Révélée en 2019 dans « Papicha », de Mounia Meddour, Lyna Khoudri est à l’affiche du nouveau film de l’Américain Wes Anderson, « The French Dispatch ». D’Aubervilliers à Hollywood, une actrice en pleine ascension se raconte. Entretien.
Plus jeune, à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, où elle a grandi, elle s’entraînait à « faire des discours avec des télécommandes ». Un soir de février 2020, c’est devant un prestigieux parterre mais sans télécommande que Lyna Khoudri a remercié, d’une voix à la fois bizarrement tremblante et assurée, ses parents et la cinéaste Mounia Meddour. Celle qui se sent « encore adolescente » venait d’être sacrée césar du meilleur espoir féminin pour son rôle dans « Papicha ».
Une pandémie mondiale et une poignée de films (« Gagarine », « Hors normes ») plus tard, la jeune femme de 29 ans s’est déjà imposée comme l’un des visages présents et futurs du cinéma français. Comme son mentor Marion Cotillard avant elle, Lyna Khoudri n’a pas tardé à attirer les projecteurs hollywoodiens.
Lors du dernier Festival de Cannes, la comédienne partageait le tapis rouge avec Bill Murray, Tilda Swinton ou encore Adrien Brody pour présenter « The French Dispatch », de Wes Anderson. Un film où, dans l’un des chapitres de l’histoire, elle prête ses traits à Juliette, une jeune révolutionnaire bornée, en plein Mai 68, face aux superstars Frances McDormand et Timothée Chalamet. Pour cette fille d’Algériens communistes arrivés en France en 1994, l’avenir ne fait donc que commencer.
Que partagez-vous avec Juliette, votre personnage dans « The French Dispatch » ?
Lyna Khoudri Comme moi, c’est une personne déterminée, du genre têtue, qui va au bout de son histoire. Juliette remet toujours tout en question. Elle ne va jamais vers la facilité. Ça peut être insupportable, mais ces gens sont intéressants parce qu’ils font avancer le débat. Elle porte toujours un casque. Je le vois comme une métaphore : elle a la tête dure et on ne peut pas rentrer dedans.
Jouer me procure tant de plaisir que je ne réfléchis plus à l’énergie que ça me demande.
Que ce soit dans « The French Dispatch », « Papicha » ou « Gagarine », les personnages que vous interprétez sont toujours en mouvement, moteur de l’action. Voyez-vous des points communs entre ces rôles ?
Lyna Khoudri Il y a un fil rouge : ce sont des femmes qui ont des choses à dire. Elles sont indépendantes, fortes, et avec un parcours original. Mais elles sont toutes très différentes. Dans « Papicha », c’est une jeune créatrice de mode. Dans « Gagarine », c’est une jeune femme aux cheveux rouges qui vit dans un camp de Roms et qui vend de la ferraille. Et Juliette est une révolutionnaire. Je ne suis pas certaine qu’elles pourraient s’entendre entre elles, mais ce sont elles qui font ressortir l’énergie que j’ai au fond de moi. Toute mon adolescence, j’ai été comme elles. Maintenant, à 29 ans, je me pose davantage. C’est le moment de ma vie où jouer me procure tant de plaisir que je ne réfléchis plus à l’énergie que ça me demande.
Vous vous décrivez comme « engagée ». Qu’est-ce qui vous révolte aujourd’hui ?
Lyna Khoudri Le réchauffement climatique. On ne peut plus faire semblant. La génération d’avant nous a prévenus : c’est maintenant ou jamais. C’est mon combat parce qu’il y a urgence. Mais, politiquement, plein de choses me déplaisent. Par exemple, pour revenir à « Gagarine », film pour lequel j’ai passé beaucoup de temps avec les Roms, j’ai vu à quel point la société les rejetait.
L’Internationale était l’une de mes berceuses, c’est toute ma jeunesse.
Dans « Madame Figaro », vous dites : « Je ne me définis par aucun courant politique, je n’en ai pas besoin. Mais si je dis à mon père que je suis autre chose que communiste, ça peut partir dans des discussions sans fin. » Que vous reste-t-il de votre héritage communiste ?
Lyna Khoudri J’en suis fière. Ce sont mes racines, j’ai grandi dans cet environnement. « L’Internationale » était l’une de mes berceuses, c’est toute ma jeunesse. Il me reste les grandes valeurs du communisme à son âge d’or : le partage et la solidarité. Je n’ai pas fait les Jeunesses communistes, mais mon père m’a transmis cela : se soucier de l’autre en face de soi. Si je lui dis que j’ai voté pour un autre parti que le PCF, il va devenir fou ! Mais ce sont ses convictions. Aujourd’hui, je ne me reconnais nulle part. Je suis de gauche, mais la gauche m’énerve. La politique ne m’intéresse même plus… J’ai fait beaucoup d’actions humanitaires et associatives, c’est une autre forme d’engagement. L’acte est politique, car la politique n’est pas l’apanage des partis.
« The French Dispatch » est votre premier film américain. Comment se prépare-t-on à tourner avec Wes Anderson ?
Lyna Khoudri Au début, j’étais très stressée. J’ai rencontré Wes à Angoulême et on a commencé directement à travailler sur les costumes. Et puis j’ai revu tous ses films. Ça m’a beaucoup servi à comprendre le monde dans lequel il veut nous projeter, ce qu’il a dans la tête et comment il a évolué, de « Bottle Rocket », son premier long métrage, à « The French Dispatch ». Il reste l’essence de ce qu’il veut montrer : le rythme, les textes alambiqués, les grands sujets comme l’amour et la famille, l’humour et une subtile touche politique.
Vous affirmez avoir besoin que rien ne vous échappe. Comment se passe la rencontre entre une actrice qui a besoin de tout contrôler avec un autre obsédé du contrôle, Wes Anderson ?
Lyna Khoudri Je me laisse porter parce que j’ai trouvé pire que moi ! C’est un maître en la matière. J’ai passé des heures, fait cinq ou six allers-retours pour choisir mon costume. Parfois juste pour essayer une paire de chaussures ! C’est un plaisir de travailler avec des gens qui portent autant d’attention aux détails que moi.
On vous décrit comme le futur du cinéma français. N’est-ce pas trop lourd à porter ?
Lyna Khoudri Je sais qu’on parle de moi, mais je garde de la distance. J’espère ne décevoir personne, mais je ne fais pas ce métier pour plaire aux gens, mais pour m’amuser. Ça me plaît de mettre des belles robes et d’aller au Festival de Cannes, mais ce n’est pas ma partie préférée du job. Je préfère être sur un plateau de cinéma.
Entretien réalisé par Emilio Meslet