Les sénateurs communistes ont obtenu la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le rôle que les cabinets de conseil privés jouent auprès des décideurs publics. Entretien.
Éliane Assassi Sénatrice PCF
En pleine crise du Covid, le gouvernement avait confié l’élaboration de la stratégie vaccinale au cabinet de conseil américain McKinsey. Un exemple parmi d’autres qui a amené les sénateurs PCF à utiliser leur droit de tirage pour créer une commission parlementaire chargée d’enquêter « sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ». Entretien avec Éliane Assassi, présidente du groupe communiste au Sénat.
Pourquoi avez-vous choisi de lancer cette commission d’enquête, la dernière avant la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron ?
Éliane Assassi La gestion de la crise sanitaire a mis en évidence une pratique qui existe depuis des années, à savoir le recours à des cabinets de conseil privés qui participent à définir et parfois dictent la conduite politique du gouvernement. Cela n’est pas nouveau mais il nous a semblé important, à l’heure où certains prônent la réduction du nombre de fonctionnaires, de faire un point sur ce sujet. Combien cela coûte-t-il ? Qui sont ces cabinets ? Comment travaillent-ils et en lien avec qui ? Quelle est la commande précise qui leur est faite ? L’émetteur reste l’exécutif, mais la commande passe sous les radars du Parlement. Au final, nous apprenons de façon détournée qu’il a eu recours à des cabinets. Nous voyons de plus aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale que des études d’impact sur les textes législatifs sont souvent externalisées. Tout cela est très opaque, alors que cela pèse sur les politiques publiques décidées. La Cour des comptes a d’ailleurs remarqué une hausse très forte des recours à ces officines privées. Il est bien que cette instance s’en émeuve, mais c’est aussi le rôle du Parlement de s’y intéresser et de faire la lumière.
De mars 2020 à février 2021, le ministère de la Santé a passé près de 26 commandes auprès de sept cabinets, pour un coût de 11,35 millions d’euros…
Éliane Assassi Ces décisions prises dans le cadre de la lutte contre le Covid nous interrogent. Est-ce le résultat d’une défaillance de la puissance publique ? L’État s’est-il affaibli au point d’être en difficulté au moment de faire face à ses responsabilités ? Mais surtout qui mène les politiques publiques ? Le gouvernement et le Parlement, ou bien des prestataires privés dépourvus de toute légitimité démocratique ? Nous devons donc étudier cette question. Nos camarades députés du groupe GDR avaient déjà déposé, sans succès pour le moment, une demande de commission d’enquête à la suite des révélations par la presse du recours au cabinet McKinsey afin d’établir la stratégie vaccinale. Nous nous inscrivons dans la même logique. La commission d’enquête du Sénat, qui sera présidée par la droite et dont je serai rapporteure, doit être mise en place le 18 novembre.
Au-delà de la crise du Covid, le gouvernement avait déjà mandaté un prestataire privé, rémunéré, pour préparer l’exposé des motifs de son projet de loi sur les transports. Une pratique qui avait été validée par le Conseil constitutionnel…
Éliane Assassi Cela semble invraisemblable, mais si l’on remonte le fil de l’histoire, ce n’est pas nouveau. Simplement, lorsqu’il y a eu les grandes nationalisations de secteurs primordiaux et stratégiques comme les transports, l’énergie ou l’eau, l’État avait balayé ce recours aux officines privées pour écrire la loi et décider des politiques publiques. Et puis, par un effet de balancier, quand il y a eu le retour des privatisations de grands secteurs d’activité dans notre pays, nous avons de nouveau eu recours à des cabinets privés. Nous observons quelque part que quand les services publics sont sous la protection de l’État, nous n’avons pas besoin de ce genre de cabinets. Mais quand on privatise, alors ils ressurgissent et proposent leurs services. D’abord gratuitement, pour mettre un pied dans la porte, et puis de façon rémunérée. Nous observons aussi que certaines personnes qui travaillent pour ces cabinets sont d’anciens responsables politiques qui aspirent parfois à le redevenir. Ce qui s’appelle du pantouflage et pose de façon générale la question de la perméabilité entre intérêts privés et publics.
Entretien réalisé par Aurélien Soucheyre
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