À deux mois de la COP 26, qui se tiendra à Glasgow, calculer rigoureusement le bilan carbone de la conversion de l’Europe à la voiture électrique impliquerait de prendre en compte celui de la construction des véhicules. Il a été totalement occulté par la Commission européenne dans sa proposition faite aux États membre de l’Union européenne d’interdire la vente de véhicules à moteur thermique à partir de 2035.
Par Gérard Le Puill
Depuis Bruxelles le 14 juillet, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, demandait aux pays membres de l’UE d’interdire la vente des voitures neuves à moteur thermique dès 2035 au lieu de 2040. Cela afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle annonçait aussi une taxe carbone sur les carburants fossiles, histoire de ponctionner les ménages pour les pousser à acheter une voiture électrique. Voilà qui réduira encore le revenu disponible des salariés les plus modestes qui n’ont souvent pas d’autre choix que d’utiliser leur voiture pour se rendre au travail.
Tel que présenté par la Commission, l’objectif de neutralité carbone en Europe est inatteignable du fait, notamment de la place prise par la route au détriment du rail que cette même Commission ne remet pas en cause. Dans le monde, la sidérurgie est responsable de 7,6 % des émissions de CO2. Or la pollution de cette industrie est précédée par celle de l’amont dans l’extraction des matières premières. Il faudra millions de tonnes de différents métaux pour produire les véhicules électriques équipés de grosses batteries. Une fois fabriquées, il faudra alimenter les véhicules en électricité dont une partie proviendra de la combustion du charbon et du gaz. Une autre partie proviendra de productions agricoles dédiées qui entreront en concurrence avec la production alimentaire, comme cela se pratique déjà.
Et le charbon allemand alimente l’Alsace en électricité
En France, le gouvernement garde l’objectif de réduire la production électrique de nos centrales nucléaires à 50 % de notre mix énergétique en 2035, contre 70 % aujourd’hui. Cela se traduira par un recours accru aux énergies fossiles, ou d’origine agricole, chaque fois que les éoliennes et les panneaux photovoltaïques verront leur production chuter faute de vent et de soleil. Avant la fermeture des deux tranches de la centrale nucléaire de Fessenheim, cette dernière vendait de l’électricité en Allemagne quand les éoliennes et les panneaux solaires d’outre Rhin manquaient de vent et de soleil. Depuis leur fermeture, les entreprises et les ménages de l’est de la France consomment de l’électricité provenant des centrales à charbon allemandes quand la production de l’éolien et du solaire baisse de ce côté-ci du Rhin. Ce n’est donc pas en réduisant la place du nucléaire que l’on réduira le bilan carbone de notre production électrique alors que la consommation d’électricité devra augmenter pour alimenter les véhicules électriques en nombre croissant tandis que la consommation du numérique continuera de croître également.
Une voiture électrique doit parcourir 40.000 kilomètres avant de moins polluer qu’une voiture à moteur thermique durant son cycle de vie. La France compte aujourd’hui quelque 40 millions de véhicules dont 32 millions de voitures particulières. Les remplacer par autant d’autres équipées d’un moteur électrique se traduira par une forte croissance des émissions annuelles de CO2 bien après 2035. Si, comme actuellement, 4 millions de véhicules à moteur thermique retirés du marché en Europe continuent d’être vendus en Afrique chaque année, ce commerce alimentera aussi le réchauffement de la planète.
Quel sera le prix de la voiture électrique dans 20 ans ?
Selon les cimentiers français, « une tonne de ciment produite chez nous ne devrait plus générer que 503 kilos de CO2 en 2030 contre 660 kilos en 2015 ». Mais on coulera toujours plus de ciment pour bâtir les nouvelles usines. On augmentera aussi l’utilisation du béton, du cuivre et des métaux issus des « terres rares » pour construire puis sceller les éoliennes qui alimenteront en partie le parc de véhicules électriques avant comme après 2035. Il reste enfin à voir où, et à quel prix, on trouvera le fer, le cuivre, l‘étain et tous les autres matériaux pour électrifier un parc mondial d’environ 1,2 milliard de véhicules dans le but proclamé d’atteindre la neutralité carbone en 2050 ! Dans 20 ans, la voiture électrique sera peut-être hors de prix, suite au manque de matières premières résultant de cette conversion accélérée, laquelle sera aussi destructrice d’emplois en France via les délocalisations dans les pays à bas coûts de main-d’œuvre.
Mais alors comment se fait-il que ces questions liées à la croissance exponentielle de l’utilisation du fer, du cuivre et de quantité d’autres métaux provenant des « terres rares » ne soient pas évoquées par la Commission, comme par nos principaux médias, dans le cadre de cette conversion à la voiture électrique ? Ce silence est surprenant alors que de nombreuses « start-up » tentent de se positionner dans la production des voitures électriques et que les grandes firmes se lancent aussi sur ce marché.
Vers des faillites et des suppressions d’emplois
Dans un dossier de deux pages consacré à ce sujet le 17 août dernier, le quotidien « Les Échos » évoquait « la voie des SPAC (spécial purpose acquisition company) » empruntée par ces « start-up » « pour lever des fonds » afin de produire des voitures électriques. Ce journal précisait qu’en « fusionnant avec des coquilles vides déjà cotées en Bourse, elles ont réussi à trouver les milliards de dollars nécessaires pour se lancer. Aucune de ces sociétés n’a toutefois encore livré le moindre véhicule (…) il faudra encore plusieurs années pour distinguer les gagnant des perdants (…) d’autant que les constructeurs traditionnels se sont réveillés ces derniers mois, suscitant à nouveau l’intérêt des marchés avec leurs ambitions dans la voiture électrique », lisait-on dans ce journal.
En France, au nom de la conversion rapide à la voiture électrique, ces grands groupes réduisent déjà les commandes de pièces chez leurs sous-traitants dans plusieurs régions du pays et les poussent au dépôt de bilan. Ce mouvement risque de s’accélérer dans les prochaines années. Guidée par la seule course aux profits, cette conversion accélérée à la voiture électrique se traduira par un bilan social et environnemental désastreux au bout du compte. Surtout qu’il n’est jamais question de réduire la circulation sur route au profit du rail en France, en Europe et dans le monde.
Se pose enfin la question du niveau de compétence de la Commission européenne pour bâtir un projet économique cohérent, qu’il s’agisse de la voiture électrique ou d’un sujet comme la réforme de la Politique agricole commune. Elle est composée d’un commissaire nommé par pays membre soit un total de 27. Mais, depuis des décennies, ce sont des milliers de lobbyistes présents à Bruxelles, payés par des multinationales et, de ce fait, potentiellement corrupteurs, qui fournissent à la Commission des projets en phase avec les intérêts privés que ces mêmes lobbyistes sont chargés de défendre.
La connivence est telle que certains commissaires deviennent eux-mêmes des lobbyistes à l’issue de leur passage à la Commission. Ce fut notamment le cas de José Manuel Barroso, ancien Premier ministre du Portugal, puis président de la Commission européenne entre 2004 et 2014 !