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7 décembre 2021 2 07 /12 /décembre /2021 06:31
15 décembre 1941 : 69 fusillés au Mont-Valérien - Bernard Fréderick, L'Humanité, 4 décembre 2021
15 décembre 1941 : 69 fusillés au Mont-Valérien
Samedi 4 Décembre 2021

Jamais la France occupée n’avait connu un tel carnage. À l’été, les communistes sont passés à la lutte armée ; depuis, la répression allemande s’abat sans mesure.

 

Dans le « carré national » du cimetière de Neuilly-sur-Seine se trouvent 12 tombes. Ce sont celles de 12 des 69 fusillés du Mont-Valérien, le 15 décembre 1941. Ce jour-là, 95 otages furent passés par les armes en France : 69 au Mont-Valérien, 13 à Caen, 9 à la Blisière, près de Châteaubriant, 4 à Fontevraud.

« Politique des otages »

À Neuilly, 9 tombes sont anonymes. Sur les 3 autres, des noms sont inscrits : ceux de Gabriel Bigot, Maïer Zauberman, émigré juif polonais, François Carcedo, un responsable de l’Université ouvrière, proche du PCF. Tous les trois sont communistes, comme ceux qui tomberont le même jour. Lucien Sampaix, journaliste et secrétaire général de « l’Humanité », à Caen ; Gabriel Péri, député d’Argenteuil et éminent rédacteur de politique internationale à « l’Humanité » ; Israël Bursztyn, journaliste également et administrateur du quotidien communiste en yiddish « Naïe Presse » (la Presse nouvelle).

La veille de cette fusillade, la plus massive depuis le début de l’Occupation et de la mise en œuvre, en août 1941, de « la politique des otages », le 14 décembre, Otto von Stülpnagel, le chef du Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF, commandement militaire allemand en France, installé à l’hôtel Majestic à Paris), a fait placarder sur les murs un « avis » :

Icon QuoteCes dernières semaines, des attentats à la dynamite et au revolver ont de nouveau été commis contre des membres de l’Armée allemande. Ces attentats ont pour auteurs des éléments, parfois même jeunes, à la solde des Anglo-Saxons, des juifs et des bolcheviques et agissant selon les mots d’ordre infâmes de ceux-ci. Des soldats allemands ont été assassinés dans le dos et blessés. En aucun cas, les assassins n’ont été arrêtés.

Pour frapper les véritables auteurs de ces lâches attentats, j’ai ordonné l’exécution immédiate des mesures suivantes :

I. Une amende d’un milliard de francs est imposée aux juifs des territoires français occupés ;

II. Un grand nombre d’éléments criminels judéo-bolcheviques seront déportés aux travaux forcés à l’Est. Outre les mesures qui me paraissent nécessaires selon le cas, d’autres déportations seront envisagées sur une grande échelle si de nouveaux attentats venaient à être commis ;

III. Cent juifs, communistes et anarchistes, qui ont des rapports certains avec les auteurs des attentats, seront fusillés » (1).

Exécutions collectives

Les fusillades du 15 décembre 1941, si elles étaient nouvelles par leur ampleur et par leurs « innovations », comme on le verra, prenaient la suite d’un cortège déjà assez conséquent d’exécutions collectives d’otages. Le 6 septembre 1941, 3 au Mont-Valérien ; 5 à Lille, le 15 septembre et 20, le 26 septembre ; 27 à ­Châteaubriant le 22 octobre, 16 à Nantes et 5 au Mont-Valérien, le même jour ; 50 otages au camp de Souge, le 24 octobre.

Au total, d’après le dictionnaire des fusillés  du « Maitron » (2), sur les 243 otages qui tombèrent de septembre à décembre 1941, on recense 154 communistes non juifs, 56 juifs, dont une majorité de communistes, 17 considérés comme gaullistes, 4 reconnus coupables de violences contre des soldats, 5 pour détention illégale d’armes.

Dès le 15 août 1941, plusieurs jours avant que Pierre Georges, le futur Colonel Fabien, n’exécute au métro Barbès un officier allemand, le MBF avait menacé de la peine capitale tous ceux qui se rendraient coupables de « menées communistes ». Comme le note l’historienne Gaël Eismann, membre du conseil scientifique du Mémorial de Caen, « si on ne néglige aucune facette de la politique répressive conduite sous l’autorité du MBF, il apparaît que le processus de radicalisation de la répression allemande en France occupée ainsi que son orientation politico-raciste se sont manifestés très nettement avant la vague d’attentats individuels inaugurée, le 21 août 1941, par l’assassinat de l’aspirant de marine Moser et, à bien des égards, avant même le déclenchement encore hésitant de la lutte armée communiste au début du mois de juillet 1941 » (3).

