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2 octobre 2021 6 02 /10 /octobre /2021 05:53

*Sébastien Ménesplier est secrétaire général de la FNME CGT.

Libéralisation, mondialisation et financiarisation ont porté des coups violents à la filière des industries électriques et gazières, et à la complémentarité entre les EPIC historiques EDF et GDF et leurs grands équipementiers.Une nouvelle maîtrise publique est nécessaire pour reconstruire une filière suivant une logique de service public,assurant à tous l’accès au bien commun qu’est l’énergie.

Comme remarque liminaire, je tiens à dire qu’on ne doit pas opposer les énergies entre elles mais démontrer avant tout leurs complémentarités.

La filière gaz, a laquelle la Fédération nationale des mines et de l’énergie (FNME) CGT est attachée, rassemble 130000 emplois en France, essentiellement implantés au cœur des territoires ; parmi ces emplois, 20000 sont dédiés aux missions de service public de gestion des infrastructures qui permettent d’acheminer, en toute sécurité, le gaz aujourd’hui nécessaire tant à l’usage énergétique de nos concitoyens qu’à l’industrie, ainsi qu’à la production d’électricité à hauteur de 10 % de la consommation nationale.

La FNME CGT porte dans son Programme progressiste de l’énergie la conviction de la nécessité d’un véritable service public de l’énergie, fondé sur l’équilibre entre la création d’un EPIC gaz et d’un EPIC électricité, comme ce fut le cas en 1946. S’il ne faut pas se priver d’étudier les spécificités de chaque énergie, le gaz ne doit pas être oublié car il est véritablement porteur de projets d’avenir.

 

LA DESTRUCTION DU LIEN ÉQUIPEMENTIERS-INDUSTRIES ÉLECTRIQUES ET GAZIÈRES

À partir des années 2000, l’obligation de mise en concurrence imposée par le droit européen via la directive de 1986, retranscrite en droit français, a complètement balayé les partenariats entre les équipementiers : principalement entre GE Alstom et Schneider à l’époque, mais aussi entre Areva et Framatome avec l’opérateur historique EDF, dans une dynamique d’investissements moindres du fait de la fin de la construction du parc nucléaire. Ces industries très spécialisées, rompues aux prescriptions techniques de haut niveau, maîtrisant le dimensionnement des équipements ou les performances exigées, ont pour la plupart essayé de se diversifier à l’international.

Autour des années 2000, la politique de « moins-disance » de la fameuse nouvelle Direction des achats d’EDF, dirigée par le premier transfuge hors statut arrivant tout droit des transports avec un parachute doré, a achevé l’ère des coopérations et des innovations. Elle a complètement abandonné un pan entier de notre industrie, de fait obligée de se tourner vers les autres pays d’Europe et, surtout, vers l’Asie, pour aller chercher des marchés. Même si des années après EDF a évolué en corrigeant sa position par la recherche de « mieux-disance », le mal était fait.

Certaines entreprises industrielles actrices dans le domaine énergétique ont résisté quelque temps en surfant en France sur la minivague du cycle combiné gaz en justifiant leur mise en service en un temps record (24 à 30 mois) avec des hypothèses macro-économiques favorables à court et moyen terme pour des installations se rémunérant en semi-base. D’autres se sont essayées à l’internationalisation, se frottant à une concurrence féroce qui les a poussées à l’optimisation économique et à la délocalisation. Ces industriels autrefois partenaires et « collaborateurs » d’EDF ont développé les pires travers de l’économie libérale et de marché avec, d’un côté, des marges calculées au plus juste dans la fabrication des équipements entraînant une baisse indéniable de qualité et de durée de vie des équipements et, de l’autre, des gains sur la masse salariale allant jusqu’aux délocalisations d’une partie de la fabrication des équipements, puis de leur totalité.

MONDIALISATION ET FINANCIARISATION

Malgré quelques échecs, le captage des matières premières se fait désormais par l’Asie. Lorsqu’une relocalisation est obtenue – souvent en contrepartie de contrats imposant une part locale – elle se fait dorénavant à partir de matières en partie déjà transformées. Ce fut le cas récemment d’ateliers de conduites forcées ou d’usines de fabrication d’éoliennes. On peut dire que l’Europe a délaissé définitivement la première étape de fabrication des équipements, celle qui implique les plus importants besoins énergétiques.

C’est bien la mondialisation, orchestrée par les directives européennes et les gouvernements successifs, quia désorganisé le secteur énergétique, créé un manque de planification-anticipation sur le très long terme,et qui a donc été la principale cause de la désindustrialisation. Celle-ci a aussi touché les entreprises électro-intensives dont le modèle d’affaires dépend d’un coût de l’électricité attractif, que la libéralisation n’a pas permis de maintenir.

