Place du Colonel-Fabien à Paris, l’exposition « Libres comme l’art » regroupe cent cinquante œuvres qui nous parlent des rapports de plus d’un siècle entre le PCF et l’avant-garde artistique et culturelle.
C’est de circonstance. Aux cimaises de l’espace Niemeyer, place du Colonel-Fabien à Paris, un tableau de facture très réaliste représente un habit vide de président de la République, debout devant une bibliothèque, avec les médailles et breloques afférentes à la fonction. Peint en 1969, alors que les dix ans du général de Gaulle ont suffi, il porte le titre du texte de Sade intitulé « Français, encore un effort si vous voulez devenir républicains », dans lequel il fustige la religion et l’état « moral » des hommes, qui n’est qu’un état de « paix et de tranquillité », quand leurs état immoral, selon ses termes, « est un état de mouvement perpétuel qui les rapproche de l’insurrection nécessaire dans laquelle il faut que le républicain tienne toujours le gouvernement dont il est membre ». On se dit que ce tableau ne pourrait trouver meilleure place. Il appartient d’ailleurs à la fédération de Paris du PCF.
Il fait partie des cent cinquante œuvres exposées ici, avec un peu de retard en raison de la crise sanitaire, à l’occasion de la création du PCF en 1920 et rassemblées sous le titre « Libres comme l’art », soit cent ans d’histoire entre les artistes et le PCF. Tout au long de ce siècle, écrit dans sa préface au catalogue Pierre Laurent, président du Conseil national du PCF et artisan de l’exposition, avec les commissaires Yolande Rasle et Renaud Faroux, « révolutions artistiques et engagement communiste n’ont cessé de s’entrecroiser et de se féconder, et cela dès la première décennie de l’existence du jeune PCF avec les surréalistes ». L’art devait donc, dit-il, tenir une place centrale dans cet anniversaire, avec la possibilité de s’appuyer sur le fonds d’œuvres de la collection du parti lui-même, de la fédération de Paris et de quelques autres, mais aussi sur des prêts de particuliers ou d’institutions.
Des œuvres « totémiques »
Pour autant, ces rapports ne furent pas sans complexité et l’exposition en témoigne amplement. Réalisme socialiste, figuration, abstraction… L’engagement de nombre d’artistes ne prend pas les mêmes chemins selon l’époque ou les mouvements. Les textes de Yolande Rasle et Renaud Faroux sont précieux pour s’y retrouver dans la diversité des artistes, des courants et des œuvres.
À la une des « Lettres françaises », dirigées par Aragon, un portrait de Djamila Boupacha, militante du FLN algérien arrêtée et torturée, et dont le procès était devenu celui des méthodes d’une partie de l’armée française.
Certaines sont, si l’on peut dire, totémiques. Ainsi l’une des « Joconde à moustache » de Marcel Duchamp, offerte à Georges Marchais par Aragon avec ce commentaire, « ce tableau représente toute une partie de ma vie », habituellement en dépôt au Centre Pompidou auquel le PCF l’a prêtée. C’est le cas aussi de la tapisserie de Fernand Léger avec le poème « Liberté », d’Éluard, décrochée de son mur dans l’un des étages de l’immeuble. De Picasso sont exposés ici une plaque de cuivre gravée, représentant Marcel Cachin, directeur de « l’Humanité » de 1918 à sa mort en 1958, deux dessins représentant Ethel et Julius Rosenberg accusés d’espionnage et exécutés aux États-Unis en 1953, malgré une large campagne d’opinion dans le monde et particulièrement en France. On voit aussi, à la une des « Lettres françaises », dirigées par Aragon, un portrait de Djamila Boupacha, militante du FLN algérien arrêtée et torturée, et dont le procès était devenu celui des méthodes d’une partie de l’armée française.