À partir de juillet 1941, les Allemands procèdent à des milliers d’arrestations de communistes dans toute l’Europe occupée. En France, l’« ­Aktion ­Theoderich » conduit à l’internement de plus de 1 000 militants. Le 19 août, sur ordre du MBF, les affaires relatives aux « menées communistes » sont transférées aux tribunaux militaires allemands. Le 13 août, une manifestation avait eu lieu à la station de métro parisienne Strasbourg-Saint-Denis, à l’initiative des Jeunes communistes ; deux d’entre eux, arrêtés sur les Grands Boulevards, allaient être fusillés 19 août, à la Vallée-aux-Loups à Châtenay-Malabry : Samuel Tyszelman et Henri Gautherot.

À la demande d'Hitler

De juin 1940 à l’été 1941, on comptait 50 fusillés après condamnation à mort. L’été 1941 marquait un tournant. Les Allemands allaient se passer de la justice, même caricaturale, derrière laquelle ils se retranchaient pour réprimer en dehors de tout cadre légal. Le MBF annonce « qu’à partir du 23 août, tous les Français mis en état d’arrestation, que ce soit par les autorités allemandes en France, ou qui sont arrêtés par les Français pour les Allemands, sont considérés comme otages. En cas de nouvel acte, un nombre d’otages, correspondant à la gravité de l’acte commis, sera fusillé. (…) Pour le choix des personnes dont l’exécution est proposée, il y a lieu de veiller qu’elles appartiennent (sic), autant que possible, à l’entourage des auteurs identifiés ou présumés des attentats » (4).

Le 16 septembre, à la demande d’Hitler, le ­Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel, chef du Haut Commandement militaire allemand (OKW, l’organe de commandement suprême des forces armées allemandes) fixe par décret le ratio à 50 ou 100 communistes exécutés pour un soldat allemand tué. En France, les règles sont fixées le 28 septembre par Otto von Stülpnagel dans un « Code des otages ».

« Des juifs communistes connus »

Les critères de sélection sont simplissimes : les communistes. Pour la première fois, en décembre 1941, on y ajoute les juifs, en précisant cependant, comme le fait lors d’une réunion le major Crome, en octobre 1941, « des juifs, et parmi eux essentiellement des juifs communistes connus » (5). Et ce sera le cas, puisque, sur les 53 détenus juifs extraits du camp de Drancy pour être fusillés au Mont-Valérien le 15 décembre 1941, la grande majorité (6) sont des militants communistes, membres pour certains de l’Organisation spéciale (OS), des Bataillons de la jeunesse ou de la section juive du PCF clandestine ou anciens des ­Brigades en Espagne, comme le jeune médecin de la Pitié-­Salpêtrière Alje Zajdorf.

Dans l’esprit des Allemands, les exécutions d’otages devaient à la fois faire peur et soulever l’indignation des Français face aux « crimes » de « judéo-bolcheviques ». Ce fut le contraire. Dans un rapport daté du 27 décembre 1941, quelque temps après les exécutions de la mi-décembre, on peut lire que « devant cette situation, les dirigeants communistes ont décidé de réagir énergiquement et d’exploiter au maximum l’indignation de la population. (…) Ils vont (…) tenter d’entraîner tous les Français à s’associer à leur action terroriste en les incitant à venger les victimes innocentes de la répression allemande et à venger les assassins. Cette propagande risque de trouver des échos favorables dans les milieux sociaux en raison du mécontentement et de l’hostilité que provoquent les méthodes de répression des autorités allemandes, et il faut s’attendre à une recrudescence des actes de terrorisme » (7).

« Dans le secret le plus absolu »

Otto von Stülpnagel lui-même alerte ses supérieurs sur les dégâts politiques de la « politique des otages ». Désapprouvé par Keitel, il démissionnera en février 1942. Mais von Stülpnagel n’en est pas pour autant un humaniste. Il proposait de remplacer ou de compléter les exécutions d’otages par des déportations massives à destination des prisons du Reich ou des camps d’internement. Le MBF fut comblé le 7 décembre 1941, quand le maréchal Keitel fit promulguer le décret Nacht und Nebel (NN, « Nuit et Brouillard ») sur la déportation, « dans le secret le plus absolu », par les auteurs d’actes que les tribunaux militaires ne pouvaient rapidement condamner à mort et exécuter.

