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6 octobre 2021 3 06 /10 /octobre /2021 05:05
Pierre Dharréville : « Une bonne réforme des retraites invite à repenser le travail » (L'Humanité, 5 octobre 2021)
Pierre Dharréville : « Une bonne réforme des retraites invite à repenser le travail »
Mardi 5 Octobre 2021 - L'Humanité

Alors que la question des retraites est reposée, le député communiste des Bouches-du-Rhône revient sur le débat intense qui a été stoppé par la pandémie. Démontant un à un les arguments de la majorité, il dessine les contours d’une réforme progressive. Entretien.

 

Vous venez de sortir un Manuel de la bataille des retraites (1), au moment où le débat revient sur le devant de la scène. Est-ce une façon de poursuivre le combat idéologique ?

Pierre Dharréville Le débat s’est interrompu brutalement avec la pandémie mais ils n’ont jamais lâché l’affaire. Je me suis dit qu’il ne fallait pas perdre la matière accumulée, et j’ai listé les questions qui avaient été au cœur des échanges. C’était une manière de prendre date, afin d’être prêt au moment où le débat reviendrait. Il fallait maintenir la braise chaude. La bataille ne fait que commencer. Depuis les trente dernières années, c’est le sujet qui a le plus mobilisé les Françaises et les Français. Ces mobilisations puissantes témoignent d’un attachement profond à ce droit à la retraite. Certes, les salariés les plus jeunes doutent mais cette angoisse montre qu’il y a une aspiration à ce que ce droit ne disparaisse pas. Il y a donc une conscience qui peut encore grandir et s’affermir, mais encore faut-il tracer des perspectives.

Édouard Philippe propose non pas un système universel mais une réforme paramétrique visant à faire reculer l’âge de départ en retraite. Tout comme Stanislas Guerini, qui en appelle désormais à une « réforme simple : les régimes spéciaux, les pensions minimums, des mesures sur l’âge, des mesures de justice ». Comment interprétez-vous ce rétropédalage ?

Pierre Dharréville C’est un aveu quant à la réalité de la réforme qui nous était proposée. Cette réforme soi-disant universelle parée de toutes les vertus qui était en réalité une réforme qui visait à jouer sur tous les paramètres, y compris sur l’âge de départ. Et c’était pour eux l’essentiel puisque c’est ce qu’ils mettent en avant aujourd’hui. Il y a une volonté de nous faire travailler plus, dans la journée, dans la semaine, dans le mois, dans l’année et dans la vie. C’est une vieille lune du capital de vouloir pressurer ceux qui travaillent. Il y a une volonté de tirer encore sur la corde. Or, si nous vivons plus longtemps, c’est grâce à la qualité de notre protection sociale. De plus, il est important d’expliquer qu’on ne cesse pas de travailler, entre guillemets, quand on est à la retraite. Certes, ce n’est plus le travail prescrit, mais les retraités continuent d’être utiles. La situation est plus contrastée qu’on ne le dit et il y a d’autres manières de dégager des marges suffisantes pour faire face au besoin de financement du droit à la retraite.

Comment ?

Pierre Dharréville Le partage de la valeur se fait entre le capital et le travail. Prendre aux retraités, cela revient à prendre au travail, il est donc possible de faire autrement. Il y a eu une explosion des exonérations fiscales. À chaque budget, le gouvernement invente de nouvelles exonérations. Et à chaque fois, il affaiblit la capacité de la Sécurité sociale à nous protéger. Notre protection sociale a un coût, il est nécessaire d’arrêter de tailler dedans. La Sécurité sociale doit être financée sur la base des cotisations ; c’est pour cela qu’une cotisation supplémentaire du capital peut être envisagée, notamment lorsqu’on voit toutes les sommes qui s’évaporent avec l’évasion fiscale. Nous avons esquissé un certain nombre de propositions qui se trouvent dans la loi que nous avons déposée à l’Assemblée nationale en 2019.

En présentant sa réforme, le gouvernement a soulevé les faiblesses du système actuel…

Pierre Dharréville Le débat des retraites a fait revenir la question du travail au cœur du débat public. Parler retraite revient à regarder ce qui s’est passé avant, puisqu’il s’agit, à la retraite, de solder les comptes. Faire une bonne réforme des retraites invite à repenser, à soigner le travail. Que ce soient les carrières hachées, le temps partiel subi qui frappe particulièrement les femmes, la question de la pénibilité, sur tous ces points des mécanismes correcteurs pour faire face aux inégalités doivent être apportés mais ce n’est pas suffisant. Le culte de la productivité, de la compétitivité en permanence écrase l’humain, si on vivait mieux le travail, on pourrait mieux envisager une bonne retraite. Nous pourrions garantir dans ce système une retraite minimale et digne fixée au niveau du Smic et revenir à un âge de départ raisonnable. Beaucoup de femmes et d’hommes ont du mal à arriver à l’âge de départ dans de bonnes conditions. La retraite progressive devrait permettre de partir avant l’âge pour celles et ceux qui le souhaitent, pas après. À l’inverse, la réforme des retraites proposée par Emmanuel Macron contribue à accroître cette logique de l’homme et de la femme productifs, avec la règle du « un euro cotisé doit donner les mêmes droits » : chacune, chacun garantit sa propre retraite. C’est la logique du travailler plus pour gagner plus poussée jusqu’au bout.

