« C’est le consommateur qui sera gagnant », assuraient les chantres de la déréglementation. Nous y voilà : + 5,3 % en août, après une flambée de 10 % en juillet. Les cours s’envolent. Il est plus que temps de renationaliser l’énergie. EXPLICATIONS
C’est une surprise dont 5 millions de Français se seraient bien passés. Les tarifs réglementés du gaz ont grimpé de 5,3 % en août, après une précédente augmentation de 10 % en juillet. Pratiqués par l’opérateur « historique » Engie (anciennement GDF), ces tarifs sont fixés par le gouvernement, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), une autorité administrative indépendante.
Concrètement, pour une famille avec deux enfants qui se chauffe au gaz, cela représente une hausse de 5 euros par mois (LCI, le 28 juillet). Pour justifier cette augmentation, liée à une forte hausse des prix du gaz sur le marché mondial, la CRE avance plusieurs arguments : une demande et des prix très élevés en Asie, tirés par la reprise économique dans cette région du monde ; des opérations de maintenance en mer du Nord plus complexes que prévu, qui entraînent une réduction des importations de gaz norvégien en Europe, etc.
Trente ans de libéralisation
Le raisonnement de la CRE est juste, mais incomplet. « Nous sommes évidemment dépendants des cours du marché mondial, dans la mesure où on ne produit plus de gaz en France, explique Aurélien Bernier, spécialiste de l’énergie. Mais, au-delà des fluctuations des cours, il y a un problème de fond : les entreprises comme Engie continuent de verser des dividendes coûte que coûte. Au lieu de servir les actionnaires, elles pourraient très bien décider de lisser leurs tarifs, de manière à ce qu’on ne répercute pas (ou très peu) les hausses des cours sur les consommateurs. C’est la grande différence entre un marché géré par des opérateurs privés et un service public… »
Petit retour en arrière. Le secteur du gaz (et de l’énergie en général) n’a pas toujours été dérégulé. La situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les consommateurs est le produit d’un mouvement de libéralisation initié en Europe dans les années 1990, sous la houlette des dirigeants néolibéraux. Objectif : démanteler progressivement les anciens monopoles publics, afin d’ouvrir le marché à des opérateurs privés. C’est ainsi que, depuis le 1er juillet 2007, deux tarifs cohabitent en France : les tarifs réglementés, fixés par le gouvernement et proposés uniquement par EDF pour l’électricité et GDF (puis Engie) pour le gaz ; et les tarifs de marché, proposés par les fournisseurs « alternatifs ».
Engie : plus de dividendes que de bénéfices
À l’époque, les défenseurs de la libéralisation justifiaient ce choix par les gains promis aux consommateurs. « Notre seule volonté dans cette affaire est de répondre aux besoins des consommateurs français, tant pour la sécurisation de l’énergie que pour les tarifs les plus bas », lançait ainsi le ministre de l’Économie Thierry Breton, en octobre 2006. « L’ouverture ménagée du marché se traduira par une baisse des prix au bénéfice des consommateurs domestiques comme des industriels », nous promettait déjà le gouvernement d’Alain Juppé, dix ans plus tôt.
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Las ! Les baisses promises n’ont jamais eu lieu, et les tarifs ont joué au yo-yo sous l’influence des marchés mondiaux. Fabrice Coudour, de la CGT énergie, a calculé que « les factures de gaz ont doublé depuis 2004 ».
Dans le même temps, les opérateurs historiques ont été en grande partie privatisés, malgré les engagements pris par les gouvernements de droite. D’abord transformé en société anonyme, GDF a ensuite été fusionné avec Suez en 2008, pour finalement donner naissance à Engie, groupe dans lequel l’État ne détient plus que 23,6 % du capital.
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Cette transformation à marche forcée va de pair avec une financiarisation régulièrement dénoncée par les syndicats et les ONG. Engie est connue pour sa propension à choyer ses actionnaires (le géant américain BlackRock, par exemple, détient 4,5 % du capital), quelle que soit la situation de l’entreprise. En 2018, Oxfam s’indignait : « Les dividendes versés par Engie à ses actionnaires depuis 2009 ont représenté plus de trois fois le montant de ses bénéfices et, en 2016, le groupe a même versé quinze fois plus de dividendes que de bénéfices. » Emprunter pour nourrir ses actionnaires, un comble… Engie n’est évidemment pas la seule multinationale à le faire, mais le procédé est d’autant plus choquant que l’État est toujours présent au capital.
« Un bien commun »
De leur côté, les syndicats pointent des erreurs stratégiques de la direction. « Depuis la privatisation, le groupe a multiplié les achats à l’international, note Sébastien Menesplier, secrétaire général de la CGT mines-énergie. Beaucoup d’investissements ont été réalisés à perte. Dans le même temps, la direction s’est engagée dans la cession de pans entiers d’activité : la vente des parts d’Engie dans Suez (démarrée à l’automne 2020 – NDLR) n’est qu’une étape parmi d’autres. »
Autant d’éléments qui donnent du grain à moudre aux détracteurs du tout-marché. « L’énergie est un bien commun qui ne devrait pas être confié au secteur privé, assure Aurélien Bernié. C’est d’ailleurs aussi vrai pour le gaz que pour l’électricité ou les énergies renouvelables. Il n’y a aucune raison de laisser des opérateurs privés s’engraisser sur le dos des consommateurs. »
Avant le mur de 2023
La CGT ne dit pas autre chose, qui milite depuis des années pour une renationalisation des grandes entreprises de l’énergie. « Libéraliser l’énergie n’avait aucun sens, confirme Sébastien Menesplier. Le service public a fait ses preuves depuis 1946 : il n’est bien sûr pas question d’en rebâtir un à l’identique, mais bien de prendre en compte les évolutions historiques du secteur. Nous militons pour un service public du XXIe siècle, articulé autour de deux entreprises renationalisées : un Epic (établissement public à caractère industriel et commercial) gazier, et un Epic électricité. Ce service public devra répondre aux besoins de la nation, c’est-à-dire à la fois assurer la sûreté du réseau, définir le mix énergétique et garantir aux consommateurs des tarifs bas et lisibles. »
Ce n’est évidemment pas le chemin emprunté actuellement par les dirigeants européens : le 1er juillet 2023, en France, les tarifs réglementés du gaz pour les particuliers seront définitivement supprimés. Les consommateurs n’ont rien à y gagner…
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