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2 mars 2021 2 02 /03 /mars /2021 06:20

 

Après la crise sanitaire, la pénurie de masques et de respirateurs, faut-il encore démontrer qu’un pays nécessite une industrie solide, à même de satisfaire les besoins de sa population ? Mais la distance est grande du besoin à la réalité...

*Alain Audier est secrétaire CGT du CSE de Arcelor-Mittal Méditerranée. Jean-Claude Cheinet est ancien maire adjoint de Martigues, ancien président du CYPRES.

Les activités industrielles sont implantées pour trouver preneurs à leurs produits, et donc répondre, directement ou non, aux besoins des populations. Mais la propriété privée des moyens de production a introduit un biais : produire plus pour maximiser les profits et réduire les coûts de production en pesant sur les salaires et les conditions de travail, en restreignant les investissements et en « externalisant » le traitement des effluents et sous-produits par des rejets dans la nature ou en les laissant à la charge des collectivités.

La grande industrie a atteint, voire dépassé, les limites de ce modèle. Risques d’accidents, pollutions et maladies en sont la matérialisation.

Depuis les débuts de l’industrialisation, les ouvriers et salariés ont veillé à leurs conditions de travail... Les luttes ouvrières ne sortaient de l’usine que temporairement. Or les salariés de l’usine sidérurgique Arcelor-Mittal de Fos-sur-Mer ont à la fois imposé un redémarrage du haut-fourneau arrêté depuis plusieurs mois et créé un comité de surveillance de l’activité industrielle du golfe de Fos et son impact environnemental (CSAIGFIE) ouvert à la population et aux élus. Une nouveauté importante qui dépasse les champs traditionnels d’intervention des syndicats.

 

LES LUTTES DANS LES USINES

Depuis les débuts de l’industrialisation, les ouvriers et salariés ont veillé à leurs conditions de travail (heures travaillées, salaires, mais aussi risques et santé au travail). Des lois sont venues consacrer des avancées ; pour les gagner, les salariés ont pesé par leur maîtrise de la production (grèves) de l’usine dans un face-à-face avec le patron. Les luttes ouvrières ne sortaient de l’usine que temporairement et souvent pour défendre une usine menacée de fermeture. Luttes importantes, mais dont l’objectif épargne pour l’essentiel la domination de la bourgeoisie.

Celle-ci garde la conduite générale des installations, édicte les décisions d’investissements et l’orientation générale de la production ; sur le plan global elle conserve son rôle dirigeant, maîtresse de l’avenir du pays.

 

À QUI LE « RÔLE DIRIGEANT » ?

La crise sanitaire et la cacophonie des masques montrent la faillite de ce modèle liant mondialisation et désindustrialisation. En revanche, la démocratie se construisant (à notre stade de civilisation) dans un cadre national, c’est l’État national qui doit jouer un rôle moteur; il ne le peut qu’en affrontant les logiques ultralibérales. Rien de spontané. Alors, comment l’y amener ? C’est tout un champ qui s’ouvre où classe ouvrière et salariés prennent la relève des bourgeoisies : en avançant des objectifs qui prennent en compte l’intérêt élargi des salariés et globalement des populations,ils conquièrent ce rôle dirigeant. En sortant de l’usine pour avancer des objectifs plus généraux, les organisations de salariés prennent alors en charge l’environnement, le cadre de vie, l’aménagement du territoire au même titre que les luttes sociales traditionnelles... et elles peuvent unir autour d’elles.

 

UNE ÉCOLOGIE DÉPASSÉE CAR « À L’ENVERS »

Depuis la Révolution française, la propriété privée est sacrée. Ainsi, l’industriel peut faire ce que bon lui semble dans son usine – et protéger ses « secrets de fabrication » –, mais il ne doit pas porter atteinte à la jouissance de propriété de ses voisins. C’est donc à l’État de jouer les arbitres, aussi les installations industrielles sont déclarées et sont soit autorisées, soit soumises à enquêtes et contrôles des autorités préfectorales par le biais des DREAL.

Traditionnellement, les organisations de salariés, qui sont en première ligne, ont donc réclamé la transparence sur les produits et les rapports sur les accidents, mis en avant les risques, demandé leur prévention par des contrôles accrus, des amendes grossies (ces revendications dépend de l’État et des industriels eux-mêmes... donc les accidents ont continué... Lubrizol récemment). L’efficacité de ces revendications dépend de l’État et des industriels eux-mêmes... donc les accidents ont continué.

La ministre de la Transition écologique promet plus de contrôles en nombre ; ce faisant, elle baptise carpe le lapin : car à moyens constants en personnels, si le nombre des contrôles augmente, chacun sera superficiel et fera appel à l’« autocontrôle », par les industriels eux-mêmes donc,qui sont ainsi juges et parties.