Le gouvernement souhaite également mettre fin aux régimes spéciaux. Pourquoi faut-il les préserver ?

Pierre Dharréville Les régimes ont tous une histoire, une raison d’être que l’on ne saurait balayer sans égards. Il y a parfois de petits régimes qui ont produit de fortes mobilisations, comme celle des danseurs et danseuses de l’Opéra. Leur régime permettait de prendre en compte leur situation particulière. On peut travailler à plus d’unité et plus de solidarité entre les régimes, d’ailleurs cela existe déjà. La caisse des électriciens et gaziers a été ponctionnée l’an dernier pour contribuer au régime général. Mais il n’y a pas besoin pour cela de passer par pertes et profits toutes les conquêtes sociales qui se sont exprimées à travers ces régimes spéciaux. On devrait plutôt s’en inspirer pour améliorer notre système des retraites que de les dézinguer.

Le budget de la Sécurité sociale est présenté ce mercredi, est-il à la hauteur des enjeux révélés par la crise sanitaire ?

Pierre Dharréville La majorité reste dans son moule, il n’y a pas de surprise. Elle fait semblant, c’est une des caractéristiques de la Macronie. Le gouvernement ne prend pas la mesure des besoins sociaux ou de la situation des hôpitaux, où les fermetures de lits et les restructurations se poursuivent. Le budget ne prépare pas l’avenir alors que les besoins sanitaires sont pressants. Sur l’autonomie, qui est un sujet majeur et souvent laissé dans l’ombre, il faudrait se hisser au bon niveau d’action parce que c’est un vaste terrain d’inégalités. Or, le gouvernement vient d’annoncer qu’il renonce à légiférer malgré les annonces répétées chaque année. En réalité, tout se passe comme si l’on voulait tailler dans les retraites pour financer la santé. Au lieu d’arrêter les exonérations et de s’occuper des ressources, on a l’impression qu’on organise à nouveau le déficit pour justifier demain de nouvelles mesures d’austérité et de casse sociale. On ne change pas de refrain : la Sécurité sociale coûterait trop cher. On connaît la chanson. Or, nous avons besoin d’une ambition sanitaire et sociale puissante. Et elle ne peut être que solidaire.

(1) Manuel de la bataille des retraites, Fondation Gabriel-Péri, 7 euros
Pierre Dharréville : « Une bonne réforme des retraites invite à repenser le travail » (L'Humanité, 5 octobre 2021)

https://gabrielperi.fr/librairie/notes/manuel-de-la-bataille-des-retraites/

"Les retraites sont depuis toujours un champ de controverse. Imaginez le délire : payer des gens qui ont cessé le travail… Une invention sociale essentielle : le droit d’être libéré du travail prescrit après y avoir tant consacré dans la force de l’âge. Ainsi, par le travail, c’est vraiment tout un monde que l’on gagne pour les autres et pour soi-même. Le droit à la retraite est un puissant marqueur de civilisation. Il met radicalement en cause la loi naturellement impitoyable du marché et la chosification de l’humain. Ainsi, chaque producteur et chaque productrice sont posés en sujets faiseurs de droits, chaque personne en sociétaire du genre humain…

 

Le droit à la retraite est un puissant marqueur de civilisation. Une conquête sociale qui s’est construite dans la durée. Affichant un vaste projet de remodelage antisocial, le Président de la République  avait pour projet un changement complet de système de retraite, basé sur un calcul par points. Ainsi, alors que le Covid-19 fondait sur la planète, toute la Macronie s’échinait à imposer une réforme des retraites qui, pourtant, suscitait un profond rejet. Mis en difficulté dans la rue comme dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, le Premier ministre dégainait le 49-3, puis confinait le pays. À l’issue de ce débat intense, l’auteur a dressé l’inventaire des nombreuses questions agitées dans la bataille. Bien lui en a pris : la question n’en finit pas de resurgir. Témoignage d’une confrontation âpre, il repasse les arêtes du débat, démonte les idées reçues, et dessine les contours d’une réforme progressiste, « pour une retraite qui va bien ».

Nous publions ce texte mis à jour avec les analyses des premiers effets de la crise sanitaire. Nul doute qu’il servira.

Pierre Dharréville, député PCF des Bouches-du-Rhône, porte-parole du Groupe de la Gauche démocrate et républicaine et membre de la commission des affaires sociales, fut l’un des acteurs de premier plan du débat sur la réforme des retraites à l’Assemblée nationale.

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