Michel Etiévent est écrivain, historien, journaliste.
Auteur d’une quarantaine d’ouvrages (documentaires, essais, contes…).
A deux pas du 8 mars (et pas seulement) moi je n'oublie pas ce qu'on souffert les femmes qui DEPUIS TOUS TEMPS nous ont donné la force de vivre et la dignité....Ma mère, mes sœurs et tant d'autres anonymes en étaient...
Au cœur des bagnes-usines de femmes…
On sait beaucoup de choses sur les migrations masculines au temps des grandes errances montagnardes. De Blaise Cendrars à Stendhal, frotteurs de parquets, écaillers, cochers de fiacres écument la littérature. Peu de documents en revanche sur le travail féminin en usine lors de la guerre de 1914 ou sur l’émigration des femmes qui affectait à la fin du 19ème siècle de nombreux villages. Outre bonnes à tout faire, domestiques en tous genre, gardiennes ou nourrices qui partaient vers Paris depuis les hautes vallées des Alpes, l’impasse est souvent faite sur ces jeunes filles enrôlées très tôt dans les bagnes-usines de la soie lyonnaise.
A peine âgées de douze ans, les voilà parties vers ces pôles soyeux qui enrégimentent des colonies de petites mains prêtes à tout pour gagner quelques sous. Elles viennent de partout. De nombreux bourgs de Haute Savoie, Thonon, Evian particulièrement. Le site industriel est une véritable caserne avec longs ateliers, réfectoires, dortoirs. On estime à plus de trois mille le nombre de ces jeunes filles embauchées au bobinage dans ces « usines-pensionnats » à Bourgoin, Vizille, Valence, Voiron. Jules Godard, chroniqueur attentif de l’époque décrit ainsi leur quotidien : « Avant d’entrer en usines, les filles doivent présenter un certificat de bonne conduite. A l’atelier, elles respirent 13 à 14 heures par jour l’atmosphère confinée des hangars et sont surveillées comme des soldats par des contremaîtresses. Au réfectoire et au dortoir, elles sont soumises à la plus grande sévérité de ceux qui en ont la garde. Quant à la nourriture, elle se limite à une soupe par jour et aux provisions que les ouvrières ramènent de chez elles ».
Beaucoup d’orphelines ou de jeunes handicapées corvéables à merci couleront des vies entières dans ces fabriques. D’autres ne retournent en leurs feux familiaux qu’une fois l’an. Le règlement intérieur s’apparente à celui des « Maisons de correction » qui se développent à la même période. Ainsi chez Giraud à Beaurepaire : « Les internes qui ne sortent qu’escortées par les sœurs de Saint Vincent de Paul, doivent suivre avec rigueur le catéchisme et se confesser régulièrement. Toute désobéissance est sanctionnée par une lourde amende ». Les archives établissent le salaire de la journée à 1,70 F (le kilo de pommes de terre coûte à l’époque 2,50F). Ces pensionnats ne fermeront leurs portes que très tard, au cœur du 20ème siècle. En 1925, dans le Nord Isère, on compte encore 25 « dortoirs » enregistrant chacun 20 filles en pension.
Malgré de nombreuses plaintes portant sur les conditions de vie et de travail, on enregistra peu de mouvement de protestation mise à part la grève de Voiron de 1906 qui mobilisa plus de 500 femmes. La justice acquiesçait régulièrement aux méthodes patronales de ces usines. Ainsi le procureur de la République de Lyon déclarait-il lors d’un jugement en 1892 : « Ces pratiques et la surveillance qui les accompagnent sont des obstacles efficaces au dévergondage des filles et n’ont rien de plus excessif que celles usitées dans les maisons de redressement de l’Etat… »
Michel Etiévent
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