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12 novembre 2021 5 12 /11 /novembre /2021 06:49

Des millions de familles peinent à se chauffer. Pour alerter sur les conséquences sociales, sanitaires et écologiques qui en découlent, la Fondation Abbé-Pierre s’associe à 19 partenaires pour faire de ce 10 novembre la Journée contre la précarité énergétique.

Certains allument le chauffage quand la température des chambres tombe sous les 14 degrés. D’autres sont contraints de choisir entre manger et payer leur facture d’électricité. La précarité énergétique concerne aujourd’hui en France 12 millions de personnes, prises en étau entre logements mal isolés et hausse des prix de l’énergie.

1. Une urgence sociale

Concrètement, cela signifie qu’elles n’arrivent pas à se chauffer correctement en hiver faute de moyens et/ou d’un logement bien isolé. Cela signifie que deux familles sur dix consacrent plus de 8 % de leurs revenus aux dépenses d’énergie. Ils sont même 53 % à devoir restreindre leur consommation d’énergie, au risque d’avoir froid, pour limiter leur facture énergétique. En 2019, le nombre de sollicitations d’étalement des factures auprès du médiateur de l’énergie a bondi de 17 % par rapport à l’année précédente et 280 000 coupures d’électricité pour impayés ont été effectuées. « Si, en 2020, le nombre de coupures a un peu baissé du fait de l’allongement de la trêve hivernale (durant laquelle les coupures ne sont pas autorisées), on constate depuis 2021 une forte augmentation », précise Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre.

 

Une situation qui risque encore de s’aggraver avec l’augmentation du prix du gaz, de l’électricité et du fioul, depuis le début de l’année. « Le chèque de 100 euros ne compense pas du tout l’augmentation du prix de l’énergie, note Christophe Robert. Il faudrait, dans un premier temps, une aide substantielle de l’ordre de 700 euros pour aider les 2,3 millions de ménages modestes à régler leurs factures. » Durant la dernière décennie, la précarité énergétique s’est accrue en même temps que la pauvreté. Le coût de l’énergie, évalué aujourd’hui à 1 600 euros par an et par foyer en moyenne, n’a cessé de croître. Améliorer la qualité thermique des logements est une solution efficace pour regagner confort et pouvoir d’achat, mais pas forcément accessible aux plus précaires, freinés par le reste à charge qu’ils ne peuvent assumer. « Il faudrait arriver à une prise en charge intégrale de la rénovation pour ceux qui vivent dans des passoires énergétiques mais ne peuvent pas payer 5 000 à 10 000 euros pour isoler leur logement », explique le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Sachant que l’habitat pavillonnaire représente plus de la moitié des logements français et que l’essentiel des maisons individuelles construites avant 1975 sont très consommatrices en énergie, le parc à rénover est colossal.

2. Des conséquences délétères sur la santé

La précarité énergétique a des conséquences sur la santé des personnes, tant sur le plan physique que moral. « Les plus précaires qui n’arrivent pas à se chauffer se cachent. Ils ont honte de leur situation, ce qui les rend d’ailleurs difficiles à repérer et à aider », illustre Jean-Pierre Goudard, coprésident du Cler-Réseau pour la transition énergétique, qui l’a constaté à Grandris (Rhône), le village dont il est maire. Outre les problèmes psychiques liés à l’isolement social, souffrir du froid en hiver et de la chaleur en été favorise les allergies et les maladies respiratoires chroniques. Les risques d’accident augmentent quand des expédients ou des appareils défectueux sont utilisés. La santé des personnes qui doivent choisir entre se chauffer et manger correctement est aussi mise à mal, tout comme celle des personnes qui renoncent à des soins faute de moyens. Selon un calcul du collectif Rénovons !, la remise aux normes de toutes les passoires thermiques permettrait d’économiser 800 millions d’euros de dépenses de santé.

3. Un désastre sur le plan climatique

Si les transports restent le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre sur le territoire français, les bâtiments représentent 20 % de ces émissions, le fioul et gaz étant encore largement utilisés. « L’impact climatique des maisons si mal isolées que leurs occupants chauffent autant l’extérieur que l’intérieur est désastreux. Sans un vrai programme de rénovation, il sera impossible d’atteindre la neutralité carbone en 2050 », prévient Anne Bringault, coordinatrice des programmes au Réseau Action Climat.

Le problème, c’est que les occupants des logements les moins performants énergétiquement seront ceux qui risquent de souffrir le plus du réchauffement climatique, via l’augmentation des épisodes caniculaires et des phénomènes météorologiques violents. L’enjeu climatique se cumule donc avec l’enjeu de justice sociale, à l’échelle globale, mais aussi européenne. «  La transition énergétique ne peut se résumer à une augmentation du prix de l’énergie carbonée, qui pénalise les plus pauvres, plaide Anne Bringault . Il faut absolument que ces publics soient prioritaires en ce qui concerne la rénovation énergétique, sinon ils subissent une double peine intolérable. »

