Les terribles inondations qui ont frappé l’Allemagne et la Belgique montrent combien le changement climatique se conjugue au présent (et au Nord aussi), illustrant la procrastination coupable de nos dirigeants. Maxime Combes, économiste, porte-parole d’Attac, les interpelle dans cette tribune.
Le changement climatique se conjugue au présent. Pas un jour ne passe sans que nous n’en éprouvions la dure réalité : 54,4 °C aux États-Unis, 49,6 °C au Canada, 47 °C au Maroc, surchauffe en Sibérie, canicule à New Delhi, feux de forêts en Californie et désormais, le tout en moins de trois semaines, des inondations destructrices en Chine, Allemagne, Belgique et Autriche. Des villes et villages sont peu ou prou rayés de la carte, des centaines, peut-être des milliers de personnes ont perdu la vie, en tout des millions de personnes affectées, des écosystèmes détruits ou transformés à jamais, sans même parler des dizaines ou centaines de milliards d’euros de dégâts, ni de tout ce qui ne peut être réduit à de la menue monnaie.
Territoires martyrs de la procrastination coupable des dirigeants
L’indécente « loi du mort-kilomètre », cette loi journalistique qui relie l’intérêt médiatique à la distance de l’événement, s’est subitement rabattue sur des territoires proches, faisant la une des JT, avec des images spectaculaires qui ont frappé nos imaginaires comme rarement. Chacune et chacun commence en effet à toucher du doigt que « l’événement climatique exceptionnel et sans précédent », ainsi nommé par des dirigeants politiques pressés de se dégager de leurs propres responsabilités, est en fait en train de devenir la règle. On passe de l’exceptionnel à la banalité. Les scientifiques l’annonçaient, cela devient réalité.
Lytton au Canada, Ahrweiler, Euskirchen ou Schuld en Allemagne, Verviers ou Pepinster en Belgique sont devenues les villes martyres de notre temps : comme tant d’autres sur la planète, voilà des territoires et lieux de vie meurtris et détruits par les conséquences du changement climatique. Mais pas seulement. Ce sont également des territoires martyrs de la procrastination et de l’inaction coupables des dirigeants politiques et économiques : parler de « catastrophe naturelle » ne saurait éluder leur responsabilité tragique de n’avoir lutté efficacement depuis des années contre le changement climatique et ses conséquences.
Que ne comprenez-vous pas dans le terme « urgence climatique » ?
Ensemble, il nous faut donc les interpeller : que ne comprenez-vous pas dans le terme « urgence climatique » ? Que nous faudrait-il donc expliquer que tant de rapports du Giec ont déjà énoncé avec clarté depuis des dizaines d’années ? Que n’avez-vous donc pas compris dans cette phrase du premier rapport du Giec rédigé en 1990, rappelée avec à-propos par le climatologue belge Jean-Pascal Van Ypersele : « l’effet de serre accentuera les deux extrêmes du cycle hydrologique, c’est-à-dire qu’il y aura plus d’épisodes de pluies extrêmement abondantes et plus de sécheresses prononcées » ?
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Qu’attendez-vous donc ? Qu’il y ait toujours plus de territoires devenus invivables ? Pourquoi les précédents rapports du Giec annonçant des zones devenant inhabitables ou des ruptures d’approvisionnement alimentaire ne vous ont-ils pas conduits à tout revoir, de fond en comble ? Pourquoi nos interpellations et mobilisations ne sont-elles suivies que par de grands discours et des temporisations fautives ? Pourquoi constate-t-on votre refus de transformer les soubassements énergétiques de notre formidable machine à réchauffer la planète qu’est notre système économique ? Comment se fait-il qu’une ministre de la Transition écologique puisse justifier une énième reculade, sur les chaudières au fioul, au nom de la « volonté d’y aller tranquille » ?
