Entamée il y a quinze ans, l’ouverture à la concurrence a failli dans sa triple ambition : baisser les factures, améliorer les services et préserver l’emploi.
Officiellement, la libéralisation est un succès. Créée pour mettre en musique la libéralisation des marchés de l’énergie, la CRE, commission de régulation du secteur, comptabilise les consommateurs ayant rallié les offres concurrentes aux tarifs réglementés de vente (TRV) des fournisseurs historiques EDF et Engie (ex-Gaz de France) depuis la déréglementation du secteur en 2007.
Au 30 juin, côté électricité, un tiers des clients résidentiels s’étaient convertis à une offre de marché portée par un fournisseur concurrent d’EDF (près de 8,6 millions de foyers) ou même à une offre d’EDF et Engie elle-même concurrente à la TRV d’EDF (1,4 million, + 96 000). Côté gaz naturel, 7,6 millions de résidences sur 10,7 millions avaient elles aussi rallié le privé. La dérégulation de l’énergie semble donc plébiscitée. D’autant que, côté tarifs, la CRE fait étinceler les statistiques. Pour l’électricité, note-t-elle, « le prix de l’offre de marché avec prix variable, la moins chère, proposée à Paris était inférieur de 8 % au tarif réglementé de vente TTC pour un client moyen (…) et de 14 % sur le marché du gaz naturel ».
Un avantage aux concurrents d’EDF
Ces chiffres ne révèlent cependant pas que l’ouverture à la concurrence s’est faite en tordant le bras à l’usager pour le transformer en consommateur. Depuis le 8 décembre 2019, plus aucun client résidentiel ne peut souscrire une offre en tarif réglementé de vente du gaz naturel, condamné à disparaître en 2023. Le courant devrait suivre. Par ailleurs, ces mêmes TRV, de gaz ou d’électricité, sont calculés pour être structurellement plus chers que les offres des fournisseurs alternatifs. Les TotalEnergies, ENI et consorts ont en effet toute latitude de jouer sur le tiers du prix de la facture lié aux coûts de production et de commercialisation. Pas la TRV. Enfin, les concurrents d’EDF disposent d’un avantage concurrentiel. Le mécanisme de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) leur donne accès à un quart de la production du parc nucléaire français à un tarif de 42 euros par mégawatt. Alléchant quand le mégawatt se négociait à plus du double ce jeudi sur le marché de gros aux Pays-Bas.
Malgré ces arrangements, l’instauration de la concurrence est un échec. En 2019, 3,5 millions de personnes étaient en situation de précarité énergétique. Selon le médiateur de l’énergie, 671 546 ménages ont subi des réductions de puissance ou des coupures à la suite d’impayés (+ 17% par rapport à 2018). Et les prix flambent, singulièrement le gaz. La fédération mines et énergie CGT a d’ailleurs réévalué l’augmentation des tarifs depuis la privatisation de Gaz de France en 2004 : + 120 %, sans compter l’inflation (+ 22 %) ! L’électricité suit, à + 22 % depuis l’ouverture à la concurrence en 2007. Un calcul qui ne tient pas compte des + 12 % promis par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili en février 2022. Les offres des fournisseurs concurrents devraient suivre rapidement. Lors du congrès du gaz, qui se tenait jeudi, un courtier évoquait une hausse de 70 % de leurs factures pour un renchérissement de 600 euros par ménage moyen.
Avec l’aval de l’État, actionnaire minoritaire heureux
« Il faut mettre en corrélation ces chiffres avec les produits qu’ont encaissés les entreprises gazières, souligne Frédéric Ben, responsable du secteur gaz à la FNME-CGT. Depuis 2006, les infrastructures de stockage et de réseaux ont permis à Engie et Teréga de faire remonter 24 milliards d’euros de dividendes. L’autre conséquence est que les usagers, devenus clients, doivent maintenant attendre plusieurs jours avant d’obtenir un dépannage, une installation. Car les effectifs de toutes ces entreprises ont fondu de 30 %. »
En plus des factures aux montants incontrôlés et du service dégradé, l’ouverture à la concurrence laisse une autre douloureuse, sociale celle-là. L’ex-Gaz de France est à ce titre un cas d’école. Entreprise relevant du service public transformée en société anonyme en 2004, fusionnée avec Suez en 2008, qui a vite fait disparaître les 18 milliards d’euros de réserves, GDF, devenue Engie en 2015, s’apprête à vendre plus de la moitié de ses effectifs (82 000 emplois), groupés dans sa nouvelle filiale de services Equans. Le tout avec l’aval de l’État, actionnaire minoritaire heureux de récupérer de nouveaux dividendes avant de revendre ses dernières parts (32 %) et achever la privatisation de ce qui reste d’Engie. « Le » restant « sera alors la cible idéale pour une fusion-acquisition (hors réseaux) par Total, qui a déjà fait part de ses velléités », dénonce la CGT. Le syndicat demande : « Pouvons-nous accepter ce démantèlement et cette perte de souveraineté énergétique alors que la transit ion énergétique et la gestion du mix énergétique français représentent un enjeu majeur pour les générations à venir ? »
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