Piégés à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, des migrants sont abandonnés dans des conditions épouvantables. Les ONG évoquent une crise humanitaire. L’UE confirme sa politique de la forteresse.
Les images sont insoutenables, de ces hommes, femmes et enfants, emmitouflés comme ils peuvent, dans un froid glacial, qui font face à des militaires polonais postés derrière des fils de barbelés, déterminés à leur barrer le passage. Entre 3 000 et 4 000 migrants, originaires principalement d’Irak, sont ainsi immobilisés à la frontière UE-Biélorussie. Au moindre mouvement en avant, ils sont arrosés de gaz lacrymogène et se font refouler. S’ils reculent, ils se heurtent aux forces de l’ordre biélorusses qui veillent à les maintenir sur place. Les ONG évoquent une crise humanitaire en cours alors que les températures chutent en dessous de zéro, et appellent à une désescalade pour aider les migrants. Au moins 11 personnes sont mortes, rapportent ces organisations.
Les Occidentaux accusent le Biélorusse Alexandre Loukachenko d’avoir délibérément orchestré la crise. « Attirer les migrants en profitant de leur fragilité est une des choses les plus faciles au monde. Les mettre en scène, en plaçant des femmes, des enfants et des bébés devant les gardes-frontières, n’est pas très compliqué non plus. L’objectif est de déstabiliser l’UE », a fustigé le vice-président de la Commission européenne Margaritis Schinas. Les ministres des Affaires étrangères de l’UE se réunissent aujourd’hui en vue d’élargir les sanctions imposées à la Biélorussie à la suite de sa répression contre les opposants de Loukachenko, qui dirige le pays depuis près de trente ans. Sont visées les compagnies aériennes, les agences de voyages et les fonctionnaires « qui participent au trafic de migrants vers la Biélorussie », a averti le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell. « Loukachenko s’est trompé. Il croyait qu’en ripostant de cette façon, il allait nous tordre le bras et faire annuler les sanctions. C’est tout le contraire qui se produit », a-t-il déclaré au Journal du dimanche.
Vladimir Poutine mis en cause
Les pressions diplomatiques semblent déboucher. La Turquie interdit désormais aux Irakiens, aux Syriens et aux Yéménites de se rendre en Biélorussie. La compagnie aérienne syrienne privée Cham Wings Airlines interrompt également ses vols vers Minsk. En Irak, la compagnie privée Fly Baghdad aurait également suspendu ses vols vers cette direction. Les dirigeants occidentaux regardent aussi, et surtout, vers la Russie, soupçonnée de couvrir l’opération biélorusse. Directement mis en cause, le président russe, Vladimir Poutine, a pointé dans un premier temps la responsabilité des pays européens dans l’accélération des flux migratoires . « C’est de leur propre faute. Politique, militaire et économique. Ils ont eux-mêmes créé les conditions pour que des milliers et des centaines de milliers de personnes arrivent. Maintenant, ils cherchent des coupables sur qui rejeter la responsabilité de ce qu’il se passe », a-t-il martelé dans une émission sur la chaîne de télévision Rossiya. Il serait à présent disposé à contribuer à la résolution de la crise. « Nous sommes prêts à faire tout ce que nous pouvons, s’il y a quelque chose que nous pouvons faire », promet-il.
L’Europe cautionne du même coup le discours xénophobe et anti-migrants du gouvernement polonais.
La Pologne durcit le ton de son côté. Varsovie met en garde contre des flux plus importants dans la foulée de la réunion de l’UE. La police a indiqué sur Twitter que 50 migrants qui ont traversé samedi la barrière ont tous été arrêtés. Le pays verrait bien une fermeture complète de la frontière avec la Biélorussie . « Toute la communauté (européenne) devrait contribuer à la construction d’un mur », souhaite le premier ministre Mateusz Morawiecki.
L’UE se prépare ainsi à faire corps pour défendre sa frontière. Les dirigeants se répandent en déclarations de fermeté et autres promesses de sanctions sans jamais évoquer l’urgence humanitaire. Pas la moindre parole d’indignation devant ces milliers de personnes abandonnées à leur triste sort dans des conditions de vie épouvantables. Comment imaginer que des solutions ne puissent pas être trouvées pour 3 000 migrants, poussés par le désespoir et pions dans le bras de fer entre deux régimes totalitaires, en situation de détresse à l’arrivée du grand froid ? L’Europe cautionne du même coup le discours xénophobe et anti-migrants du gouvernement polonais. Elle confirme sa politique de la forteresse et encourage les prises de position de toutes les extrêmes droites à travers le continent. Un mur est d’ores et déjà bien là, celui de la honte. Seule empreinte de dignité : la solidarité discrète de citoyens biélorusses et polonais qui viennent en aide aux familles de migrants dans l’obscurité des forêts.
« Un adolescent âgé de 14 ans vient de mourir à la frontière polonaise… »
Par Isabelle Carré Actrice
Un adolescent âgé de 14 ans vient de mourir à la frontière polonaise. Je ne sais pas de quoi il est mort, sans doute d’hypothermie, car le froid devient plus humide et glacial au fil des jours, et l’aide humanitaire, les secours y sont interdits. Combien d’enfants vont perdre la vie là-bas dans les prochaines semaines ? Quel drame attendons-nous encore pour protester ? Une image choc ? Comme celle de ce petit garçon sur la plage, une joue contre le sable, qui a l’air de rêver ? Mais c’est nous qui dormons. Avons-nous vraiment besoin de ce genre de détails pour nous réveiller ? Voir le bulletin trimestriel cousu dans la veste d’un autre adolescent retrouvé noyé – sa mère ayant pensé qu’avec ses bonnes notes, on l’accueillerait à bras ouverts…
Je sais que je ne suis pas la seule à me dire alors : si c’était mon fils ? Les infos se succèdent sur nos téléphones portables, rien de plus simple que de les oublier… Il faut qu’un prêtre de 72 ans mette sa vie en danger, et qu’un couple fasse la grève de la faim à ses côtés pour nous rappeler qu’en France, on confisque les biens des candidats pour l’Angleterre, couvertures, réchauds de fortune… tout en empêchant les distributions de repas organisées par les associations.
Ici ou en Biélorussie, le sort de ces femmes, de ces hommes et de leurs enfants ne peut plus nous laisser indifférents. Les instances européennes, les dirigeants s’accordent à dénoncer l’instrumentalisation politique dont ces familles sont victimes. Mais s’ils souffrent et meurent, se heurtent à des murs barbelés, nous ne pleurerons pas, ils ne sont après tout que des « migrants ».
Les Polonais sont prêts à débloquer 353 millions d’euros pour ériger des murs plus sophistiqués. Des murs détectant les mouvements de ceux qu’ils considèrent être « les nouvelles armes d’une guerre hybride ». Partout en Europe, ils sont devenus les principaux arguments électoraux que l’on ne cesse d’agiter telle une menace grandissante, quasi incontrôlable… Ils sont quelques centaines de corps épuisés dans des forêts ; ils sont aussi ce garçon qui témoigne à la télévision, visage caché pour que ses parents au loin continuent d’ignorer son désespoir ; ce petit sur cette plage qui a l’air de dormir ; et ce bon élève dont la mère avait foi en l’avenir. »
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