URGENCE CLIMATIQUE : les mots ont-ils encore un sens ? Cela fait trente ans que les dirigeants politiques et économiques faillissent. En trente ans, les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de plus de 60 %. Qu’ont-ils donc fait ? Dès que les enjeux deviennent sérieux, dès qu’il s’agit de prendre des décisions qui touchent à la puissance des lobbies, aux pouvoirs et droits acquis des multinationales ou aux règles qui organisent l’économie mondiale, ils tergiversent, reportent à plus tard ou acceptent de se conformer aux exigences des acteurs économiques et financiers.
Le résultat est là, il nous éclate en pleine figure
Les opérations de communication et de greenwashing, qui ont été substituées à toute politique climatique ambitieuse, ne nous sont d’aucune aide. La réduction drastique des émissions de GES n’est pas menée à bien. La loi climat entérinée par un vote solennel de l’Assemble nationale mardi 20 juillet en est l’exemple le plus abouti : à peine votée, elle est déjà obsolète au regard des objectifs à atteindre d’ici à 2030 (– 55 % à – 65 %). Elle est de plus complètement ringardisée par les propositions, pourtant insuffisantes, que la Commission européenne vient de publier.
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Sombre tableau auquel il faut ajouter le retard des politiques d’adaptation au changement climatique, pourtant justement rendues urgentes et nécessaires par cette procrastination coupable. C’est la double peine climatique : le réchauffement commence à nous frapper durement tandis que nos infrastructures, nos institutions, nos habitations, nos services publics n’y sont pas préparés. Voire qu’ils sont mis à mal par leurs décisions : en 2017, les libéraux ont réduit de 30 % les effectifs des services de secours en Belgique.
À rebours, ces catastrophes climatiques montrent aux yeux de toutes et tous qu’il est absolument impossible d’imaginer qu’il sera possible de s’adapter à n’importe quel niveau de changement climatique et que l’on peut donc continuer à émettre autant de GES. Sauf à accepter de rendre des territoires entiers invivables et inhabitables. Des phénomènes climatiques irréversibles sont enclenchés mais il ne sera jamais trop tard pour agir : quand on oublie de descendre du bus ou du métro à la station prévue, on n’attend pas d’être au terminus pour faire demi-tour. Chaque tonne de GES compte.
Seul un puissant ouragan citoyen pourra nous sortir de l’ornière
En 1990, la génération Greta Thunberg n’était pas née. Plus de trente ans plus tard, cette génération manifeste pour le climat, interpelle, fait la grève de l’école, convainc autour d’elle, s’engage à travailler et produire différemment. Bref, avec ses moyens, elle essaie de résoudre un immense défi dont elle n’est pas responsable. Plutôt que se mettre à son service, celles et ceux qui nous dirigent passent leur temps à décrédibiliser les propositions de la société civile en inventant des termes dénués de sens (écologie punitive, écologie positive, écologie de production) et à édulcorer les propositions de la Convention citoyenne pour le climat.
En matière climatique, ce ne sont pas les Gaulois récalcitrants qui posent problème. Non. C’est l’inertie des gouvernements. Il n’y a pas d’écologie punitive. Ce sont leur inaction et leur procrastination qui sont punitives. Et coupables. Fondamentalement, elles sont même un crime climatique. L’insécurité devient écologique, aggravée par l’incurie de nos gouvernements. Ne laissons pas notre droit à la sûreté soumis à un tel arbitraire. N’attendons pas des dirigeants politiques qu’ils fassent demain ce qu’ils n’ont pas fait hier.
Organisons-nous pour reprendre la main. Sur le terrain, en solidarité avec celles et ceux qui sont affectés par les conséquences du réchauffement climatique et pour déployer toutes les expériences alternatives là où c’est possible. Dans les organisations de la société civile pour rouvrir le champ des possibles. Enfin, en tant que citoyennes et citoyens de ce pays, saisissons-nous des prochaines échéances électorales pour faire campagne en faveur d’une véritable révolution écologique et sociale : seul un puissant ouragan citoyen pourra nous sortir de l’ornière.
(1) Auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015).
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