Pire que la mondialisation, la financiarisation des entreprises achève maintenant le tout. Pour une entreprise, il est plus facile de neutraliser un concurrent par une OPA que de lui livrer une bataille concurrentielle. Même si ce dernier possédait des savoir-faire de niche, répondant à une demande spécifique, son « absorption » rime souvent avec disparition des spécificités pour permettre des marges bénéficiaires alléchantes, et donc des dividendes supplémentaires pour les actionnaires. C’est le cas dans la rocambolesque affaire Alstom-General Electric.

Nous constatons par ailleurs une tendance des plus critiquables, celle qui conduit les entreprises dites « progressistes » à se concentrer particulièrement sur le « verdissement » de leur image à coups de raison d’être, de conseil de parties prenantes alors qu’elles évitent et se dispensent de travailler avec les instances représentatives du personnel. Le salarié est pourtant un meilleur contributeur et investisseur que l’actionnaire : lui, il est inscrit dans la durée et se soucie de la raison d’être et de la pérennité de son entreprise.

OÙ SONT NOS LEVIERS ?

Les différentes politiques de subventionnement des dernières années ont montré leurs limites dans leurs destinations/destinataires et dans leurs montants, un « pognon de dingue » ayant été dilapidé. Cet effet d’annonce du gouvernement n’a qu’un seul objectif : soigner sa communication en direction des citoyens. Pour exemple, au sein du secteur, le fléchage des aides vers les promoteurs privés de la filière des renouvelables intermittentes (dont les équipements arrivent majoritairement d’Asie) ne crée que très peu d’emplois. Pourtant, ces subventions à outrance alourdissent le déficit de notre balance commerciale tout en pénalisant dans leurs fonctionnements et leur rentabilité les filières pilotables issues de la maîtrise publique. Fin 2018, la Cour des comptes enregistrait 121 milliards d’aides a venir par la CSPE pour la promotion d’un secteur censé se suppléer au nucléaire et à l’hydraulique mais qui n’apporte finalement aucun gain en termes de réduction des gaz à effet de serre. L’État stratège a disparu. L’État actionnaire se concentre sur la ponction de ses entreprises publiques. Arrive donc maintenant l’État philanthrope qui déverse des aides sans en attendre aucun retour alors même que les biais et les incohérences sont démontrés et avérés ; par exemple, le plan de relance 2020 devrait consacrer 7 milliards à la filière hydrogène. Des conditionnalités de divers types, et en particulier visant la protection des salariés, devraient être définies pour éviter les rapprochements opportunistes avec des actionnaires avides de dividendes qui cherchent rarement à réinvestir, même pas a minima, dans le secteur dont l’entreprise dépend. Comment l’État peut-il débloquer des montants pareils sans s’assurer d’un cadre d’utilisation contraint et de contreparties, voire d’engagements solides de la part des entreprises qui bénéficieront de ces mannes financières? Cela paraît absurde, mais c’est la réalité.

Il y a urgence à agir sur le volet réglementaire partout où cela est possible,et ce en tenant compte des exigences sociales et environnementales de demain. Il n’est pas normal que le coût extrêmement bas du transport mondial combiné à des avantages fiscaux sur les importations permette à EDF, par exemple, d’acheter en Asie les panneaux photovoltaïques dont elle a besoin, délaissant sa filiale française Photowatt, aujourd’hui au bord du gouffre. Et que dire de la turbine de GE Hydro pour le site de Gavet, étudiée et fabriquée en Inde et qui a dû retourner en Inde avec les calculs refaits par les bureaux d’études de Grenoble ? Aujourd’hui, c’est pourtant le site GE de Grenoble qui est menacé de fermeture.

La nécessité de changer de logique et de philosophie économique comme éthique est une évidence qui pourtant se fracasse sur le mur du capitalisme et de l’individualisme. Mais alors, comment faire renaître l’espoir? La crise sanitaire assortie d’une crise économique devrait permettre de rebondir sur les priorités de la société d’aujourd’hui : faire la chasse aux inégalités commence par disposer d’un coût de production de l’électricité bas carbone au plus bas, et accessible à tous pour permettre le report des usages d’énergies fossiles sur ceux bas carbone. Ce défi-là, nous l’avions déjà relevé dans les années 2000, le constat est donc que c’est possible.Et c’est ce que la FNME CGT porte et rappelle dans son Programme progressiste de l’énergie. Revenir à des EPIC est nécessaire et permettrait à l’État de reprendre sa responsabilité essentielle dans des activités et des prises de décisions qu’il a délaissées :

  • dans la planification et dans l’optimisation technico-économique du mix énergétique ;
  • dans l’optimisation d’un secteur aval libéralisé et présenté de manière mensongère comme vertueux alors qu’artificiel, structuré avec des offres et services « verts » alors que les emplois de la commercialisation sont en partie délocalisés (Total – Engie) ;
  • pour le maintien des tarifs réglementés gaz et électricité pour le bien de première nécessité qu’est l’énergie. Sans maîtrise de la variabilité des prix, la stabilité des modèles d’affaires des entreprises sera a coup sûr perturbée dans l’avenir.

