Nous avons montré hier, chiffres à l’appui, les difficultés que rencontrent les éleveurs de bovins à viande. Avec la réforme à venir de la Politique agricole commune et les choix que fait la France de diminuer la prime annuelle à la vache allaitante, la situation des éleveurs spécialisés risque d’empirer. Car beaucoup vont prendre leur retraite alors que l’installation des jeunes sera rendue plus difficile.
Par Gérard Le Puill
Selon la Fédération nationale bovine (FNB) de la FNSEA, le ministre de l’Agriculture Julien de Normandie « a fait le choix de baisser de manière importante les aides de la Politique agricole commune (PAC) au secteur de l‘élevage des bovins de races à viande. Le secteur dispose pourtant du plus bas revenu de l’agriculture française et est l’un des modèles de productions les plus durables », ajoute la FNB.
Ces arbitrages ont été rendus par le ministre de l’Agriculture au nom de la future réforme de la PAC, laquelle sera appliquée entre 2023 et 2027 inclus. Faute de pouvoir se mettre d’accord sur un projet accepté par tous les pays membres, la négociation entre le 27 a débouché sur 27 déclinaisons nationales d’une réforme illisible et difficile à mettre en œuvre au niveau des territoires comme des filières agricoles. En France, selon la FNB, « les éleveurs de bovins de races à viande seront bien les perdants de la prochaine PAC : ce sont 78 millions d’euros qui leur sont amputés pour financer le transfert des aides couplées animales vers les aides couplées aux protéines végétales… ».
Vers une baisse des « soutiens couplés » de 10 à 18 %
Pour comprendre ce que signifie cette perte de 78 millions d’euros par an pour l’élevage de bovins à viande, également nommé élevage allaitant, il convient de préciser que ces vaches de races charolaises, limousines, Blonde d’Aquitaine, Salers, Rouge des prés et autres allaitent directement leur veau et ne passent jamais en salle de traite. Mais il existe une prime annuelle européenne pour chaque vache qui donne naissance à un veau et cette prime par vache allaitante diminuera en France à partir de 2023.
Du coup, la FNB affirme que « cette baisse des soutiens couplés estimée entre moins 10 % et moins 18 % entre 2023 et 2027 (est) difficilement compréhensible au regard des ambitions affichées par la France en matière de souveraineté alimentaire. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation devra l’assumer. Si aucune mesure concrète de très court terme n’est prise pour assurer un retour de valeur par le prix payé aux éleveurs, c’est une déprise de la production sans précédent que ce choix politique pourrait engendrer, alors que 2.000 éleveurs de bovins disparaissent déjà chaque année », ajoute la FNB qui redoute des « dégâts colossaux au plan humain social et territorial ».
La France s’est fait doublement piéger au fil des ans
Ce cri d’alarme est en phase avec l’analyse produite dans la revue de sélection génétique « BTIA » dont nous avons rendu compte dans notre article d’hier. Mais on peut aussi considérer que la France, disposant du plus gros cheptel de bovins allaitants en Europe, s’est fait doublement piéger au fil des décennies. Une prime annuelle par vache a poussé bien des éleveurs à augmenter le nombre de mères sur leur exploitation afin de percevoir davantage de primes. Ainsi, entre 1979 et l’an 2000, le nombre de vaches laitières en France est passé de 7,2 millions de têtes à 4,2 millions de têtes et il continue de diminuer depuis. Mais cela fut la conséquence de l’augmentation du rendement laitier annuel par vache tandis que les quotas par pays limitaient les volumes de production entre 1984 et 2015.
Durant ces mêmes années qui vont de 1979 à 2000, le nombre de vaches allaitantes est passé de 2,8 millions à 4,3 millions de têtes. Faute de pouvoir engraisser tous les jeunes animaux pour la boucherie durant ces années, les éleveurs ont augmenté les ventes annuelles de jeunes bovins maigres. Ces « broutards » sont surtout engraissés en Italie, en Espagne, en Grèce et désormais au Proche et au Moyen-Orient. Dans le même temps, les offres de viandes bovines résultant des accords de libre-échange avec les pays tiers et celles issues des troupeaux laitiers d’autres pays européens ont fait baisser les prix des bovins à viande en France ces dernières années.
Produire plus de protéines végétales sur chaque ferme
Du coup, les sécheresses estivales venant aussi augmenter les coûts de production, les éleveurs de bovins réduisent le nombre de mères depuis quelques années. Il serait tombé sous la barre des 3,9 millions de têtes et risque encore de diminuer. Une bonne solution pourrait consister à augmenter la prime par vache contre la limitation de leur nombre en fonction des hectares dont dispose chaque exploitation de bovins à viande afin de renforcer l’autonomie fourragère. On pourrait obtenir parallèlement de ces exploitations qu’elles améliorent leur bilan carbone par des semis associés de graminées et de légumineuses dans les prairies afin d’enrichir l’herbe en protéines, ce qui permettrait aussi de réduire l’usage des engrais azotés. Ces fermes pourraient aussi produire des protéines végétales en graines et les transformer en aliment du bétail.
On nous dit et on nous répète que l’actuel ministre de l’Agriculture est agronome de formation. Il doit donc être en capacité de comprendre qu’il existe une solution de ce côté-là. Mais c’est aussi au syndicat spécialisé des éleveurs d’être offensif sur ce terrain, ce qui n’a pas été suffisamment le cas depuis une quarantaine d’années.
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