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7 septembre 2021 2 07 /09 /septembre /2021 05:08

 

Aucune annonce chiffrée de la part du chef de l’État, le 2 septembre, pour les écoles marseillaises. Mais la promesse d’une « expérimentation » structurelle qui transposerait dans l’éducation un modèle managérial inadapté et dangereux.

Marseille n’avait mérité ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. Après plusieurs jours d’une véritable préparation d’artillerie médiatique jonglant avec les milliards, la venue d’Emmanuel Macron dans la cité aux centaines d’écoles laissées à l’abandon depuis des années a donc accouché de cette promesse : « Faire de Marseille un laboratoire » pour « inventer ici l’école du futur ».

Un choix qui n’avait pas été sollicité et qui s’annonce lourd de conséquences pour l’ensemble de la communauté éducative de la ville – écoliers, familles, personnels. Et au-delà, puisque cette expérimentation devrait s’étendre à « plusieurs autres quartiers de la République » et aurait vocation à se généraliser par la suite.

Ah, on allait voir ce qu’on allait voir ! Dans le plan « Marseille en grand », l’école occupait une place centrale. En vérité, à la hauteur des besoins et des attentes : selon la municipalité, parmi les 511 écoles de la ville, 174 nécessitent des travaux lourds en urgence, tant leur état de dégradation est avancé après plus de trente ans d’abandon par les majorités précédentes. Le sujet est de ceux qui avaient précipité la chute de l’équipe Gaudin lors des élections municipales de 2020, la colère de la population à cet égard se traduisant notamment par la constitution du très actif Collectif des écoles de Marseille, un rassemblement de citoyens ayant pris cette question à bras-le-corps. Avant la venue du président de la République, un chiffre était avancé : 1,2 milliard, le coût du programme de rénovation souhaité par la majorité issue du Printemps marseillais, mais hors de portée pour une ville financièrement exsangue.

Un « laboratoire »

Autant dire que la déception a été énorme, après le discours prononcé par Emmanuel Macron au palais du Pharo. Concrètement, aucun chiffre n’a été mis sur la table, malgré le constat posé par le visiteur du jour d’écoles « dans un état de délabrement tel que l’apprentissage y est devenu impossible ». Le président de la République s’est d’abord approprié le programme de rénovation de quinze écoles, déjà décidé sous l’égide de l’Agence nationale du renouvellement urbain (Anru) et financé à 90 % par l’État.

Puis il a placé les suites des rénovations promises sous une double conditionnalité. D’abord la création d’une « société ad hoc » rassemblant l’État et la ville, présidée par le maire et bénéficiant d’un « financement conséquent »… sans plus de précisions. Ensuite, faire de cinquante écoles marseillaises un « laboratoire de liberté et de moyens », où les directeurs pourront « choisir l’équipe pédagogique » et ainsi, a-t-il expliqué, s’assurer que les enseignants sélectionnés « sont pleinement motivés, qu’ils adhèrent au projet ».

Stigmatisation de l'absentéisme

Car au passage, le chef de l’État en mode café du commerce n’a pas manqué de stigmatiser « l’absentéisme, les grèves perlées » : « Vous avez un problème avec vos personnels municipaux », a-t-il même lancé, avant d’ajouter à cette saillie un coup de pied de l’âne en direction des enseignants « qui sont fatigués » et « ne viennent plus » dans les quartiers difficiles… Le syndicat FSU des Bouches-du-Rhône a aussitôt dénoncé des « insinuations » pour laisser entendre que « la situation marseillaise est de la responsabilité des personnels municipaux », et des « propos insultants » à l’encontre des enseignants.

« Ce sont les mêmes enseignants, rappelle le syndicat, qui pendant les périodes de confinement organisent des collectes alimentaires pour les élèves dans le besoin, se présentent en surnombre pour accueillir les enfants de soignants, et se démènent au quotidien pour faire réussir leurs élèves dans des conditions scandaleusement dégradées, non loin des trafiquants de drogue et de la violence ! » Sans nier « les difficultés liées à la gestion des personnels de la ville de Marseille et au clientélisme », la première fédération des salariés des services publics tacle comme on sait le faire dans la ville de l’OM : « On ne voit pas le rapport avec l’état du bâti des écoles, leur insalubrité et leur délabrement. »

Icon QuoteNous avons sans doute le taux d’encadrement le plus bas de France, avec un adulte pour vingt-cinq enfants en maternelle, et un pour cinquante en élémentaire… quand tout va bien ! JULIEN HOULES Collectif des écoles de Marseille