 

DES AVANCÉES...

Pourtant en 1971, dans un contexte politique particulier, une avancée considérable a eu lieu sur la zone Fos-étang de Berre. Pour surveiller les pollutions, réduire les risques et alerter les populations ont été créées plusieurs structures placées sous l’autorité du préfet mais réunissant tous les acteurs : État, industriels, élus locaux, salariés et associations de riverains ; ainsi, SPPPI, Airfobep (Atmo Sud) puis CYPRES ont vu le jour. Approche innovante où l’État était en mesure d’imposer des limites aux industriels. Les rejets polluants locaux ont été rapidement réduits de 90 % dans l’eau et de 60 % dans l’air. Ces structures ont ensuite été imitées partout en France.

Après l’explosion d’AZF Toulouse, la ville de Martigues a créé une commission extramunicipale vite reconnue comme CLIS expérimentale (commission locale d’information et de surveillance) par l’État, mais ouverte à la presse et aux associations de riverains intéressées, aux syndicats et au public. Ces diverses avancées vers plus de transparence ont permis une réduction des pollutions et rétabli la confiance de la population.

 

... ET DES REMISES EN CAUSE

La loi de 2003 consacre certes les CLIS (appelées commissions de suivi de site [CSS]), mais elles sont placées sous la présidence du préfet qui désigne les associations, leur avis n’est que consultatif pour les mesures d’urbanisme (PPRT), leur droit de déclencher des études complémentaires est bridé par l’absence de budget pour les mener ; enfin, les industriels imposent ce qui est « économiquement acceptable », et ont donc un vrai droit de veto. Pour couronner y a eu un vrai détricotage des avancées antérieures et retour de la méfiance des populations. Pour parachever cette régression, le Medef (UPE 13) tente de prendre la place des institutions en déshérence : s’appuyant sur les illusions de modernité des technologies numériques, il a créé un site dédié aux informations sur les risques industriels, qu’il alimente de sorte qu’il maîtrise complètement une communication « descendante » et sans contestation.

 

 

REMETTRE LES CHOSES SUR LEURS PIEDS

Dans ce contexte, le syndicat CGT des sidérurgistes d’Arcelor-Mittal de Fos-sur-Mer a lancé au début de 2020 un comité de surveillance de l’activité industrielle du golfe de Fos et son impact environnemental. Au-delà d’une appellation à rallonge, il y a une vraie innovation : c’est d’initiative syndicale que sont réunis les divers acteurs de ces questions en une structure associative ouverte et d’emblée accueillie avec faveur par les collectivités locales. Véritable percée théorique, les objectifs du comité de surveillance joignent d’un même élan modernisation et pérennisation de l’outil de production, préoccupation sociale pour l’emploi et aussi préservation d’un cadre de vie de qualité pour et avec les populations riveraines.

C’est d’initiative syndicale que sont réunis les divers acteurs en une structure associative ouverte. Les objectifs du comité de surveillance joignent d’un même élan modernisation et pérennisation de l’outil de production, préoccupation sociale pour l’emploi et aussi préservation d’un cadre de vie de qualité pour et avec les populations riveraines.

Les actions en commun qui ne manqueront pas d’être construites sont de nature à éviter l’opposition entre salariés et riverains telle que vue à Toulouse après l’explosion d’AZF ; car salariés et riverains ont les mêmes intérêts pour imposer les conditions d’une activité industrielle propre et pourvoyeuse d’emplois.

Mais une relation de confiance se construit dans la durée, en amont, bien avant incidents ou accident. Le premier pas est dans la lutte pour la transparence sur les produits traités et ceux rejetés, la sûreté des installations que les salariés connaissent mieux que personne. On est immédiatement dans la nécessité de la démocratie pour les mesures à prendre en se heurtant de front à la monarchie patronale qui sauvegarde son pouvoir dans le secret de la prise de décisions. La bourgeoisie oppose les « secrets de fabrication », mais salariés et délégués des riverains sont parfaitement à même de respecter les secrets professionnels. Du reste, leur fonction doit être en conséquence revalorisée au sens où il faut lui donner l’importance qu’elle mérite, et pour cela rien de mieux que l’élection (c’est déjà le cas pour les salariés) des délégués des riverains sur des listes présentées par les associations.

Cette construction progressive de la confiance dans l’industrie la rendra acceptable, voire désirable, et favorisera les luttes pour la réindustrialisation de la France. Mais rien ne tombe du ciel, tout se conquiert. Et la démarche nouvelle qui prend forme à Fos-sur-Mer est un chemin pour rassembler plus largement, être offensifs sur de nouveaux critères de gestion... et gagner.

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