La libéralisation a engendré énormément de risques qui sont facturés aux usagers. Le constat pour l’usager est amer : par rapport à l’inflation, sa facture d’électricité a fait un bond de + 40 %, et celle du gaz de + 70 %,alors que jamais du temps de l’EPIC EDF ou de l’EPIC GDF les augmentations de tarifs n’avaient dépassé l’inflation. La continuité d’approvisionnement est également aujourd’hui même menacée, alors que c’est une préoccupation majeure lorsqu’il s’agit d’envisager l’intérêt général pour tous les usagers, particuliers comme professionnels. La décision d’investissement pour les EPR n’est pourtant pas encore actée, ce qui est très inquiétant et pose le risque de notre dépendance aux autres pays du fait des choix qui sont en train de se dessiner pour l’avenir en termes de transition énergétique. Il ne faut pas oublier que l’EPR de Flamanville est un prototype d’EDF sous la forme juridique de société anonyme dont l’expertise technique a été balayée par une gouvernance essentiellement financière.

Ce marasme des années passées met en exergue des pistes de réflexions pour redynamiser la filière industrielle et répondre aux enjeux d’un véritable service public de l’énergie. Il s’agirait notamment de travailler sur les besoins en compétences techniques, d’ingénierie, de recherche, de développement et de formation. Il y a aussi urgence à ré-internaliser des activités aujourd’hui sous-traitées, mais de le faire avec l’accompagnement nécessaire à un redéploiement d’une meilleure gestion de la sous-traitance sur le territoire. L’exemple du manque de soudeurs dans les métiers de la chaudronnerie est évident : que faisons-nous pour y remédier? Pourquoi ne pas se tourner vers les solutions du passé qui ont largement fait leurs preuves, comme les écoles de métiers par exemple ? Une nouvelle filière est à construire sous maîtrise publique, celle du démantèlement de la filière nucléaire ! On ne peut pas nier les objectifs politiques d’arrêt de douze réacteurs d’ici à 2035. C’est cependant mal parti par des jeux d’alliances entre EDF et d’autres entreprises dont les dividendes seront la priorité avant le nécessaire traçage des éléments irradiés, par exemple. EDF gère pas moins de 30 milliards d’euros d’argent public qui seront déversés pour ces opérations délicates. Une niche certainement pour certains et… l’État philanthrope !

 

DES REVENDICATIONS ET L’AVENIR DE LA FILIÈRE

Le secteur énergétique a besoin de se réindustrialiser. Il est nécessaire d’investir dans les différentes filières de production, dans les infrastructures gazières et électriques qui deviennent incontournables pour dessiner l’avenir et mettre en œuvre la transition énergétique. Les critères de choix doivent être fondés sur l’intérêt général, la maîtrise publique, la sécurité d’approvisionnement et de desserte pour atteindre les objectifs de réduction de CO2. L’hydroélectricité, le nucléaire,tout comme le captage et la séquestration de CO2 contribuent avec les énergies renouvelables au développement de l’énergie bas carbone et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au regard des besoins pour la consommation électrique,l’énergie pilotable et réactive des centrales thermiques, nucléaires et hydrauliques est nécessaire.

La France devra développer de nouveaux projets pour les années à venir,construire des stations d’énergie par pompage pour l’hydroélectricité et développer la quatrième génération de réacteurs pour le nucléaire(démonstrateur ASTRID) progressant un peu plus vers la fermeture du cycle. Les filières biogaz, hydrogène ou méthane de synthèse seront des vecteurs importants pour permettre le remplacement des énergies fossiles dans les processus industriels, et contribueront donc à la lutte contre le dérèglement climatique. De multiples autres pistes existent, comme le captage de CO2et le projet de reconversion porté par les travailleurs des centrales de Lucy, Cordemais et Gardanne.

II sera primordial de maîtriser et gérer la complémentarité des énergies constituant ce nouveau mix énergétique. La FNME CGT par son Programme progressiste de l’énergie préconise des solutions pour la réindustrialisation de la France. Cela pas sera inévitablement par l’exigence d’un service public de l’énergie, véritable enjeu de société. L’électricité et le gaz sont des biens de première nécessité, l’énergie est notre bien commun !

 

 

 

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