Picasso, bien sûr, dont l’adhésion au PCF en 1944 avait été un événement. Sa figure, aujourd’hui, domine la période. L’affaire du portrait de Staline à sa mort en 1953, qu’il avait réalisé à la demande d’Aragon pour « les Lettres françaises », est évoquée dans le catalogue. Elle avait donné lieu à une campagne de critiques organisée par une part de la direction du PCF, visant en réalité Aragon et, à travers lui, Maurice Thorez lui-même alors à Moscou. Dans cette même période toutefois, d’autres peintres sont aussi très en vue dans un registre différent.
Fougeron, l’expression de la souffrance du peuple
L’une des peintures les plus impressionnantes de l’exposition, par sa taille et sa force, est « la Mort de Danielle Casanova » par Boris Taslitzky. Déporté lui-même à Buchenwald, il avait pu en rapporter des dessins exceptionnels par leur maîtrise et leur valeur de témoignage. Il s’est appuyé sur eux pour faire de la mort de la résistante communiste, en 1943, à Auschwitz, une œuvre poignante. Avec « les Parisiennes au marché », André Fougeron, comme avec ses multiples portraits de mineurs, veut évoquer le quotidien des ouvriers, du peuple. On parle trop facilement, à leur propos, de réalisme socialiste. On peut y voir aussi une forme d’expressionnisme puisant dans l’histoire de la peinture. Étals de poissonneries dans la peinture flamande. Visions de l’enfer.
On peut voir dans l’exposition des tableaux de Kijno, Roberto Matta, Jean Messagier, André Marfaing.
Dans les années qui suivront, l’abstraction n’est pas, quels que soient les débats à son propos, une voie occultée. « Les Lettres françaises » vont soutenir clairement nombre d’artistes. On peut voir dans l’exposition des tableaux de Kijno, Roberto Matta, Jean Messagier, André Marfaing dont les deux tableaux en noir et blanc ici présentés n’ont rien à envier à qui que ce soit. D’autres se situent à la croisée des chemins. « La Prison grise », d’André Masson, est une toile remarquable par sa sobriété et son écriture graphique donnant le sentiment que, où que l’on se tourne, on ne trouve que barreaux et portes fermées, couloirs qui ne mènent nulle part. Le peintre l’a réalisée alors qu’il rendait régulièrement visite à son fils, emprisonné pour son activité militante contre la guerre d’Algérie.
« C’est un scandale »
Plus près de nous, des œuvres surprennent. De Julio Le Parc, qui a pour l’essentiel créé des œuvres dites cinétiques, alliant lumière et mouvement, on découvre « Nul ne sera soumis à la torture », de 1972, d’un réalisme violent, serrant la gorge. Avec le mouvement dit de la figuration narrative, dans les années soixante-dix, on pénètre dans le fouillis d’images de l’artiste Erró avec « America », un amalgame de dollars, de bombardiers, de figurines grimaçantes connues ou non, de crânes humains alignés. C’est dans cette partie que l’on rencontre Peter Klasen avec une « Vénus mécanique », Valerio Adami, Gilles Aillaud, Pierre Buraglio au bord de l’épure ou citant « la Peste », de Poussin, Leonardo Cremonini, Antonio Recalcati, Eduardo Arroyo, Henri Cueco, Gérard Schlosser, jouant avec l’hyperréalisme et la peinture de Fernand Léger dans un même tableau de 2007, « Vers 6 heures… »
Et puis Mark Brusse dont on avait vu une rétrospective il y a quelques années à Dunkerque, Roger Somville, Bernard Rancillac avec « Femme d’Alger », un visage derrière une grille et des broussailles… Et aussi Hervé Di Rosa, Ernest Pignon-Ernest avec ses affiches de Pasolini, des photos également, et des feuilles des dessinateurs de « Charlie Hebdo », Charb, Wolinski, qui ne rataient jamais une Fête de l’Huma, et puis… « C’est un scandale ». Une œuvre de 2020, du grapheur Jerk 45. De circonstance. Quelle histoire.
Catalogue de l’exposition, éditions de l’Atelier, 256 pages, 36,90 euros.
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