« L’usager ne s’y retrouve ni en matière de qualité de service ni en matière de prix », pointe Julien Lambert. Le syndicaliste, qui appelle à un retour de la maîtrise publique et à une réforme fiscale, passe aussi au crible les modèles publiés par le RTE, les enjeux du nucléaire... ENTRETIEN
Le Réseau de transport d’électricité (RTE) vient de publier six scénarios (lire ci-dessous) de transition vers une neutralité carbone en 2050 qui ont des impacts différents sur le prix de l’électricité. Lequel a votre préférence ?
JULIEN LAMBERT, PORTE-PAROLE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES MINES ET DE L’ÉNERGIE FNME-CGT
Sur les six scénarios, un est 100 % énergies renouvelables, mais ne dit rien de comment on pallie l’intermittence de ces énergies. Si on prend en compte le facteur prix, qu’il s’agisse de la production, du transport et de la production d’électricité, c’est le recours au nucléaire qui permet la meilleure maîtrise. De notre point de vue, cela conforte la nécessité que le gouvernement s’engage dans le renouvellement du parc nucléaire alors que la loi énergie-climat fixe des objectifs de fermeture de centrales. Il y a besoin d’unités de production pilotables. Le renouvellement du parc avec des réacteurs pressurisés européens (EPR) de type 2 permettra de faire face aux défis du réchauffement climatique.
Dans l’immédiat, il y a besoin de maintenir les installations actuelles. La fermeture de Fessenheim a réduit la marge de sécurité en termes de capacité de production pour répondre aux besoins des usagers. Outre une électrification accrue du mix énergétique, le RTE mise sur une réduction de la consommation énergétique globale de 1 600 à 960 térawattheures (un térawattheure équivaut à 1000 milliards de wattheures – NDLR). Cela nous paraît optimiste.
Cet objectif ne vous paraît donc pas atteignable ?
JULIEN LAMBERTAujourd’hui, la puissance de gaz consommée est équivalente à la puissance électrique qui dépasse les 500 térawattheures par an. Si on développe l’usage de l’hydrogène, il faudra bien produire de l’électricité pour en fabriquer. Il y a besoin de réfléchir à la complémentarité des énergies. Comment combine-t-on le recours à l’électricité au biogaz, à l’hydrogène ? Ces questions doivent être abordées.
L’EPR a connu d’importants dépassements de coûts et des retards. Préoccupée par ces problèmes, la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT s’était opposée à ce qu’EDF s’engage dans la construction d’EPR à Hinkley Point, au Royaume-Uni. Qu’est-ce qui explique que vous êtes aujourd’hui favorable à la construction de nouveaux EPR ?
JULIEN LAMBERT
Le coût de l’EPR a été clairement sous-estimé. Les difficultés rencontrées sur le chantier démontrent l’enjeu de maintenir les compétences de la filière nucléaire qui ont été mises à mal par le passé. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de reproduire le même EPR à l’identique, mais de construire un EPR de type 2 qui tienne compte du retour d’expérience de la construction du premier modèle. Le nouvel EPR doit être plus rationnel, mieux maîtrisé en termes de construction et ne pas être surdimensionné.
On évoque les 12 milliards d’euros du coût de l’EPR, mais, derrière, il y a la construction d’une véritable filière industrielle. L’éolien et le solaire ont absorbé 140 milliards d’euros d’aide sans en construire une seule. Enfin, quel est l’apport des uns et des autres au mix énergétique et à la consommation finale ? Le nucléaire, c’est 48 % des capacités de production et 70 % de la consommation finale. L’éolien et le solaire ne pèsent que 2 % de la consommation finale.
Le président de la République semble miser sur les petits réacteurs. Qu’en pensez-vous ?
JULIEN LAMBERTJe ne mettrai pas cela en opposition avec la relance de l’EPR. Cependant, je ne suis pas sûr que ce type de réacteur soit adapté à notre réseau électrique dont le maillage est très dense. Le recours à de petits réacteurs est sans doute plus adapté à des territoires où tout reste à faire en termes d’infrastructures. Partons de l’existant et faisons-le évoluer selon nos besoins. Enfin, on ne sait rien du coût de ces petits réacteurs et de leur intérêt économique.
Le prix de l’électricité bat des records. À plusieurs reprises, le mégawattheure a passé la barre des 200 euros sur le marché spot. En même temps, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique garantit un tarif de rachat de 42 euros le mégawattheure aux fournisseurs d’électricité que l’on dit inférieur au coût de production. Quel est le juste prix de l’électricité ?
JULIEN LAMBERT
Vaste question. En payant sa facture d’électricité, l’usager s’acquitte de taxes, mais aussi des coûts de transport et de distribution. Disons que si nous étions toujours dans le cadre d’un monopole et d’une entreprise intégrée, le prix serait calculé sur la base des coûts de production, de transport et de distribution. Actuellement, chaque filière de production d’électricité est indépendante et son prix est fixé selon le prix des énergies primaires. Le prix de référence est celui de la dernière unité de production mise en service, qui est souvent le plus onéreux et qui détermine le prix du marché de gros. Il s’agit la plupart du temps du gaz dont le prix augmente en raison de la demande mondiale, mais aussi de la hausse du prix de la tonne de CO2.Il y a besoin de remettre à plat la fiscalité sur l’énergie. Nous demandons que la TVA soit abaissée à 5,5 %. Il est nécessaire aussi de reconsidérer la contribution au service public de l’électricité. En moyenne, le financement du solaire et de l’éolien coûte 60 euros. Alors que la facture moyenne est de 1 456 euros, nous estimons qu’une réforme de la fiscalité pourrait l’abaisser de 400 euros.
Le gouvernement dit souhaiter que le prix de l’électricité soit déconnecté du prix du gaz. Vous donne-t-il raison ?
Il nous donne en partie raison. Le gouvernement ne veut pas sortir du marché. Il veut le réformer en déconnectant le prix de l’électricité de celui du gaz et lui substituer sans doute une autre référence. Pour notre part, nous regrettons qu’il ne revienne pas sur la fin des tarifs réglementés de l’électricité pour les entreprises et la fin des tarifs réglementés du gaz.On voit les conséquences aujourd’hui de la libéralisation avec les usagers qui sont passés à des offres du marché et qui, demain, seront sur des tarifs dynamiques du marché. La fin des tarifs réglementés, c’est l’envolée des factures avec ses conséquences en matière de précarité énergétique ou de difficultés économiques pour les entreprises consommatrices. L’entreprise intégrée maîtrisait l’ensemble des coûts. Cela lui permettait de garantir des prix stables. On a créé un marché de toutes pièces. Aujourd’hui, l’usager, qu’il soit particulier ou entreprise, ne s’y retrouve ni en matière de qualité de service ni en matière de prix. L’électricité ne doit pas être considérée comme une marchandise. Il y a besoin d’une maîtrise publique.
Quelle forme lui donner ? Peut-on avancer l’idée d’une renationalisation ?
JULIEN LAMBERT
Auparavant, nous parlions de pôle public pour essayer de concilier les acteurs. Maintenant, nous parlons de service public. Il faut revenir à des opérateurs nationalisés avec une gestion démocratique.
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