouvelle page s’écrit.

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