C’est aussi sous von Stülpnagel que le Mont-­Valérien, situé à Suresnes au sud-ouest de Paris, devint, dès le mois de juin 1941, le principal lieu d’exécution en France. On y fusille d’abord les condamnés à mort par les tribunaux militaires allemands : 61 exécutions en 1941, plus de 200 en 1942, environ 180 en 1943 et plus de 180 autres durant les huit premiers mois de l’année 1944. Ce sera ensuite le tour des otages. Sur plus de 730 personnes exécutées en France de septembre 1941 à octobre 1943 dans le contexte de la « politique des otages », plus de 370 ont été mises à mort à Suresnes, soit un otage sur deux.

Les femmes étaient décapitées

Aujourd’hui 1 008 noms sont inscrits sur le monument du souvenir en forme de cloche en bronze, œuvre du sculpteur Pascal Convert, inauguré le 20 septembre 2003 par le premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin.

Mille huit noms. Tous des hommes. Les Allemands ne fusillaient pas les femmes, elles étaient envoyées dans le Reich et étaient décapitées. « 80 % des exécutés (résistants et otages) étaient communistes », indique Georges Duffau-Epstein, fils de Joseph Epstein, le légendaire Colonel Gilles, chef de l’ensemble des FTP de la région parisienne, lui-même fusillé le 11 avril 1944 au Mont-Valérien (8). Les Français d’origine représentaient 79 % des victimes, les juifs 17 %, naturalisés français ou d’autres nationalités ; les 4 % restants étaient des étrangers.

Dans la crypte du Mont-Valérien reposent 17 dépouilles de « Morts pour la France ». Parmi eux, deux compagnons de l’ordre de la Libération, rejoints le 11 novembre 2021 par Hubert Germain, une déportée, deux femmes engagées dans la Résistance, des combattants issus de l’armée régulière et des troupes coloniales – un tirailleur sénégalais, un soldat marocain, un soldat tchadien, un soldat tunisien. Tous censés représenter l’ensemble de la France combattante. Il n’y a aucun résistant communiste, ni français ni immigré.


(1) Avis reproduit dans « le Livre des otages. La politique des otages menée par les autorités allemandes d’occupation en France de 1941 à 1943 », de Serge Klarsfeld. Les Éditeurs français réunis, 1979.
(2) « Les Fusillés (1940-1944). Dictionnaire biographique des fusillés et exécutés par condamnation et comme otages ou guillotinés en France pendant l’Occupation », sous la direction de Claude Pennetier, Jean-Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu. Éditions de l’Atelier, 2015. Voir aussi le site https://fusilles-40-44.maitron.fr, qui le prolonge et le complète.
(3) « Représailles et logique idéologico-répressive. Le tournant de l’été 1941 dans la politique répressive du commandant militaire allemand en France », de Gaël Eismann, dans « Revue historique », 2014/1 (n° 669).
En ligne : https ://www.cairn.info/revue-historique-2014-1-page-109.htm.
(4) Dominique Tantin, « 1941-2021. Quatre-vingtième anniversaire des premières grandes exécutions d’otages ».
En ligne : https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article186137.
(5) Gaël Eismann, article cité.
(6) Vingt-quatre, selon la liste des fusillés du 15 décembre 1941 dans « la Résistance communiste en France. Le Mémorial », de Pierre Maury.
Le Temps des cerises, 2006.
(7) Cité par Denis Peschanski et Thomas Fontaine dans « la Politique des otages sous l’Occupation ».
En ligne : www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/la-politique-des-otages-sous-loccupation.
(8) Voir http://familles-de-fusilles.com/maille.


  • EXPOSITION

« (Dé)construire les mémoires. Récits, pratiques et acteurs au Mont-Valérien, de la Seconde Guerre mondiale à nos jours », Jusqu’à fin janvier 2022. Mémorial du Mont-Valérien, avenue du Professeur-Léon-Bernard, 92150 Suresnes.
Infos et réservations : info@mont-valerien.fr et www.mont-valerien.fr
Le catalogue de l’exposition présente l’état des recherches et regroupe l’ensemble des archives dévoilées dans l’exposition.

  • LIVRE

« Mont-Valérien, un lieu d’exécution dans la Seconde Guerre mondiale. Mémoires intimes, mémoire nationale », ouvrage collectif préfacé par Robert Badinter. Éd. Ouest-France, 2021. Richement iconographié, il présente les dernières recherches, études et analyses du principal lieu d’exécution d’otages et de résistants condamnés à mort en France. S’y ajoutent les portraits de 20 fusillés qui gravent ces histoires tragiques personnelles dans la Grande Histoire.

15 décembre 1941 : 69 fusillés au Mont-Valérien - Bernard Fréderick, L'Humanité, 4 décembre 2021
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