4. Des subventions publiques difficilement accessibles

Difficile de s’y retrouver dans la jungle des aides à la rénovation du logement. Pourtant, celles-ci représentent 4 milliards d’euros par an, répartis sur une quinzaine de dispositifs. Mais, pour les précaires qui ne savent pas à qui s’adresser, il est quasiment impossible d’en bénéficier. « La prime Rénov’ , par exemple, n’est accessible que via Internet. Les victimes de la fracture numérique ne peuvent y accéder  », regrette Jean-Pierre Goudard. Pour pallier ce problème, le Réseau des acteurs contre la pauvreté et la précarité énergétique dans le logement (Rappel) et le service local d’insertion pour la maîtrise de l’énergie (Slime) mobilisent un millier de travailleurs sociaux pour repérer et accompagner les ménages vivant dans des passoires énergétiques. Depuis trois ans, 52 000 foyers ont été aidés. «  On fait du porte-à-porte pour repérer les personnes en grande précarité, qui n’ont pas forcément conscience que rénover leur logement peut leur permettre de faire des économies et ne savent pas qu’elles peuvent être accompagnées », précise Jean-Pierre Goudard. Mais ce dernier reconnaît que les moyens mis en œuvre pour multiplier ces dispositifs d’accompagnement sont encore largement insuffisants.

Ces programmes ont aussi pour mission de déployer une ingénierie financière pour mobiliser toutes les aides exceptionnelles possibles afin d’absorber les 10 à 20 % de reste à charge, une fois les subventions usuelles acquises. Autre solution : convaincre les banques d’accorder plus de prêts sur la base des économies futures. «  Une rénovation performante permet de diviser par 4 à 8 les factures de chauffage. On pourrait imaginer des prêts bancaires dont les mensualités n’excèdent pas la facture d’énergie d’avant rénovation. Une famille qui payait 200 euros de factures payerait 150 euros de remboursement de prêt et 50 euros pour sa consommation énergétique », avance Vincent Legrand, directeur général de Dorémi, une entreprise à but d’intérêt général, qui aide à la rénovation des maisons individuelles.

5. Des rénovations partielles inefficaces

Adosser le financement des rénovations aux économies futures ne peut fonctionner que si ces dernières sont effectives. Le problème, c’est que 75 % des travaux de rénovation énergétique ne permettent même pas d’améliorer le classement énergétique des habitations (une maison classée F ou G n’atteint pas la classe E)… En cause : la mauvaise qualité des travaux effectués, faute d’artisans compétents. Et aussi des rénovations réalisées au coup par coup, non de manière globale. Les aides cumulées sont plus importantes si les ménages les sollicitent séparément. Ce qui ne produit aucun résultat tangible sur les factures de chauffage. « Sans rénovation globale, en isolant l’ensemble du bâtiment, les murs, le toit, en changeant les menuiseries, mais aussi la chaudière et le système de ventilation, on ne peut espérer des résultats probants », prévient Vincent Legrand. Sylvain, retraité de 65 ans, peut en témoigner. Confronté à un problème d’isolation de l’humidité, une chaudière énergivore et une toiture dégradée, il a fait le choix de tout rénover. « On ne voulait pas peler de froid l’hiver . » Remplacement de toutes les fenêtres par du double vitrage, pose d’une chaudière à condensation à basse température, pose de 14 centimètres de laine de roche pour isoler les murs et rénovation de la toiture. Le couple a bénéficié de 8 000 euros d’aides sur un total de 30 000 euros de travaux, dont le paiement a été étalé sur plusieurs années. Aujourd’hui, ils ne regrettent en rien l’investissement, d’autant qu’ils « consomment moins ». Leur facture mensuelle de gaz a été divisée de plus de la moitié, passant de 260 à 105 euros, et ce en chauffant davantage leur logement.

6. Des ambitions à réévaluer

La loi du 8 novembre 2019, relative à l’énergie et au climat, impose un seuil maximal de consommation énergétique, au-delà duquel un logement doit être considéré comme indécent. Le gouvernement l’a fixé à 500 kWh/m2/an, à partir du 1er janvier 2023. Cette limite est jugée si faible qu’un nombre limité de passoires thermiques seront interdites à la location à cette date. Aucune sanction n’est prévue pour les propriétaires bailleurs proposant des logements indécents. Leur imposer des amendes dès 2025 pourrait pourtant permettre d’abonder un fonds de soutien aux locataires les plus en difficulté.Enfin, pour que les sommes considérables investies dans la rénovation énergétique atteignent leurs objectifs, il faudrait que les pouvoirs publics ne les considèrent pas uniquement comme un instrument de soutien au secteur du bâtiment. La mise en place d’un réel système de contrôle des travaux permettrait que ceux-ci bénéficient aux occupants des logements et servent l’intérêt général à travers la préservation du climat. Un changement de paradigme.

Faire de l’accès à l’énergie un droit constitutionnel

Pour la CGT, si l’accès à l’énergie est à ce point entravé aujourd’hui, c’est d’abord à cause de la confiance aveugle qui a été placée dans les prétendues vertus du marché. « Vingt ans de libéralisation du secteur ont abouti au doublement du prix du gaz, et à une hausse presque similaire pour l’électricité, souligne Fabrice Coudour, secrétaire fédéral FNME-CGT, chargé de l’action revendicative. Or, 10 % de hausse aboutissent à 400 000 personnes de plus en situation de précarité énergétique. » Pour contrer ce phénomène, le syndicat propose que l’accès à l’énergie devienne un droit constitutionnel, de revenir à des tarifs régulés, ou encore de passer à une TVA à 5,5 %, et non plus 20 % comme aujourd’hui. « En clair, il faut sortir l’énergie du marché, qui n’a eu que des effets délétères », insiste Fabrice Coudour.

 

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