Julien Houles, du Collectif des écoles de Marseille, s’interroge lui aussi : « Oui, il y a beaucoup de grèves, mais pourquoi ? Sur le temps de la pause méridienne par exemple, nous avons sans doute le taux d’encadrement le plus bas de France, avec un adulte pour vingt-cinq enfants en maternelle, et un pour cinquante en élémentaire… quand tout va bien ! » Le militant associatif rappelle que la nouvelle majorité municipale s’était engagée à ramener ces taux respectivement à un pour quatorze et un pour dix-huit, mais que « rien n’a été fait » pour le moment, laissant les familles dans l’impatience. Selon lui, la sortie du chef de l’État sur ce sujet frise le chantage à l’égard de la ville : « Il veut tenir en laisse la municipalité en disant : ’“Si vous voulez l’argent pour rénover le bâti, il va falloir vous réformer” », sous-entendu mettre fin aux acquis sociaux des personnels.

Un financement qui inquiète

La partie des annonces sur la rénovation des bâtiments inquiète également le Collectif des écoles. « On était déjà sceptiques avant, mais nous sommes quand même surpris que tout ce battage n’aboutisse à rien de concret, à aucun engagement financier » de la part de l’État, reprend Julien Houles.

La structure de la société qui doit regrouper la ville et l’État suscite sa vigilance : « On n’est pas dans le même cas qu’avec les partenariats public-privé (PPP) de Gaudin, qui voulait financer les écoles en mettant des commerces dedans », rappelle-t-il, « mais on sait que les rénovations déjà programmées sous l’égide de l’Anru passeront par un marché global de performance (MGP)… qui est une sorte de cousin des PPP. » La possibilité que des financements privés interviennent dans le cadre de la future structure sera ainsi scrutée avec attention…

Des directeurs recruteurs

Mais la partie des annonces macroniennes qui a suscité une véritable levée de boucliers bien au-delà des contours de Marseille, c’est celle qui concerne les cinquante écoles où, dès la rentrée 2022, les directeurs deviendraient responsables du recrutement des enseignants. Les syndicats enseignants sont immédiatement montés au créneau. Une « annonce inadmissible », à la fois « inquiétante et inadaptée », s’insurge le Snalc.

C’est « l’expérimentation du démantèlement du service public d’éducation et du statut de fonctionnaire par des dispositifs de sélection discrétionnaires », dénonce la CGT Éduc’Action, soulignant que le périmètre de « l’autonomie » défini par le président de la République comprend non seulement « le recrutement et l’encadrement des personnels », mais aussi « la gestion des projets pédagogiques, les rythmes scolaires ou les horaires. »

Une obsession de Blanquer

Le Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire, rappelle que ces annonces « remettent sur le devant de la scène la question du statut hiérarchique de la direction d’école », alors que la proposition de loi Rilhac, qui contient justement une mesure de cette nature, va revenir à l’Assemblée cet automne. C’est un serpent de mer et une des obsessions de Jean-Michel Blanquer depuis qu’il fut directeur de cabinet de Luc Chatel sous Sarkozy. C’est à cette époque que fut expérimenté, dans les collèges, le dispositif Eclair, qui ouvrait déjà à un recrutement « sur profil » dans les établissements concernés.

Le Snalc rappelle opportunément que cette mesure « avait été abandonnée car elle se révélait inopérante ». Visiblement, cet échec n’a pas suffi. « C’est complètement fou ! s’indigne Julien Houles. Cette mesure va créer une concurrence entre les écoles pour attirer les “meilleurs” profs, avec des financements sur projet qui fabriqueront des gagnants et des perdants. Ce que nous voulons, c’est que tous les enfants aient droit à la même qualité d’éducation. »

« Des solutions qui font éclater les cadres communs »

« Les écoles ont besoin, à Marseille comme ailleurs, rappelle le Snuipp-FSU, d’effectifs réduits dans toutes les classes, de personnels spécialisés et d’équipes pluriprofessionnelles renforcées, ainsi que d’une formation de qualité (…), de directeurs et de directrices dont les tâches sont allégées et recentrées sur l’animation et la coordination de l’équipe pédagogique », au lieu d’être écrasés jusqu’à l’absurde sous les tâches administratives.

« Dans une ville gangrenée par le clientélisme, créer du recrutement local est quand même une drôle de solution », achève la FSU des Bouches-du-Rhône avant de dénoncer « avec force l’instrumentalisation de la situation marseillaise pour imposer des orientations (…) qui font éclater les cadres communs » et « cherchent à mettre les personnels en concurrence les uns avec les autres ». C’est pointer avec force la démarche purement idéologique qui est à l’œuvre ici : imposer à l’école, sans tenir compte ni des réalités du terrain ni des échecs du passé, un modèle managérial inadapté et hors-sol, dont les plus fragiles parmi les élèves feront les frais. Marseille a décidément le dos large.

 

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