Mobilisés depuis le début de la pandémie, certains praticiens diplômés hors de l’Union européenne (Padhue) ne pourront plus continuer à exercer leur métier dès janvier 2023.
Une angoisse quotidienne. Psychiatre dans un hôpital public en Occitanie, Farid (1), 40 ans, a enclenché un compte à rebours dans sa tête. Praticien à diplôme hors Union européenne (Padhue), il risque de se retrouver, comme des centaines de ses confrères, contraint de quitter son poste en janvier 2023. Pour ces maillons vitaux de la chaîne de santé, le décret d’application de la loi du 24 juillet 2019 est tombé comme un couperet durant l’été 2020 : les professionnels ne pouvant pas justifier de deux ans d’activité entre le 1er janvier 2015 et le 30 juin 2021 doivent rendre la blouse au 31 décembre 2022.
Les mêmes compétences qu’un professionnel inscrit à l’ordre des médecins
En pleine pandémie, cette décision a cloué Farid sur place. « J’ai commencé à travailler en février 2020, donc ça ne fera pas deux ans à cette date, soupire-t-il, amer. Nous avons été réquisitionnés dans le cadre du plan blanc. Nous avons fait face à des patients dans l’impossibilité de respecter les gestes barrières, au risque de contaminer nos familles. J’ai fait le choix d’émigrer ici avec ma femme et ma fille. Je me sens désormais en totale insécurité, face à un mur. Certains collègues ont acheté des maisons, se sont endettés pour s’installer en France. Nous voulons donc une dérogation pour continuer. »
Praticien attaché et associé, Farid a les mêmes compétences qu’un professionnel inscrit à l’ordre des médecins. « Nous menons les consultations, réalisons des entretiens familiaux et faisons des gardes, précise-t-il. Nous sommes qualifiés , même si nous ne pouvons pas, par exemple, délivrer des certificats médicaux. Nous avons été applaudis au 20 heures et , maintenant, nous ne pourrions plus exercer notre passion ? D’autant que, dans mon hôpital, il y a des postes vacants et des départs en retraite prévus. Qui va les remplacer ? »
« Nous sommes mal payés »
Pour Dhiaa Hai, 32 ans, pharmacienne de formation, c’est la double peine. Arrivée en 2019, elle se retrouve pourtant prise au piège. Attachée de recherche clinique en CDI, elle a quitté son poste en novembre 2020 pour un CDD de pharmacienne à l’hôpital Saint-Louis à Paris. Mais sa première expérience n’entre pas, hélas, dans le cadre du décret. « Si j’avais été infirmière, ces mois de travail entre 2019 et 2020 auraient compté, dénonce la jeune femme. Je suis divorcée, seule avec un enfant de 10 ans. Je dois renouveler mes papiers, mais, en janvier 2023, je risque de me retrouver sans rien, alors que mon chef m’a signé une attestation montrant l’importance de ma présence dans le service ! » Les raisons de la colère sont nombreuses : « Nous sommes mal payés : je gagne 2 000 euros alors que mes collègues avec des diplômes européens touchent plus de 3 000 euros », déplore-t-elle.
L'EVC, une minuscule porte de sortie
Pour Dhiaa, le retour en Algérie serait une source de stress. Ingénieure de recherche, puis titulaire d’une thèse en sciences, elle a poursuivi ses études en France et a très peu exercé dans son pays d’origine. Comme ses compagnons de galère, elle n’a jamais compté ses heures au pic de la crise. « En tant qu’attachée de recherche clinique, j’ai parfois préparé des dossiers jusqu’à deux heures du matin, pour que les hôpitaux soient inclus dans les essais cliniques sur le Covid », martèle-t-elle.
Pour ces médecins, seule une minuscule porte de sortie s’offre à eux : passer un examen de vérification des compétences (EVC). Mais ce concours est ultra-sélectif. « En pharmacie, il y a deux postes dans toute la France pour cinquante aspirants. J’ai 1 % de chance de le réussir », pointe Tarek Mahdi, 30 ans, praticien attaché en biochimie endocrinienne à la Pitié-Salpêtrière depuis novembre 2019. « En plus, ces places sont aussi ouvertes à l’international, donc à d’autres praticiens qui n’ont pas des contrats à temps plein comme nous et peuvent préparer ce concours ! assène-t-il. Nous risquons de nous retrouver au chômage, alors qu’il y a des besoins énormes et que j’ai plein de projets de recherche en cours. Pendant ce temps, le gouvernement regarde tout cela depuis le mont Olympe… »
« Sans nous, les services ferment »
Alors que le sous-effectif médical est endémique dans le pays, les 22 000 Padhue sont un des piliers empêchant l’édifice de s’écrouler. « Rien que dans mon établissement, situé dans l’Aisne, nous sommes treize. Sans nous, les services ferment », glisse Brahim Zazgad, psychiatre responsable de deux unités et président du Supadhue (syndicat d’union des Padhue), non concerné par la date butoir de janvier 2023. Encouragé par le climat nauséabond actuel, l’exécutif a même décidé d’un nouveau tour de vis : « Nous avons besoin d’une autorisation de travail pour pouvoir renouveler le titre de séjour, mais il est en ce moment de plus en plus dur de l’obtenir auprès de l’agence régionale de santé. Des collègues vont se retrouver en situation irrégulière plus vite que prévu », s’alarme Tarek Mahdi.
Le 21 septembre, la CGT et le Supadhue ont organisé un sit-in devant le ministère de la Santé pour exiger une solution digne. « Il faut faire sauter ces deux années d’activité nécessaires ! tranche Laurent Laporte, secrétaire de l’Ufmict-CGT, précisant que la plupart de ces soignants ont déjà la nationalité française. Si on leur a fait confiance jusque-là, il n’y a pas de raison de ne pas continuer. Certains sont même chefs de pôle dans des hôpitaux. Ils sont en plus exploités jusqu’au trognon, avec des bas salaires pour équilibrer les budgets des structures. La discrimination sur leurs origines n’a jamais cessé ! » Les Padhue en sursis comptent aussi sur un projet de loi déposé à l’été 2020 pour reconnaître leur dévouement durant la crise et leur délivrer la fameuse autorisation de plein exercice. Pour l’heure, Olivier Véran fait toujours la sourde oreille.
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